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ENTRETIENS 24 avril 2024

Margain et Bellom,
même talent même combat

© Caroline Doutre

Même âge, même grand talent, même lucidité, même passion, même polyvalence, mêmes maîtres, Ismaël Margain et Guillaume Bellom, soutenus par la Fondation Singer-Polignac, sont, à vingt ans, chacun avec sa personnalité, de très brillants représentants de la nouvelle génération de l’école française de piano. Entretien croisé.
 

Le 02/05/2013
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Comment tombe-t-on dans le piano tout petit sans pouvoir en sortir ensuite ?

    Ismaël Margain : C’est très simple. Je suis né en Dordogne dans une famille où l’on faisait énormément de musique. À quatre ans, j’ai demandé à mon père d’acheter un piano. La passion est née de ce bain de musique dans la petite enfance et de l’éducation que j’ai reçue. S’ajoute certainement un élan personnel encouragé et encadré. J’ai fait des études secondaires normales, avec de la quatrième à la seconde des cours par correspondance, car je faisais plusieurs instruments dont la flûte et le saxophone, de l’harmonie, de la composition. Je suis retourné au lycée pour passer mon bac.

    Guillaume Bellom : C’est dû à mon contexte familial. J’avais des parents très mélomanes. Ils écoutaient de la musique toute la journée et tout le monde en faisait à la maison. Dernier de cinq enfants, je faisais mes devoirs à côté de ma sœur qui travaillait son piano, je m’endormais pendant que mon frère travaillait son violoncelle. Je ne me suis jamais posé de questions. Faire du piano me semblait normal, naturel et ma mère m’a beaucoup soutenu dans mon travail. À six ans, j’ai aussi commencé le violon, ce qui m’a permis d’intégrer très tôt les bases de sa technique qui sont moins naturelles que celles du piano.

     

    Quelle influence la pratique d’autres instruments a-t-elle eu sur votre apprentissage du piano ?

    Ismaël Margain : Mon premier professeur de piano m’a conseillé de pratiquer des instruments à vent ou du chant. On apprend beaucoup sur la conduite d’une phrase en travaillant sur la colonne d’air, la respiration, les intentions que l’on peut mettre dans une sonorité. Cela nourrit aussi le legato, le phrasé.

    Guillaume Bellom : Le violon est un instrument mélodique. Il construit des phrases de manière continue, ce que le piano imite. Faire du violon, c’est avoir cette conscience du phrasé du chant et aide beaucoup à tenter d’imiter cela avec des cordes frappées. Inversement, le piano étant un instrument très harmonique, il m’aide, au violon notamment en musique de chambre, à avoir une oreille harmonique et pas seulement une ligne unique.

     

    Quel est le moment où vous avec choisi de devenir pianiste ?

    Guillaume Bellom : J’ai fait des études secondaires normales et passé mon bac. Le choix du piano s’est fait naturellement quand je suis rentré à seize ans au CNSM. Nicholas Angelich m’a ouvert beaucoup d’horizons, me donnant une masse de travail qui m’a fait pratiquer davantage de piano et mettre un peu le violon en veilleuse. Je continue à travailler le violon très sérieusement, mais je resterai sans doute plus axé sur le piano.

    Ismaël Margain : Je n’ai jamais douté de la présence définitive de la musique dans ma vie. J’ai commencé très tôt à jouer en concert, à cinq ans. Ce n’était pas grand chose, mais cela m’a habitué au rapport avec le public que j’ai tout de suite adoré. Plus tard, à onze ans, après que j’ai joué un concerto de Mozart, un professeur est venu et m’a conseillé de continuer dans cette voie. C’était parti !

     

    Quels sont les maîtres qui ont le plus compté pour vous ?

    Guillaume Bellom : Nicholas Angelich sûrement. Et pas seulement son enseignement. Rien que de le voir jouer. Pour moi, cela valait tous les discours, tous les mots. C’était un exemple, même sans parler. Je m’en suis beaucoup inspiré. J’étais tellement admiratif que j’essayais parfois de le copier ! Avec le recul, j’ai vu que ce n’était pas la bonne manière.

    Ismaël Margain : Certainement Nicholas Angelich aussi, puis Roger Muraro. Angelich me fascine depuis que je l’ai découvert à quatorze ou quinze ans. En préparant le Conservatoire, je rêvais de rentrer dans sa classe. Il est parti quand j’étais en deuxième année, mais le rapport que j’ai eu avec lui a été passionnant. Il m’a donné plein de pistes de travail pour l’avenir. On discute, il montre, indique une direction. Ses exemples étaient terriblement attirants. C’est la plus belle sonorité que j’aie jamais entendue au piano. J’aime aussi beaucoup Roger Muraro qui me fait chercher sur d’autres plans. Tous les professeurs que j’ai eus m’ont aidé, car j’ai pris quelque chose chez chacun d’entre eux.

     

    Nicholas Angelich dit qu’un professeur doit apprendre à ses élèves à devenir leur propre professeur. Qu’en pensez-vous ?

    Ismaël Margain : C’est ce qui ressort de son enseignement comme de celui de Roger Muraro. Un professeur n’est pas là pour nous donner des solutions mais pour nous aider à réaliser nos idées et nos intentions car nous finirons par nous assumer seuls. Il ne s’agit pas de copier le professeur mais de saisir des idées sur le son, le rapport au clavier. Au final, c’est un travail personnel énorme que personne ne peut faire à notre place. J’ai aussi beaucoup travaillé en ce sens avec Jacques Rouvier.

    Guillaume Bellom : Un bon professeur est quelqu’un qui se rend inutile très rapidement, qui rend vite l’élève autonome. J’ai encore un pied au Conservatoire mais je sais très bien que dans un an, je vais devoir me retrouver face à moi-même, à devoir gérer mon travail de façon autonome. Nicholas nous faisait développer notre propre personnalité. J’ai eu beaucoup de professeurs et tous m’ont marqué pour différentes raisons, bonnes ou moins bonnes, ce qui finalement m’a aussi fait prendre conscience de ce que je voulais ne pas faire.

     

    Par quels compositeurs êtes-vous surtout attirés ?

    Ismaël Margain : Au Conservatoire, on nous encourage à parcourir tout le répertoire, en particulier du XIXe siècle mais aussi contemporain, de Bach et Rameau à Ligeti. Mais n’est pas un hasard si je viens de faire avec Guillaume un disque Schubert ni si mon prochain CD sera un Mozart. J’aime aussi beaucoup, Chopin et Beethoven. Je suis aussi plongé actuellement dans Debussy, Fauré, Ravel, une musique très agréable, mais exigeante, pas facile.

    Guillaume Bellom : J’ai beaucoup d’affinités avec le répertoire germanique, de Bach aux romantiques, peut-être parce que ma mère était professeur d’allemand. Et aussi les Français du début du XXe que j’ai découverts plus tard. Cela ne veut pas dire que je ne joue pas Liszt ou Chopin aussi. Je ne joue pas pour l’instant énormément de musique contemporaine, même si je trouve certaines pièces très belles. Je suis a priori ouvert à tout ce qui est de qualité.

     

    Qu’est-ce qui est facile et difficile pour vous dans le travail ?

    Ismaël Margain : Pas facile de se juger soi-même ! Ce qui demande facilité digitale, fluidité, virtuosité, ne me pose pas de problème. J’ai plus de mal avec des œuvres qui demandent un gros investissement physique, plus de poids. Roger Muraro me fait travailler en ce moment le concerto de Tchaïkovski. Des œuvres de ce type où il faut plus de puissance, d’endurance, une pâte sonore différente me sont moins naturelles. Mais il ne faut pas hésiter à s‘attaquer jeune à des œuvres très grandes, même si on ne les produit pas en public.

    J’ai déjà travaillé l’Opus 111 de Beethoven, la Sonate en si de Liszt, les dernières sonates de Schubert. Je suis sur la Quatrième Ballade de Chopin depuis huit ans. Il y a un parcours sur une œuvre. On change, on évolue, mais certains réflexes, certaines intentions reviennent automatiquement. La Fantaisie en fa mineur de Schubert qu’on vient d’enregistrer avec Guillaume, je la joue depuis l’âge de dix ans.

    Guillaume Bellom : Je crois avoir un certain instinct, quand je lis une musique, pour savoir ce que je vais en faire plus tard. Lire une partition éveille en moi beaucoup de sensations, me suggère de nombreuses intentions que je garde dans mon interprétation. C’est pourquoi je ne m’interdis pas de travailler des œuvres qui demandent une grande maturité et que je jouerai plus tard en public, car il faut vivre avec elles sur la distance pour les faire siennes.

     

    Donner un concert, est-ce toujours une fête ?

    Ismaël Margain : Forcément ! C’est extraordinaire de monter sur scène et de donner de la musique à tant de gens, de leur transmettre du bonheur, de la joie. C’est pour cela que je fais ce métier. Mais il y a un plaisir plus égoïste aussi. Le travail solitaire de recherche personnel procure aussi d’immenses joies très épanouissantes.

    Guillaume Bellom : C’est toujours un évènement, une envie, ce à quoi j’aspire en travaillant ma musique. C’est une rencontre exceptionnelle, avec un piano, d’abord, et puis avec des gens. C’est vraiment ma raison de vivre, la musique, émouvoir des gens, la vivre avec eux.

     

    L’enregistrement est un moyen très différent de communiquer avec le public.

    Guillaume Bellom : Je n’en ai qu’une petite expérience mais c’est très différent de se retrouver devant la froideur d’un micro. J’essaie de me mettre dans l’état d’esprit d’un instant présent, unique, aussi près que possible du concert. Mais il faut bien réfléchir à ce qu’on enregistre. Il ne faut pas ensuite le traîner comme un boulet toute sa carrière.

    Ismaël Margain : C’est particulièrement difficile. Je préfère largement le concert mais cela permet un autre type de travail, plus calme. Il faut se débrouiller autrement, trouver des émotions en soi, moins immédiates, avec un travail d’une autre nature. Un travail qui demande beaucoup d’énergie, de préparation sur la partition. Mais il faut rester sincère, soi-même, ne pas tricher.

     

    On a vu des jeunes de votre âge protester contre l’idée de prendre leur retraite au-delà de soixante ans. Qu’en pensez-vous ?

    Ismaël Margain : Pour nous, l’idée de retraite volontaire n’existe pas. Ce qui ne veut pas dire que si je ressens de faire un break, je ne le ferai pas. Mais c’est différent. Horowitz l’a fait ! Mais quand on voit comment Rubinstein ou lui jouaient encore en fin de carrière, on ne peut que souhaiter faire comme eux.

    Guillaume Bellom : Cette notion m’est totalement étrangère. Il n’est pas question de me dire qu’à soixante-dix ans, je fermerai mon clavier et irai terminer mes jours aux Bahamas sans faire de musique. Même si je ne peux plus jouer ni violon ni piano, je vivrai de la musique d’une manière ou d’une autre. Je ne pense pas que la notion de retraite puisse s’appliquer à un artiste.




    Où entendre Ismaël Margain et Guillaume Bellom :
    Ensemble : CD Aparte : Schubert : Fantaisie en fa mineur, Allegro en la mineur, Sonate en ut majeur Grand duo ; en concert : 10/05 : Fondation Singer-Polignac, 12/05 : Invalides, Paris
    Guillaume Bellom : 3 et 4/05 : Festival de Deauville, 5/06 : Bruxelles, 13/07 : Besançon, 27/07 au 10/08 : Août à Deauville
    Ismaël Margain : 8 et 10/05 : Festival de Deauville, 28 et 29/05 : Festival de l’Épau, 31/05 : Ruhr piano Festival, 2/06 : Festival de Sully, 18, 19 et 22/06 : Festival de la côte de Nacre, 27/07 au 10/08 : Août à Deauville, 10 et 16/09 : Piano aux Jacobins, Toulouse

     

    Le 02/05/2013
    Gérard MANNONI


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