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ENTRETIENS 23 avril 2024

Mariame Clément dans l’inconscient de Humperdinck
© Pietro Spagnoli

Conte pour adultes ou opéra pour enfants – et inversement ? Pour faire sourire les uns et rêver les autres, la metteur en scène Mariame Clément, qui fait à l’occasion de l’entrée au répertoire du Festival sacré pour garderie d’Engelbert Humperdinck ses débuts à l’Opéra de Paris, ne scelle pas le sort de Hänsel et Gretel.
 

Le 10/04/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Hänsel und Gretel a beau ĂŞtre un opĂ©ra pour enfants, le public français, qui connaĂ®t peu cette partition, en percevra sans doute d’abord les rĂ©miniscences wagnĂ©riennes, et peut-ĂŞtre aussi ce que Richard Strauss, qui Ă©tait au pupitre de la crĂ©ation Ă  Weimar en 1893, doit Ă  Humperdinck. Avez-vous pris cette dimension en compte dans votre mise en scène ?

    Je garde ces éléments dans un coin de la tête et y fais des clins d’œil à l’intention de ceux qui comprennent. Il faut prendre cette œuvre avec beaucoup de légèreté et d’ironie, surtout à cause de ses doubles sens. Humperdinck la désigne lui-même comme un Kinderstuben-Weihfestspiel, un Parsifal pour enfants donc, ce qui est un peu un oxymore.

    En Allemagne, Hänsel et Gretel n’en est pas moins un vrai opéra pour enfants – et à ce titre, le premier qu’a vu ma scénographe Julia Hansen. Le caractère franco-allemand de l’équipe que nous formons se reflète par ailleurs dans les rôles-titres, puisque Daniela Sindram a déjà beaucoup chanté Hänsel, alors qu’Anne-Catherine Gillet, qui est belge francophone, n’a jamais interprété Gretel. Nous jouons ainsi à la fois sur le plan du classique absolu pour enfants et celui de l’œuvre inconnue pour adultes.

    Bien que je ne sois pas Sainte-Beuve, la biographie de Humperdinck révèle autant que la genèse même de l’œuvre un rapport assez touchant au père qu’est Wagner. Ne serait-ce que dans la manière de choisir un conte, et donc de s’inscrire dans la tradition germanique, sans pour autant marcher sur les plates-bandes du maître : non pas Lohengrin, Parsifal ou Tristan, mais les frères Grimm – alors même qu’un frère et une sœur perdus dans la forêt rappellent lourdement Siegmund et Sieglinde.

    Et comme si cela ne suffisait pas à faire de Hänsel et Gretel une histoire de famille, le livret a été écrit pour la sœur du compositeur… au moment de l’émergence de la psychanalyse. Cette espèce de Zeitgeist fait de cette œuvre bien plus qu’un conte, ou justement un conte par excellence, avec ses niveaux multiples, que ce soit sur le plan musical ou dramaturgique.

     

    Vous nous montrez donc une famille viennoise des faubourgs.

    Cela me permet de traiter de manière intéressante certaines thématiques qui, peut-être, parlent un peu moins aux enfants d’aujourd’hui, comme par exemple ce cliché de la pauvreté, qui à travers l’esthétique généralement associée à Hänsel et Gretel renvoie aux Misérables façon Robert Hossein – Cosette en haillons dans une chaumière de luxe, aussi énorme que le loft des premier et dernier actes de la Bohème sur le plateau de la Bastille.

    Non seulement je mets en scène une famille viennoise des faubourgs, mais vue à travers le regard de l’enfant. Que signifie, en termes de jeu, de réalisme psychologique, le fait que les rôles-titres soient tenus par des adultes ? Nous avons essayé de nous souvenir de nos peurs d’enfants. Car plus l’œuvre avance, plus nous plongeons dans leur subjectivité.

     

    Cela pourrait donc n’être qu’un cauchemar…

    Si l’on part du principe qu’il ne s’agit que d’un conte pour enfants, ceux-ci ne seront vraiment intéressés que par la sorcière. Or elle n’arrive qu’au troisième acte. Comme il ne se passe pas grand-chose au deuxième, qui est très contemplatif, nous avons essayé d’avancer à travers la perception du monde par les enfants.

     

    Comment avez-vous investi l’espace qui sépare le conte somme toute assez horrifique des frères Grimm de son adaptation par la sœur du compositeur ?

    Nous avons traité cette question au cas par cas. La disparition de l’oiseau qui guide les enfants après qu’ils ont tué la sorcière est un élément extérieur, mais qui me touche dans le rapport à Wagner, comme si Humperdinck n’avait pas osé se confronter aussi directement au maître. Le personnage de la mère, qui personnifie rapidement l’archétype de la belle-mère, mais redevient la mère dans le livret, nous force à nous poser la question de sa méchanceté.

    Au premier acte, il est possible de justifier son Ă©nervement, jusqu’à comprendre un mouvement d’emportement. En mĂŞme temps, ce châtiment cruel qui consiste Ă  envoyer Hänsel et Gretel chercher des fraises dans la forĂŞt, renvoie presque Ă  une perception d’enfant. « Maman, tu es mĂ©chante, je te dĂ©teste ! Â» C’est ce qu’ils disent tous Ă  un moment ou un autre parce qu’on leur a dit non ou qu’ils ont Ă©tĂ© punis.

    Que se passe-t-il dans leur tête quand ils entendent leurs parents dire que la fin du mois va être rude, qu’ils vont avoir du mal à payer les factures ? Beaucoup s’imaginent qu’ils vont être pauvres et mourir de faim. En la faisant passer du côté de la subjectivité des enfants, la méchanceté de la mère devient un élément narratif intéressant, dont nous jouons pour montrer la déformation de la perception du monde par les enfants.

     

    Qui est donc cette sorcière en forme de Walkyrie rabougrie sur son balai ?

    La mère est très protéiforme dans cette production. La sorcière pourrait en être une version cauchemardesque.

     

    Alors pourquoi ne pas aller jusqu’à faire chanter les deux rôles par la même personne ?

    Nous nous sommes posĂ© la question, mais ce serait presque trop. Elle est brièvement la mĂŞme, et puis c’en est une autre. Parce que les rĂŞves, comme on le sait depuis les annĂ©es 1890 grâce Ă  Sigmund Freud, opèrent par dĂ©placement. Certains ont une signification Ă©vidente, comme dans le cas de ce petit garçon Ă  qui on interdit de manger des cerises et qui le matin se rĂ©veille et sort de sa chambre en disant : « Hermann a mangĂ© toutes les cerises ! Â» D’autres sont plus mystĂ©rieux.

    Mais la sorcière est clairement une version à la fois monstrueuse et sexualisée de la mère. Il ne faut pas avoir l’esprit mal tourné pour l’entendre dans la description qu’en donne le père à la fin du premier acte. Peut-être était-ce extrêmement inconscient chez Humperdinck et sa sœur, mais une fois qu’on a relevé ces allusions, on ne peut plus ne pas les entendre. Et les interprètes du père et de la mère, qui ont beaucoup chanté ces rôles mais qui manifestement n’avaient jamais envisagé cette voie, ne peuvent plus jouer cette scène autrement que de manière fortement suggestive.

     

    Que faites-vous dès lors de l’image sulpicienne de ces anges rigoureusement symétriques, ou encore des marchands de sable et de rosée ?

    Cette symétrie est le lien inconscient que nous avons établi pour trouver notre solution. Autant nous avons évacué l’aspect religieux au sens sulpicien, autant nous avons exploité une sorte de religion enfantine, soit ce léger autisme dont les enfants font tous preuve avec la symétrie, et qui confère à ce qu’ils font entre eux une dimension magique, incantatoire, dont la signification nous échappe complètement. Nous n’avons pas non plus hésité à donner parfois dans le kitsch disneyen.

    Car nous n’avions pas de recette pour représenter le fantastique et le merveilleux dans Hänsel et Gretel. Il était plus intéressant de le traiter tantôt de manière psychanalytique, tantôt de manière absolument naïve, de façon à faire sourire les parents, ou rêver les enfants. Pour Sandmännchen et Taumännchen, nos options sont radicalement différentes : le marchand de sable est tiré de la réalité, tandis que le marchand de rosée appartient à la rêverie pure.

     

    Peut-on éviter la maison en pain d’épices ?

    Je l’ai fait ! Le but n’était certes pas de l’éviter pour l’éviter. Mais dans ce troisième acte où tout a un sens – sans pour autant brandir de grosses pancartes brechtiennes –, nous voulions au moins qu’elle soit liée à un événement qui a eu lieu au premier acte. D’autant que la morale du conte, même si elle est, dans ce cas précis, très religieuse, a une fonction symbolique : surmonter ses peurs, gagner en maturité. Car le conte est aussi un parcours initiatique, avec des épreuves à surmonter. La maison en pain d’épices est donc bien plus qu’une simple pâtisserie.

     

    Vos débuts à l’Opéra de Paris, et plus particulièrement au Palais Garnier, sont-ils une source d’inquiétude, ou plutôt l’occasion de réaliser vos rêves avec des moyens plus importants qu’à l’ordinaire ?

    Je n’envisage pas les choses en ces termes, mais de fait, les ateliers sont un rĂŞve. De quoi retrouver son âme d’enfant – et tout particulièrement dans la mesure oĂą j’ai vu au Palais Garnier mon premier opĂ©ra Ă  l’âge de quatre ans. Je pense souvent Ă  cette phrase que j’ai lue dans une interview de Pedro AlmodĂłvar : « Mon mĂ©tier consiste Ă  faire rĂ©aliser mes rĂŞves par d’autres personnes Â» – qui dans cette maison sont aussi nombreuses que talentueuses. Mais on y rĂ©pète comme partout ailleurs. Et Ă  partir de la seconde oĂą le processus s’enclenche, on oublie ces apprĂ©hensions qu’on a nourries jusqu’à deux minutes avant de commencer.

     

    Étiez-vous intimidée à l’idée de diriger une légende telle qu’Anja Silja ?

    La sorcière n’apparaissant qu’au troisième acte, nous avons commencĂ© Ă  rĂ©pĂ©ter sans elle. Et puis il y eut le jour fatidique, que l’OpĂ©ra n’a pas manquĂ© de faire mousser : « Madame Silja va arriver. Quand allez-vous rencontrer Madame Silja ? Â» Nous nous Ă©tions dĂ©jĂ  parlĂ© au tĂ©lĂ©phone, et je savais qu’elle aurait refusĂ© la production si elle avait dĂ©testĂ© notre conception. Elle est très professionnelle, facile et sympathique, extrĂŞmement drĂ´le, ouverte, vive. Et elle prend le mĂ©tro comme tout le monde pour venir rĂ©pĂ©ter aux Ateliers Berthier. Mais bien sĂ»r, c’est une lĂ©gende, et l’entendre parler est extraordinaire – avec aussi cette pointe d’autodĂ©rision qui invite Ă  faire des plaisanteries wagnĂ©riennes.

     

    Chaque opéra semble pour vous l’occasion d’explorer de nouvelles voies esthétiques. Ainsi, votre production de la Flûte enchantée de Mozart, créée à l’Opéra du Rhin en décembre dernier, évoquait avec un évident second degré un certain Regietheater – ce qui lui a d’ailleurs valu un accueil plutôt réservé de la presse française. Votre double culture vous rend-elle plus ou moins aventureuse selon les théâtres où vous travaillez ?

    Le processus de création ne fonctionne pas de cette manière. Julia Hansen et moi commençons à réfléchir, et soudain quelque chose se crée, les éléments se mettent en place et font sens. Plus que des choix, ce sont des questions de désirs. Comme toujours, il s’agit d’une interprétation, mais avec une trame narrative extrêmement claire – et même plusieurs, qui se mêlent et se tissent.

    Je ne cherche pas à ce que les spectateurs se sentent obligés d’écrire un traité sur la signification du moindre élément, mais qu’ils entrent dans la salle, ouvrent les yeux et regardent ce qui est raconté avec la même honnêteté que celle avec laquelle j’aborde les œuvres – et qu’en étant émerveillé, ils aient peut-être des idées qui surgissent ici et là. Mais les réactions ne me rendent pas plus précautionneuse – malheureusement peut-être. Et puis, quand on prend conscience de ce qu’on est en train de faire, il est déjà trop tard !




    À voir :
    Hänsel und Gretel d’Engelbert Humperdinck, direction : Claus Peter Flor, mise en scène : Mariame Clément, Palais Garnier, du 14 avril au 6 mai.

     

    Le 10/04/2013
    Mehdi MAHDAVI


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