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ENTRETIENS 28 mars 2024

Nicholas Angelich,
riche de cultures multiples

Né aux États-Unis d’une mère pianiste et d’un père violoniste, tous deux originaires d’Europe centrale, le grand pianiste Nicholas Angelich étudia à Paris avec les meilleurs maîtres, parmi lesquels Aldo Ciccolini et Yvonne Loriod. Rencontre informelle avec un artiste inspiré, aussi passionnant qu’attachant par son enracinement dans des cultures multiples.
 

Le 24/04/2013
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Qu’y a-t-il encore d’amĂ©ricain en vous ?

    Beaucoup de choses et, en même temps, pas beaucoup. Ou plutôt beaucoup, mais mêlées de façon assez contradictoires. J’ai vécu plus de temps en Europe qu’aux États-Unis et pourtant ceux-ci restent un élément très important dans ma vie et dans ma personnalité, ne serait-ce qu’à cause de mes parents.

    Ma mère était d’ascendance roumaine et slovaque et mon père venait du Monténégro. Musiciens tous deux, ils sont arrivés en 1965 en Amérique. C’était pour eux la réalisation du fameux rêve américain. Quand on a vécu sur deux continents aussi différents, on porte la marque de ce qui vous entoure. On a différentes sources d’inspiration.

    Quand j’avais vingt ans, j’étais ravi de vivre à Paris. C’était très simple. C’était ma ville. J’en étais amoureux. C’est plus tard seulement que j’ai commencé à sentir davantage le poids de ces cultures multiples, la présence dans mon vécu d’une sorte de dualité. J’ai compris devoir me débrouiller avec tout cela. Il est normal d’en prendre conscience avec l’âge. Dans ma vie, je n’ai pas eu cette chance – ou cette limite ? – de pouvoir me dire que je n’avais qu’un seul héritage, que tout venait du même endroit, ce qui peut aussi être une frustration.

    Dans ma famille, il y a beaucoup de choses compliquées, lointaines. Je le ressens plus avec le temps. Je commence à en mesurer vraiment l’importance. Je me sens très américain à certains égards mais surtout très respectueux pour ce que mes parents ont investi dans ce rêve. Mon père n’aurait jamais pu revenir en Europe. Cela fait presque trente ans que je suis européen et je me rends compte que contrairement à lui, j’ai fait ce retour.

     

    Qu’est-ce que l’Europe vous apporte de plus ou d’autre que les États-Unis n’auraient pu vous apporter ?

    Ce fut difficile pour moi de quitter les États-Unis. J’avais treize ans, un âge très particulier. J’étais ravi d’être à Paris, mais c’était un changement assez dur et radical. À l’époque, je n’étais pas du tout versé dans la technologie qui passionne les jeunes. Je ne le suis d’ailleurs toujours pas. Mais si cela avait été le cas, j’aurais eu davantage de connaissances et d’ouvertures sur le monde dans lequel j’allais entrer.

    Quand je suis arrivé ici, j’ai découvert une ville, une langue, des gens, une culture. Un tel changement d’univers peut apporter beaucoup. Cet environnement culturel nouveau m’a énormément influencé. Aux États-Unis, il y a beaucoup de concerts, des professeurs de musique incroyables, mais avec une grande variété d’origines, constituant un contexte très différent mais tout aussi riche. J’y aurais vécu une tout autre expérience.

     

    Les musiciens américains disent souvent qu’il leur est indispensable de se rapprocher à un moment ou à un autre des pays de cette Europe où la musique qu’ils jouent est née et s’est développée. Avez-vous ressenti cela ?

    C’est un apport de dĂ©couvrir toutes ces villes, tous ces pays. Ils sont forcĂ©ment plus exotiques pour nous que pour vous. D’oĂą tous ces artistes amĂ©ricains ayant vĂ©cu Ă  Paris et pour qui ce fut si important. Il m’arrivait de me moquer de mon père que j’accusais d’avoir gardĂ© ses habitudes de la « vieille Europe Â». Je me rends aujourd’hui compte Ă  quel point je me sens proche de cette celle-ci, expression qu’il ne faut pas prendre avec le sens pĂ©joratif qu’on lui donne souvent en politique, mais avec celui du berceau de toute la culture universelle.

     

    Plus que le voyage vers les sources, la minute de vérité n’est-elle pas finalement le moment où vous ouvrez la partition ?

    Absolument. Tout revient finalement à cela. Le texte musical est universel. Il appartient à tout le monde. C’est un cadeau au monde entier. Nous devons le comprendre. Notre rôle est de discerner ce qu’il contient, de le communiquer, en lui donnant une dimension qui soit presque palpable, comme un acteur qui connaît le texte mais qui doit l’interpréter, le reprendre, se reposer des questions, élargir le propos, essayer de comprendre tout ce qu’il y a autour.

     

    C’est une démarche à la fois intellectuelle et sensible, subjective et objective, une accumulation d’informations. Au stade de la carrière où vous en êtes, comment gère-t-on tout cela, l’acquis du passé, l’expérience du présent et la projection vers l’avenir ?

    On joue autant avec l’intellect que l’inspiration. Un côté est plus intellectuel, l’autre plus émotionnel, mais l’un ne va pas sans l’autre. On ne peut jouer juste une partition sans réfléchir ni totalement sur l’instinct. Quand on commence à aborder une œuvre, on peut avoir une idée de la direction vers laquelle on va mais on a d’abord envie de vivre une histoire avec elle. Après, on passe par d’autres phases. On réfléchit et on découvre des détails qui nous avaient échappés, on entrevoit des directions vers lesquelles on pourrait aussi se diriger.

    C’est un travail énorme, une vraie histoire qui peut totalement évoluer, avec des choix qu’on élimine et d’autres qui demeurent toujours. Mais tout part du texte. Il contient un nombre immense d’informations pas toujours explicites. On a la chance énorme de pouvoir le fréquenter sur la longue distance que représente une carrière. C’est une vraie histoire d’amour, et parfois, sinon de haine du moins de conflit, car on ne peut jouer que des compositeurs qui vous sont faciles.

     

    Quelle est votre histoire personnelle, avec Brahms, par exemple ?

    Un pianiste a un répertoire incroyablement vaste. Il se pose donc déjà la question du choix. Quand j’étais en Amérique, j’étais plus porté vers la musique romantique comme Chopin et la musique contemporaine. Ensuite, j’ai évolué vers le répertoire germanique, Mozart, Beethoven.

    À Paris, Aldo Ciccolini voulait me faire jouer le Troisième Concerto de Rachmaninov. Je l’ai fait de mauvais gré, pas vraiment bien, mais je lui ai joué aussi le Deuxième Concerto de Brahms. J’ai aimé Brahms pendant une longue période et on m’a proposé souvent de le jouer en concert et de l’enregistrer. Mais je jouais aussi Liszt, par exemple. En ce moment, je travaille beaucoup Schumann mais je ne veux pas l’enregistrer pour l’instant.

    On se construit petit à petit. Il ne faut pas s’enfermer dans une seule sorte de musique. Il faut travailler d’autres choses, chercher à apprendre. Si on joue de la musique française, il faut faire aussi bien Ravel que Debussy, car ils exigent un travail totalement différent sur le son.

    Construire un programme de récital est très difficile. Comment va-t-on se sentir dans telle œuvre si on la joue après telle autre ? Il faut trouver une certaine logique pour celui qui joue mais pour le public aussi, chercher des correspondances, des contrastes signifiants. Même chez un seul compositeur, certaines pièces ne fonctionnent pas entre elles car elles sont trop semblables ou trop contradictoires.

     

    Avez-vous des passions que vous pensez éternelles pour certains compositeurs, des incompatibilités totales avec d’autres, des envies inassouvies ?

    Je ne dis plus que je n’aime pas certaines œuvres ou certains compositeurs. Quand j’étais plus jeune, cela m’arrivait souvent et je me suis rendu compte ensuite que j’en étais venu à beaucoup aimer ce que je détestais alors. Je suis donc plus prudent.

    Certains compositeurs émergent quand même : Bach, Beethoven, Mozart, et Chopin vers qui je suis revenu. Il vaut mieux apprendre jeune et rejouer ensuite. Je joue toutes les sonates de Beethoven, mais pas encore toutes en concert. Communiquer deux ans à l’avance un programme à une salle est très compliqué.

     

    Vous avez eu beaucoup de grands maîtres très différents. Y a-t-il eu des influences prépondérantes qui vous servent davantage dans votre enseignement ?

    On n’est pas juste l’élève de quelqu’un. Ils m’ont chacun apporté quelque chose de différent. En outre, j’étais en constante évolution moi-même. J’ai commencé à comprendre à trente ans combien Aldo Ciccolini avait été important pour moi. Je dois beaucoup à Yvonne Loriod, une expérience très différente. À ma mère aussi. Pianiste, c’est elle qui m’a fait. Même si j’ai toujours été un peu en rébellion avec tout le monde, j’ai pris beaucoup chez tous.

    Aldo me laissait très libre tout en m’enseignant l’essentiel. J’ai commencé moi-même à enseigner jeune, vers vingt-cinq ans. Je ne le fais plus pour l’instant. Cela demande beaucoup de temps et d’énergie car il faut surtout essayer de trouver et de comprendre la personnalité de l’élève pour lui permettre une confrontation avec notre propre expérience. Le but est d’aider les élèves à devenir leur propre professeur.

    Mais cela demande du temps, beaucoup d’implication, à travers une relation qui marche… ou ne marche pas. Si cela ne fonctionne pas, chaque parti doit reprendre sa liberté. Nous avons une chance fabuleuse, car la musique est quelque chose de merveilleux, mais elle demande du temps, du travail, tout un investissement dans de multiples domaines. Merveilleux, mais très compliqué !




    Entendre Nicholas Angelich :
    Le 27/04 au Festival de Deauville
    Le 7/05 au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
    Le 11/06 au Théâtre des Champs-Élysées, Paris
    Le 13/07 au Château de Chambord

     

    Le 24/04/2013
    GĂ©rard MANNONI


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