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ENTRETIENS 23 avril 2024

Torsten Kerl,
un Siegfried providentiel

© Bettina Stöß

Il est l’un des rares, sinon le seul, à chanter tous les rôles du répertoire wagnérien, de Rienzi à Parsifal. Et c’est à l’Opéra de Paris que Torsten Kerl a réservé la primeur de son Siegfried. Deux ans après, il est de retour pour le premier Ring complet de l’histoire de la Bastille. Et donne entre deux assauts un récital au Palais Garnier.
 

Le 03/06/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Votre approche de Siegfried a-t-elle Ă©voluĂ© depuis votre prise de rĂ´le en 2011 ?

    J’ai chanté le rôle plusieurs fois entre-temps, et je m’y sens plus en sécurité. Il est indispensable de se renouveler, par exemple en expérimentant de nouveaux tempi. D’autant que la distribution de Götterdämmerung est très différente de celle d’il y a deux ans.

     

    Dans Siegfried, vous portiez un nouveau costume. Qu’est-ce que cela a changĂ© pour vous ?

    Cette espèce d’uniforme d’école anglaise exprime plus clairement la dimension enfantine du personnage que la salopette d’origine. Avec sa veste, Siegfried a davantage l’air d’un bon garçon. Il fallait saisir cette chance, d’autant que j’ai perdu plus de vingt kilos depuis la création de cette production ! Plus généralement, j’essaie de montrer qu’entre Siegfried et Crépuscule des dieux, et contrairement à tous ceux qui l’entourent, Siegfried est resté le même. Qu’importe qu’il soit habillé comme un homme et que les expériences qu’il a vécues l’aient rendu un peu plus méfiant. Ce n’est qu’en mourant qu’il réalise qu’il a été manipulé. Wagner ne lui laisse donc absolument pas le temps de réfléchir. C’est typique du personnage de Siegfried, qui est à l’opposé de Wotan.

     

    Qu’a-t-il fait de tout ce savoir que lui a enseigné Brünnhilde ?

    Le philtre que lui a fait boire Hagen le rend suspicieux, mais pas envers ses amis – ou plutôt ceux qu’ils croient l’être et qui le tueront. Wotan sait tout, il veut toujours en apprendre davantage, et peut utiliser son savoir, tandis que Siegfried s’en remet totalement à son instinct.

     

    À la place de Siegfried, auriez-vous quitté Brünnhilde à la fin du prologue de Crépuscule des dieux ?

    C’est une situation très moderne, et typique de nos sociétés libérales : ils se rencontrent, ont une liaison, et puis chacun doit retourner travailler de son côté. Elle l’incite à partir vers de nouveaux exploits, et c’est tout à fait compréhensible. Un homme doit faire ce qu’il a à faire. Il n’a jamais rien appris d’autre qu’à se battre et chasser, et il devrait passer tout son temps à la maison avec elle ? Quant à Brünnhilde, elle reste extrêmement puissante et n’a aucune envie de passer sa vie à ranger la vaisselle. Ni l’un ni l’autre ne sont heureux, ce que la production de Günter Krämer montre parfaitement.

     

    Qu’avez-vous appris du personnage dans les autres Ring auxquels vous avez pris part ?

    J’ai chanté Siegfried en version de concert, et dans une seule autre mise en scène, celle de Götz Friedrich à la Deutsche Oper de Berlin. Si les décors et les costumes diffèrent, les deux visions présentent l’une et l’autre un gamin insouciant, qui frappe d’abord et réfléchit ensuite. Et si quelqu’un veut le tuer, il le tue en premier, sans passer à mal ! Il s’épanche, rit et pleure : c’est un personnage en noir et blanc, qui traverse différentes expériences sans vraiment savoir ce qu’il fait. Ces deux productions m’ont justement permis de saisir l’intérêt de jouer un rôle dont le caractère n’évolue pas d’un opéra à l’autre.

     

    Quel est votre secret pour chanter Siegfried de la première à la dernière note…

    Quand tant de ténors soit le hurlent, soit le parlent ? J’ai toujours pensé que c’était possible ! Il faut l’apprendre pas à pas. Je n’avais pas l’intention de chanter le rôle d’un bout à l’autre dès le premier jour. J’ai avancé autant que je le pouvais. Cela demande évidemment de l’entraînement, mais il convient de s’appuyer beaucoup sur la langue pour éviter de crier. Dans les passages où le débit du texte est très rapide, Wagner réduit tellement l’orchestre qu’il est presque possible de parler. Puis il faut chanter de nouveau. La difficulté – et l’intérêt – est de passer de l’un à l’autre. Alterner avec des rôles italiens ou français est un bon moyen d’y parvenir.

     

    L’attention de Philippe Jordan aux équilibres entre fosse et plateau a-t-elle été un avantage pour votre prise de rôle ?

    J’avais deux solutions : soit signer le contrat directement, soit rencontrer le chef avant. Philippe avait déjà dirigé le Ring dans un théâtre de répertoire, donc sans avoir vraiment le temps de répéter avec l’orchestre et les chanteurs, et il s’agissait ici de ses débuts dans une nouvelle production. Nous avons passé quasiment toute une journée ensemble à la Staatsoper de Berlin sur les principaux passages des deux opéras, et nous avons pris notre décision immédiatement : ce que j’ai fait lui a plu, et réciproquement.

    Il est important pour des débuts dans un tel rôle de pouvoir s’appuyer sur un chef capable d’adapter ses tempi aux besoins de la voix et de baisser le volume de l’orchestre quand le débit du texte l’impose. J’apprécie beaucoup que Philippe ne cherche pas à créer son propre Ring. Nous faisons vraiment ce qui est écrit, tout ce qui est écrit, de la manière dont Wagner l’a écrit. Ce n’est qu’une fois que nous l’avons assimilé que nous travaillons à développer nos propres idées, mais toujours en partant de la partition.

     

    L’interprĂ©tation de Philippe Jordan a-t-elle Ă©voluĂ© par rapport aux reprĂ©sentations de 2011 ?

    Qu’un chef d’orchestre aussi jeune, et qui dirige son premier Ring, le reprenne exactement de la même manière serait très ennuyeux. Je fais ce métier depuis près de vingt ans, et j’ai rencontré de nombreux chefs avec une mentalité McDonald’s : où que vous soyez dans le monde, le goût est toujours identique. Philippe est absolument à l’opposé.

     

    Comment avez-vous réagi à l’hostilité de la critique et d’une partie du public envers la mise en scène de Günter Krämer ?

    Certaines parties de ce Ring, non seulement dans la Walkyrie, mais aussi dans Crépuscule des dieux, ont été très mal reçues. Le public n’a pas non plus aimé le dernier acte de Siegfried, contrairement aux deux premiers, qui sont vraiment très amusants. Il m’arrive de ne pas comprendre pourquoi les critiques, qu’elles soient positives ou négatives, font si peu de cas de la réaction des spectateurs, au point de me demander si leurs auteurs ont bien assisté à la même représentation : tout le monde rit dans la salle, et ils écrivent que la production est ennuyeuse !

    On peut ne pas aimer Günter Krämer, mais on ne peut pas dire qu’il ne se base pas sur le texte. Par exemple, Mime est présenté comme un homosexuel. Mais ne dit-il pas à Siegfried qu’il est à la fois son père et sa mère ? Il ne peut évidemment être l’un et l’autre en même temps, mais il essaie de faire de son mieux, cuisinant comme une femme, et maniant le marteau comme un homme.

    Ce Ring est intéressant dans la mesure où il donne à réfléchir. L’époque où l’on amenait un cheval sur scène pour respecter les didascalies est révolue. Il faut accepter le changement, ne serait-ce que parce que les théâtres n’ont plus les moyens de reconstituer tout Séville dans Carmen ! Günter Krämer révèle la dimension philosophique qui sous-tend l’œuvre, ce qui induit inévitablement un point de vue subjectif.

    Wagner pose également un autre problème, celui de la langue. Les traductions forcément incomplètes proposées par les surtitrages ne peuvent rendre compte de tous les sous-entendus du texte, qui dès lors échappent aux spectateurs non germanophones. Il n’en reste pas moins que le public devrait se réjouir de voir les quatre volets du Ring à l’Opéra de Paris pour la première fois depuis plus de cinquante ans. Enfin nous allons faire un cycle complet – ce qui, à mon avis, n’est pas suffisant.

     

    À propos de production controversée, vous allez reprendre Tannhäuser à Bayreuth dans la mise en scène de Sebastian Baumgarten pour la deuxième année consécutive.

    À la création en 2011, la partition présentait de nombreuses coupures, non seulement à cause du ténor auquel j’ai succédé, mais aussi parce que le chef avait découvert que Wagner lui-même en faisait. De plus, la production était conçue comme un happening, avec des spectateurs sur scène et une installation assez lourde en guise de décor, dans une sorte de mouvement perpétuel, y compris durant les entractes.

    Lorsque je suis arrivé à Bayreuth, j’ai approuvé le choix de Christian Thielemann de rétablir l’ensemble des parties coupées. La mise en scène a également été modifiée. Le public a très bien su distinguer la partie musicale, grâce à une distribution apparemment à son goût et à la direction fantastique de Thielemann, et la dimension théâtrale, d’une scénographie qu’il n’aimait pas, mais à laquelle nous ne pouvions malheureusement rien changer.

    J’ai lu toutes les critiques, ce que je ne fais pas habituellement parce qu’elles vont d’un extrême à l’autre, et pas une seule n’était négative sur l’aspect musical, contrairement à la première année. Le scandale est retombé, et cette production est désormais sur la bonne voie. L’Atelier Bayreuth permet ce genre de tentative. Et il en va de même pour ce Ring, dont Günter Krämer a considérablement modifié la Walkyrie.

     

    Vous chantez les rĂ´les les plus lourds du rĂ©pertoire de tĂ©nor. Qu’est-ce qui vient ensuite ?

    J’ai abordĂ© tous les grands rĂ´les wagnĂ©riens, de Rienzi Ă  Parsifal. Il ne me reste donc plus qu’à les reprendre ! La saison prochaine, je vais inscrire Ă  mon rĂ©pertoire un rĂ´le qui m’a toujours attirĂ©, Boris dans Kátia Kabanová de Janáček. Je chante aussi l’Empereur dans la Femme sans ombre, mais il est vrai que lorsqu’on fait Siegfried, Tannhäuser et Tristan, on en revient toujours lĂ . J’espère aussi reprendre la Fanciulla del West, de mĂŞme qu’Otello. Le problème qui se pose aux interprètes de Siegfried est qu’entre les anciens qui prennent leur retraite et ceux qui dĂ©cident de ne plus le chanter, nous ne sommes pas assez nombreux pour rĂ©pondre Ă  toutes les propositions.

     

    Le récital est-il une respiration nécessaire ?

    Pour le Liederabend que je vais donner au Palais Garnier, j’ai choisi des compositeurs associés à mon nom. Je chanterai donc les Wesendonk-Lieder de Wagner, dont le texte est absolument neutre et qui peuvent très bien être interprétés par un ténor, du moins dans la version avec piano, puis du Korngold, puisque j’ai incarné Paul de la Ville morte pour la première fois en France, et enfin des mélodies de jeunesse de Zemlinsky, encore tributaires de Schumann et Brahms. Je donne trois ou quatre récitals par an.

     

    Le récital exige-t-il une discipline vocale différente de l’opéra ?

    Une salle plus petite permet de chanter plus doucement, mais à Garnier, il faut vraiment projeter la voix – mais il est vrai que je ne serai accompagné que par un piano. Je n’aime pas changer ma voix, ou imiter quelqu’un d’autre. Si quelqu’un veut entendre Domingo, autant aller écouter le vrai ! Il faut tout faire avec son propre instrument. Trop souvent, mes collègues essaient des rôles, s’y cassent les dents et font des déclarations fracassantes sur le fait qu’ils sont inchantables. J’ai lu que personne ne pouvait chanter Rienzi. C’est stupide ! Je l’ai enregistré en DVD il y trois ans, et je suis toujours là !




    À voir :
    Récital Wagner, Korngold, Zemlinsky, Torsten Kerl, ténor, Boris Bloch, piano, Palais Garnier, le 5 juin
    Götterdämmerung de Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille, jusqu’au 16 juin
    Der Ring des Nibelungen de Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille, du 18 au 26 juin

     

    Le 03/06/2013
    Mehdi MAHDAVI


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