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ENTRETIENS 26 avril 2024

Piotr Beczala, le rĂŞve de Tauber
© Anja Frers

Il vient de chanter le Requiem de Verdi à l’Opéra de Paris où il sera Rodolfo dans la Bohème en mars 2014 et publie chez Deutsche Grammophon un disque inattendu. Sous le titre de Heart’s Delight, une série d’airs d’opérettes allemandes comme aimait les chanter le grand Richard Tauber. Un défi, mais aussi le rêve de tout chanteur originaire d’Europe centrale.
 

Le 01/07/2013
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Quand et comment ĂŞtes-vous devenu chanteur ?

    J’avais fait une scolarité normale et complète, réussi mes examens dans les filières techniques. En dernière année, j’ai eu soudain envie d’aller auditionner pour entrer dans une chorale. Elle m’a conduit à une autre chorale, et de chorale en chorale, j’ai commencé à faire le long chemin menant au chanteur d’opéra. C’est la directrice d’un chœur professionnel qui a eu l’idée que je pouvais me diriger vers cette voie.

    Mais je ne connaissais rien à la musique, je ne savais pas lire une partition. Elle insista pour que je présente au Conservatoire de Katowice, où j’ai été pris. Ce n’était pas du tout dans mes plans, mais une fois que j’ai décidé quelque chose, je m’y tiens avec le plus grand sérieux. J’ai donc tout appris peu à peu et progressé aussi peu à peu.

    J’ai rencontré des gens merveilleux, comme Sena Jurinac avec qui j’ai suivi par deux fois des masterclasses qui m’ont vraiment aidé à reconstruire bien des choses. Mais au départ, je n’avais pas la moindre idée de ce qui m’attendait. Je n’ai rien regretté, mais je n’imaginais pas une seconde que le métier pouvait être aussi difficile.

     

    Comme le crient les italiens, ne faut-il pas ĂŞtre « bravo Â» c’est-Ă -dire courageux, pour aller en scène ?

    Certainement, même si l’on est sûr de soi et que l’on a tout fait pour qu’il n’y ait aucune surprise désagréable. Mais il faut aussi faire les bons choix, ne pas se tromper sur la distance. Certaines décisions sont dures à prendre en raison de leurs conséquences. Au début, je chantais trop souvent, j’ai donc dû faire des choix pour me préserver. Il faut apprendre de ses erreurs pour continuer à avancer. Je n’avais au début aucune certitude quant aux résultats que j’obtiendrais, mais je n’ai jamais regretté ma décision.

     

    Vous avez commencé par un répertoire plus léger que celui que vous chantez aujourd’hui, mais vous continuez quand même à chanter Mozart. Est-ce compatible avec Verdi et Puccini ?

    Au début, j’ai chanté tous les Mozart pendant six ou sept ans, mais aussi Werther et Alfredo de la Traviata. J’ai peu à peu fait évoluer mon répertoire vers Verdi et Puccini, mais je garde toujours Mozart. Pas des rôles comme Ferrando ou Belmonte, car je n’ai plus le son qu’un chef attend pour ce Mozart-là. Tamino est différent, presque un ténor dramatique. Je serai aussi Idoménée dans deux ans.

     

    Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir dans la profession de chanteur ?

    La combinaison de trois éléments : chanter, jouer et faire de la musique. Je trouve cela très gratifiant et amusant. J’aime incarner d’autres personnages que moi-même, et si vous avez de bons partenaires et un bon metteur en scène, vous pouvez réaliser quelque chose de vraiment merveilleux. J’ai des souvenirs formidables en ce domaine.

    Mais il ne faut pas que le metteur en scène vous mette en danger. On peut bien sûr bouger, se déplacer vite, faire plein de choses, mais pas n’importe quoi. Par exemple, on ne peut pas arriver en courant juste avant de chanter. Si vous êtes hors d’haleine, vous ne pouvez pas chanter correctement. Il faut être toujours en mesure de chanter le mieux possible. Nous sommes là pour ça.

    Nous devons nous expliquer avec le metteur en scène et gérer avec lui ce que nous pouvons réaliser ou pas de ses idées en fonction de la musique et de ce que nous chantons à ce moment-là. Ce ne sont pas de dieux mais des interprètes comme nous. Une bonne production est la combinaison de beaucoup d’éléments. Mon chant, l’orchestre, les partenaires, le décor, tout doit fonctionner ensemble. Je suis en général très ouvert, tant que ce que l’on me demande ne m’empêche pas de bien chanter.

    Beaucoup de metteurs en scène ne connaissent pas la musique et se servent de l’œuvre pour raconter une autre histoire que ce pour quoi elle est faite. Tant que cela reste fidèle à ce que la musique raconte, peu importe que ce soit même très moderne. J’ai chanté l’année dernière la Bohème dans une production moderne, mais qui correspondait parfaitement à la musique. Il n’y avait aucun problème.

    Je ne peux pas en revanche chanter quelque chose et jouer autre chose que ce que raconte la musique et être traité comme une marionnette. Le problème est que souvent, même les chefs ne sont plus prêts à protéger la musique. Certains acceptent que l’on change quelque chose dans la partition pour qu’elle corresponde à la vision du metteur en scène.

     

    Y a-t-il encore de grands chefs d’opéra qui soient capables de former la carrière d’un chanteur, comme les De Sabata, Serafin ou Giulini d’antan ?

    Ils sont très attentifs aux chanteurs car ils savent que s’ils participent au développement d’une carrière, ils se préparent à avoir un bon chanteur dans le futur. C’est très important pour nous quand nous sommes jeunes, car si on ne sait pas nous conseiller, nous pouvons être finis en dix ans. Et il y en a toujours un autre derrière. Donner leur vraie chance aux jeunes fait partie non seulement du travail des directeurs d’opéras mais des chefs d’orchestre.

     

    Avez-vous vous-même contrôlé l’évolution de votre voix et de votre carrière ou cela s’est-il produit au fil des propositions que l’on vous faisait ?

    Je ne me fie pas seulement à moi. Je suis entouré de toute une équipe, avec ma femme, mon agent, mon professeur. Quand on me propose un rôle qui me semble un peu limite pour moi, je regarde la partition, j’écoute des enregistrements, je regarde aussi la biographie de ceux qui l’ont chanté, à quel moment de leur carrière ils l’ont fait et avec quel résultat.

    Il faut toujours songer aux conséquences et pas seulement au plaisir immédiat. Notre carrière est en développement permanent. Si l’on arrête d’avancer, on coule, comme en natation ! J’ai toujours avancé plutôt lentement et je ne vois aucune raison de changer de stratégie. Jusqu’à ce que j’aie ce contrat avec Deutsche Grammophon, je me suis débrouillé tout seul, et ce n’est pas facile pour un ténor polonais indépendant de se faire une place dans le monde musical.

     

    Qu’y a-t-il de polonais en vous ?

    La sensibilité. Nous fonctionnons beaucoup avec le sentiment, avec l’âme. Mais comme j’ai aussi vécu en Allemagne, je suis assez rationnel. En fait, je me sens très Mitteleuropa. C’est d’ailleurs ce qui m’a attiré dans le programme que je viens d’enregistrer pour DG, avec ces airs d’opérettes viennoises et allemandes. Cela fait partie aussi de mes gènes. C’est un genre de musique qui permet à la voix de s’exprimer librement, avec autant d’impact qu’à l’opéra mais dans un contexte plus léger, plus proche du divertissement.

     

    Pensez-vous que vos moyens se développeront encore, et jusqu’à quel type de rôles ?

    Savoir jusqu’où l’on peut aller avec sa voix est très personnel. Il faut bien réfléchir et savoir que chanter un nouveau rôle, ce n’est jamais pour un seul spectacle. Si vous changer de type d’emploi, c’est pour une saison entière qui vous attend. Si vous franchissez un pas trop vite, vous ne pouvez plus revenir en arrière. Si vous évoluez plus lentement, vous pouvez toujours garder votre ancien répertoire.

    Si vous chantez Don José, Cavaradossi, vous pouvez tenter un soir Otello. Le défi n’est pas très grand. Mais c’est autre chose si vous devez le faire sur la distance avec la vraie couleur, la vraie interprétation, la bonne manière de projeter le texte. Je rêverais de chanter quelques Otello, seulement si je m’y sens bien. Mais je ne me sens pas une obligation de faire ces rôles lourds.

    Je serais très heureux que l’on se souvienne de moi comme un bon Duc, Werther ou Roméo. J’aime beaucoup Verdi, et Otello est le rôle ultime du développement de la voix verdienne, mais je ne prendrai aucun risque irréfléchi.

     

    Y a-t-il une manière différente de chanter les répertoires français et italiens quand on est polonais ?

    C’est une question de langue. Le français est très élégant, avec un phrasé indirect. En italien, tout se prononce directement. En français, il y a beaucoup plus de subtilités dans la prononciation. C’est pareil pour le phrasé. Ce n’est pas non plus la même culture, la même approche de l’opéra. Mais le répertoire français est très varié. Werther, Roméo, Don José, sont autant d’univers différents. Je vais aborder Hoffmann et je pense que s’y regroupe tout ce que l’on trouve dans les autres rôles de ténor français. L’expérience que j’ai de Werther, de Roméo, de Faust, me sera utile.

     

    Quel nouveau rĂ´le aimeriez-vous aborder ?

    Don José dans Carmen. Il faut une voix solide, mais le plus important est de savoir qui est Don José. Si c’est un émotif, un violent, un frustré. Il faut le déterminer car cela conditionne la manière dont on se servira de sa voix et comment on bâtira l’évolution du personnage à travers l’œuvre. Pour aborder un rôle nouveau et difficile, il faut bien analyser comment évolue le personnage et doser ses moyens pour tenir jusqu’au bout en restant fidèle à sa psychologie et toujours à la musique.




    À écouter :
    Heart’s Delight : The songs of Richard Tauber

    Lehár, Sieczynski, Kálmán, Tauber, Stolz, Erwin, Romberg, Bohm
    Piotr Beczala, ténor, Royal Philharmonic Orchestra, direction : Lukasz Borowicz
    CD Deutsche Grammophon 479 0838

     

    Le 01/07/2013
    GĂ©rard MANNONI


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