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ENTRETIENS 26 avril 2024

Marianne Crebassa, au bon moment
© Luc Jennepin

Si le terme de révélation est souvent galvaudé, il n’en est pas de plus de juste pour qualifier Marianne Crebassa, qu’une ascension fulgurante a menée en moins de cinq ans de Montpellier à Salzbourg, en passant par l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris. La jeune mezzo donne au festival de Saint-Denis son premier récital entièrement consacré à la mélodie française.
 

Le 29/05/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’est-ce qui, après vos dĂ©buts fracassants au festival de Radio France et Montpellier dans les Hauts de Hurlevent de Bernard Herrmann, vous a attirĂ©e Ă  l’Atelier Lyrique de l’OpĂ©ra de Paris ?

    Tout s’est enchaîné très naturellement, et j’ai fait les bonnes rencontres au bon moment. Dès lors que je suis entrée au Conservatoire de Montpellier dans la classe de Nicolas Domingues, ma voix a commencé à évoluer rapidement. J’ai passé une audition de façon très nonchalante, voire un peu à contrecœur, devant René Koering, qui m’a vraiment donné ma chance. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de chanter des petits rôles à l’Opéra de Montpellier parallèlement à mes études. Et c’est en me retrouvant sur cette scène dans le cadre du festival de Radio France que j’ai su que je voulais en faire mon métier.

    Après avoir obtenu mon prix, mon professeur m’a demandé ce que j’envisageais de faire par la suite, en évoquant l’Atelier Lyrique. J’avais rencontré des chanteurs qui y étaient passé, notamment Ivan Geissler, qui m’a dit que j’avais exactement le profil et que je devais tenter le concours d’entrée. J’avais peu d’expériences de ce type, mais j’ai gagné du premier coup ! J’ai donc intégré l’Atelier Lyrique un peu fortuitement avec deux autres Français, Cyrille Dubois et Florian Sempey.

     

    Qu’y avez-vous appris ?

    D’abord à gérer ma voix au quotidien, la fatigue du travail avec les chefs de chant, et le stress des concerts dans des cadres aussi variés que le Palais Garnier, la Villa Médicis à Rome, l’Auditorium du Louvre et l’Amphithéâtre Bastille. C’est une discipline intense. Et puis nous sommes très exposés. Chacun des concerts de l’Atelier attire des journalistes, des agents, des personnalités importantes du monde musical. Il faut donc être capable d’assumer le label Opéra de Paris, qui ouvre énormément de portes.

    Surtout quand on est soudain projeté dans la vie de ce théâtre, parce qu’on y travaille tous les jours au contact des artistes : on croise Roberto Alagna dans l’ascenseur, on discute avec Renée Fleming à la cafétéria, on se lie d’amitié avec Jennifer Larmore. C’est la découverte des peintres, des costumiers, des machinistes. J’ai donc appris un peu tout en même temps. Étant donné l’enjeu des concerts, il faut aussi savoir se présenter, comment entrer, sortir, saluer. Et parler facilement à la radio.

     

    L’exposition médiatique, vous en aviez déjà fait l’expérience à Montpellier, grâce à quelques critiques dithyrambiques.

    Je n’y croyais pas. J’étais encore Ă©tudiante, sans la moindre connaissance de ce milieu, et le lendemain des Hauts de Hurlevent, RenĂ© Koering m’envoie un e-mail avec un lien vers la critique du Monde en m’écrivant : « Pas mal pour une dĂ©butante, une bonne critique de Renaud Machart ! Â» Pourtant, mĂŞme si je savais qu’on parlait de moi, j’avais l’impression que ce n’était pas moi. Et je n’en prends toujours pas conscience. Évidemment, cela m’a encouragĂ©e de sentir que j’avais rĂ©ussi Ă  transmettre ce que j’avais voulu. J’ai essayĂ© de le prendre très humblement en me disant : C’est super, ils ont apprĂ©ciĂ©, ce n’est que le dĂ©but !

     

    Dès votre première année à l’Atelier Lyrique, vous chantez l’Orphée de Gluck dans la version Berlioz. Un pari risqué…

    J’aurais pu refuser. Mais je venais d’intégrer l’Atelier, et j’avais été prévenue que j’allais interpréter ce rôle. Au départ, il avait été choisi pour l’autre mezzo, Alisa Kolosova, qui avait très envie de le chanter. Puisque les opéras sont présentés avec une double distribution, et que, sans être un mezzo dramatique, j’ai cette couleur un peu sombre, la direction a pensé que je pouvais le faire. Dans ce cadre, je ne courais aucun danger, et je ne regrette absolument pas d’avoir accepté, bien au contraire.

    J’ai beaucoup apprécié Dominique Pitoiset et Stephen Taylor, et notre échange a été riche, comme je les aime. J’ai senti un vrai désir de travailler avec ce que j’apportais, même si je n’avais pas beaucoup d’expérience de la scène, et encore moins du théâtre. Jamais Dominique et Stephen n’ont essayé de me coller l’image d’Orphée, ou d’une autre chanteuse avec qui ils avaient déjà travaillé. Et puis les histoires tragiques m’attirent !

     

    Qu’est-ce que cette expérience vous a enseigné sur vous-même et sur le métier ?

    D’un point de vue technique, j’ai appris à tenir la scène pendant une heure quarante, sans pause – et que ce n’était pas si difficile ! J’ai fait ce qu’on me demandait de faire, et j’y ai pris du plaisir. Mais comment ne pas savourer de tels moments, malgré les coups de fatigue ? Le sujet était délicat, de même que la manière dont nous l’avons abordé, et il m’a fallu un certain temps avant de sortir de toute cette noirceur. Mais j’étais tellement bien entourée, qu’il s’agisse des metteurs en scène, de Geoffroy Jourdain, avec qui je continue à travailler, ou encore de mes amis de l’Atelier Lyrique. L’expérience s’est avérée trop courte, car même si nous avons repris le spectacle à Bordeaux l’année suivante, je n’ai chanté Orphée que six fois.

     

    Aviez-vous déjà commencé à vous préparer à ce type de rôle au Conservatoire ?

    J’avais abordé l’air de bravoure d’Orphée, car il s’agit finalement de celui qui convient le plus à ma tessiture de mezzo lyrique. Et je connaissais évidemment J’ai perdu mon Eurydice. Mais je n’avais jamais envisagé le rôle en entier. Au Conservatoire, je travaillais tous types de répertoires, du baroque au contemporain, en passant par tout ce qui était à ma portée dans le domaine de l’opéra, qu’il s’agisse de rôles français tels que Siébel et Stéphano, de Mozart ou de Rossini. En trois ans, je n’ai évidemment pas eu le temps de tout explorer. C’est pourquoi, lorsque je suis face à mes partitions, en train d’apprendre des airs que tout le monde connaît, il m’arrive de penser que j’aurais dû rester deux ans de plus. Mais je ne regrette absolument pas mon parcours pour autant.

     

    Avez-vous craint que les choses n’aillent trop vite lorsque les engagements ont commencé à se multiplier ?

    Je n’ai jamais vraiment eu l’impression que ma carrière s’emballait. Comme l’a dit René Koering : Elle est prudente, mais elle n’a pas peur. Et il est vrai que j’essaie toujours de prendre du recul face aux événements, et de garder à l’esprit que l’objectif est de travailler ma voix et de parvenir au résultat que je souhaite, tout en continuant à avoir une vie en dehors de l’opéra. J’ai besoin de temps pour prendre des décisions et je n’aime pas du tout être pressée – mais dans ce métier, on l’est beaucoup !

     

    De ce point de vue, votre rencontre avec Marc Minkowski semble avoir encore accéléré le processus !

    Je ne sais pas comment lui l’a vécue, mais mon histoire avec Marc est amusante. Environ deux mois après les Hauts de Hurlevent, les Musiciens du Louvre m’ont contactée car il voulait m’entendre. J’ai refusé, car j’entrais à l’Atelier Lyrique, et il me fallait déjà mener de front plusieurs projets d’opéras. Nous travaillions tous les jours, je venais de déménager à Paris. En somme, j’étais complètement débordée. J’ai donc pris le risque de le faire patienter.

    Et le jour où nous nous sommes rencontrés, j’étais vraiment prête : je m’étais faite à l’idée que j’allais chanter devant Marc Minkowski, et surtout, j’auditionnais pour un rôle en particulier. Car généralement, on ne sait jamais trop pour quoi on se présente, on est toujours un peu mal à l’aise, alors on chante tout ce qu’on a sous les mains, les gens apprécient sans avoir forcément beaucoup d’idées, et cela ne débouche sur rien.

     

    Pour quel rôle avez-vous auditionné ?

    Irene dans Tamerlano, pour des concerts à Salzbourg et à Versailles, avec Plácido Domingo. Les choses sérieuses commençaient vraiment ! Évidemment, j’étais impressionnée de rencontrer Plácido Domingo, mais il est entré dans la pièce avec une telle humilité que j’ai eu du mal à croire qu’il était bel et bien cet homme simple et chaleureux. Et puis quelle force incroyable !

     

    Nouveau cadeau : Lucio Silla, toujours Ă  Salzbourg, et avec Marc Minkowski.

    J’ai l’impression quand j’en parle, de vivre dans le monde des Bisounours ! J’ai aussi des moments difficiles, surtout avant les productions, quand je suis seule chez moi, dans l’attente de ce qui va se produire. Sans doute beaucoup d’artistes éprouvent-ils ce sentiment. C’est durant ces périodes que je suis envahie par la peur d’être mal accueillie, de ne pas m’entendre avec mes collègues, et de ne pas être à la hauteur. Pourtant, quelque chose au fond de moi a quand même confiance. Si je suis là, c’est que quelqu’un m’a choisie.

    Néanmoins, l’enjeu de Salzbourg était tel que j’ai refusé de faire des concerts dans les deux mois qui précédaient la production, hormis le gala des trente ans des Musiciens du Louvre. Je sortais à peine de l’Atelier Lyrique, et j’avais besoin de respirer un peu pour me préparer à ce défi qu’est le rôle de Cecilio : quatre airs, un duo, un trio. Qui plus est à Salzbourg, aux côtés de Rolando Villazón, Olga Peretyatko, Inga Kalna, et sous la direction de Marc Minkowski. Comme si tout dans ma vie se faisait par chance.

    Dans ce cas, j’ai bénéficié de presque deux mois de répétitions avec le metteur en scène Marshall Pynkoski, qui est danseur et chorégraphe. Son esthétique est vraiment particulière, et j’ai eu besoin de l’intégrer dans mon corps pour parvenir au résultat qu’il souhaitait. J’avais le physique qu’il recherchait, et il a beaucoup travaillé avec moi. Toute l’équipe était magique.

     

    Comment réagissez-vous face à propositions, notamment pour ne pas brûler les étapes ?

    J’essaie de suivre mon instinct – si je sens bien les choses, je les accepte, et dans le cas contraire, je prends davantage de temps pour réfléchir. Le chant est un phénomène à la fois tellement physique, personnel, et lié à la psychologie, qu’il est impossible de tenir longtemps en faisant quelque chose contre son gré. J’ai la chance que mon corps réagisse très vite aux contraintes, et qu’il tire la sonnette d’alarme avant même que je réfléchisse.

    Je demande aussi conseil à mon professeur, qui connaît bien le métier et a beaucoup travaillé sur la psychologie, le corps du chanteur. Je l’appelle dès que j’ai un doute. Il me laisse généralement assez libre de mes choix, mais il peut aussi être intraitable sur certains rôles à ne pas aborder trop tôt, tout en m’encourageant à prendre des risques si le cadre s’y prête. J’ai aussi beaucoup discuté de répertoire avec mon agent. Aujourd’hui, ma limite serait Carmen, parce que je le ferai certainement un jour, et que je ne suis pas pressée de me lancer dans une telle aventure !

     

    Vous allez donner un récital au festival de Saint-Denis. Comment avez-vous conçu le programme ?

    La mélodie française s’est imposée comme une évidence. Par affinités avec certains compositeurs. J’ai beaucoup chanté les Chansons de Bilitis, car cet univers me correspond, alors que j’ai d’abord été attirée par Duparc, Chausson, leur écriture plus lyrique. Mais je me suis rendu compte que ma voix s’accommodait très bien du style de Debussy, au point de m’apporter une détente technique. Et puis, ce répertoire m’oblige à travailler vraiment sur le texte, ce qui est parfois moins le cas à l’opéra. Il s’agira d’un récital en noir et blanc, qui me reflétera assez bien dans la mesure où s’exprimeront deux facettes de ma personnalité : Debussy, Ravel, Poulenc, pour le côté amusant, un peu enfantin, piquant, mais en même temps subtil, et Chausson, pour le côté plus sombre et profond.




    À voir :
    RĂ©cital Chausson, Debussy, Ravel, Poulenc, Marianne Crebassa, mezzo-soprano, Alphonse Cemin, piano, festival de Saint-Denis, 2 juin.

     

    Le 29/05/2013
    Mehdi MAHDAVI


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