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ENTRETIENS 25 avril 2024

Raymond Duffaut,
mémoire vive

Trente ans après sa nomination à la tête des Chorégies d’Orange, Raymond Duffaut pourrait se complaire dans la nostalgie. Il n’en est rien, puisque toujours à l’affût des grandes voix de demain, il est l’instigateur de la nouvelle coproduction du CFPL avec seize maisons d’opéra, autour des Caprices de Marianne d’Henri Sauguet.
 

Le 03/07/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Pourquoi votre choix s’est-il portĂ© sur les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet pour cette nouvelle production du Centre Français de Promotion Lyrique ?

    Nous souhaitions, suite au succès du Voyage à Reims de Rossini, monter un nouveau projet. Depuis, le CFPL a reçu un soutien financier de la SACD, qui souhaitait que nous travaillions sur un opéra, sinon immédiatement contemporain, du moins plus récent. Il nous fallait donc trouver un ouvrage qui ne soit pas à l’affiche de manière régulière, ni ne requière un effectif trop pléthorique par rapport à la constitution des orchestres des seize théâtres coproducteurs, et où l’ensemble des tessitures vocales seraient représentées.

    Nous avons pensé à plusieurs titres du XXe siècle, et notamment Mârouf, qui avait cependant déjà été retenu par l’Opéra Comique, mais aussi Pénélope de Fauré et le Marchand de Venise de Reynaldo Hahn, qui exigeaient des masses artistiques que certaines maisons ne pouvaient prendre en charge. D’où les Caprices de Marianne, qui avaient par ailleurs l’avantage de s’appuyer sur une pièce et donc de permettre, au-delà des représentations elles-mêmes, un vrai projet de médiation culturelle. L’ensemble de ces critères et de ces paramètres nous a conduit à choisir cette œuvre créée en 1954 au Festival d’Aix-en-Provence, qui a fait l’objet d’un enregistrement avec Andrée Esposito, mais n’a été reprise que pour une ou deux représentations à Compiègne en 2006.

     

    N’était-ce pas aussi une manière, après le Voyage à Reims et sa distribution très internationale, de restreindre la sélection aux chanteurs français ?

    Pour Rossini, cinquante pays étaient représentés. Cette fois, les deux cent trente candidats que nous avons entendus étaient de vingt-huit nationalités différentes, ce qui me paraît assez considérable pour un ouvrage français. Il n’en est pas moins vrai qu’un tel choix permettait a priori de faire appel de façon plus systématique à de jeunes chanteurs français, ce qui est globalement le cas dans la sélection des artistes que nous avons faite.

     

    Que vous ont appris ces auditions sur l’état actuel du chant français ?

    Au-delà même du principe de ce projet autour des Caprices de Marianne, nous avons aujourd’hui beaucoup de chanteurs qu’il est possible de prendre en compte sur le plan qualitatif. Et s’il est difficile, à l’exception de quelques voix comme par exemple Sophie Koch, de monter certains opéras tels que les grands Verdi, Wagner ou Strauss, avec des Français, la majorité de notre répertoire national peut l’être, et de manière très valable, avec des chanteurs jeunes ou moins jeunes.

    Car on a un peu tendance à oublier la génération intermédiaire, qui comprend d’excellents éléments, dont certains se sentent parfois exclus de la démarche actuelle, principalement axée sur la promotion des jeunes chanteurs. Malheureusement pour des raisons financières, nous jouons de moins en moins de productions sur l’ensemble de nos maisons, de même qu’un peu partout dans le monde. La mondialisation touche d’ailleurs le domaine de l’opéra autant que les autres, ce qui impose à nos jeunes chanteurs d’être assez solides et exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes pour affronter la concurrence.

    Voici vingt ou trente ans, la voix était une condition nécessaire et presque suffisante. Aujourd’hui, elle demeure une condition absolument nécessaire – parce qu’il est inutile, du moins selon moi, d’envisager une carrière si tous les autres facteurs ne reposent pas sur un instrument de qualité –, mais elle est loin d’être suffisante. Le style, la musicalité, le phrasé, un physique correspondant aux personnages qu’on interprète s’ajoutent comme autant de critères indispensables pour les jeunes chanteurs qui souhaitent entrer dans la carrière. Car il ne faut pas les leurrer, ce métier est de plus en plus difficile.

     

    Les projets du CFPL ont-ils une dimension pédagogique, ou sont-ils uniquement orientés vers l’insertion professionnelle ?

    Nous ne sommes pas équipés pour la formation. Et d’ailleurs, ce n’est pas notre rôle – mais celui de structures telles que le CNIPAL à Marseille, l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin ou l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris. Notre but est d’essayer d’établir une liste de tous les jeunes chanteurs qui arrivent dans ce métier, pour les épauler dans leur insertion, en liaison avec les agents – à condition bien sûr qu’ils fassent bien leur travail, qui n’est pas simplement d’être un secrétariat, mais de s’intéresser aux artistes et de les aider à construire une carrière, un répertoire, ce qui est loin d’être facile, car certains n’ont pas toujours conscience de ce qu’ils doivent chanter, et à quel moment.

     

    En consultant la liste des candidats aux auditions des Caprices de Marianne, un constat s’impose : comparés aux sopranos et aux barytons, les ténors et les basses sont une denrée rare.

    De mémoire, 40% des candidates se sont présentées pour le rôle de Marianne. Mais finalement, le choix a été moins large que nous avions pu le penser. Il est vrai que le rôle requiert, un peu à la manière de Juliette ou de Manon, et bien que l’écriture ne soit pas comparable, une soprano qui aurait deux voix – ou deux sopranos –, légère au début de l’ouvrage, puis plus corsée en fin de parcours. De plus, certaines intonations sont assez délicates. Par conséquent, ce rôle s’est avéré le plus difficile à distribuer. Il n’en faut pas moins reconnaître que nous sommes relativement en panne de ténors et de basses, contrairement aux barytons. Parmi ces derniers, Alexandre Duhamel et Florian Sempey, l’un et l’autre avec des qualités et des répertoires différents, deviendront rapidement de très grands chanteurs.

     

    Quels sont non seulement les qualités, mais aussi les défauts les plus frappants des jeunes chanteurs que vous avez sélectionnés ?

    Si nous les avons choisis, c’est que nous estimions, par-delà la subjectivité de chaque directeur, qu’ils avaient les qualités nécessaires pour bien servir l’ouvrage. Bien que notre objectif ne soit pas de les former, nous les mettons dans des conditions particulières par rapport aux répétitions qui se déroulent habituellement dans chaque théâtre, puisqu’ils disposeront de six semaines, ce qui est plus que la moyenne.

    La plupart d’entre eux, et surtout les plus jeunes, auront besoin de cette période pour parfaire l’appréhension de leur rôle, notamment à cause, non pas des défauts, mais de l’absence, ou d’une conscience encore insuffisante du style, de la musicalité, etc. C’est pourquoi j’ai fait appel à un chef de chant de très grande qualité en la personne de Mathieu Pordoy. Ainsi, il est prévu que Zuzana Markova, l’une de nos deux Marianne, qui à seulement vingt-quatre ans présente des qualités formidables, soit confiée à ses bons soins au cours de l’année précédant les répétitions pour perfectionner son français, de manière à ce qu’elle arrive à Reims tout à fait prête.

     

    Une distribution, c’est aussi un équilibre entre les différentes voix.

    Comme pour le Voyage à Reims, et au vu du nombre de représentations, nous avons constitué deux équipes – d’autant que, contrairement à l’opéra de Rossini qui figure au répertoire de certains chanteurs, rares sont ceux qui seraient en mesure de reprendre les Caprices de Marianne au pied levé. Il nous faut les équilibrer en tenant compte des différences, mêmes minimes, entre tel ou tel dans chacun des personnages.

    L’intérêt pour chacune des maisons n’est pas d’avoir le sentiment de réunir ceux que nous pourrions considérer comme les meilleurs, par rapport à une deuxième distribution moins solide. Il n’en est pas moins vrai que l’expérience du Voyage à Reims a montré au fil des représentations des affinités, des évolutions très positives chez certains chanteurs, tandis que d’autres ont moins tenu que ce qu’ils avaient pu promettre. C’est la réalité du métier qui se fait jour.

     

    Si le chef d’orchestre a été choisi en amont, l’équipe de mise en scène a fait, comme pour le Voyage à Reims, l’objet d’un appel à projet.

    C’était une idée de Nicolas Joel, qui dirigeait à l’époque le Théâtre du Capitole de Toulouse. Si aucun n’est chef d’orchestre, à l’exception de Jean-Yves Ossonce, de nombreux directeurs sont metteurs en scène, ce qui pouvait rendre le choix extrêmement subjectif. Pour le Voyage à Reims, nous avions reçu plus de cinquante dossiers. Nous en avions sélectionné quatre, avant de retenir une jeune équipe italienne. Cette expérience s’est révélée très productive, car pour qui a vu la première représentation à Reims et la dernière à Bordeaux, le spectacle n’était plus le même.

    Nous avons donc choisi la même méthode cette année, et à ma grande surprise, nous avons reçu autant de dossiers pour les Caprices de Marianne. Nous en avons gardé six plutôt que quatre, car il nous semblait dommage d’en exclure deux autres que nous trouvions intéressants, et le choix définitif se fera en octobre, à partir d’un projet complet et détaillé. Tous les styles sont représentés, non par volonté de privilégier une esthétique traditionnelle, ou au contraire une relecture, mais par rapport à l’intérêt de la proposition et à la manière dont elle pouvait être envisagée.

     

    Une telle coproduction, qui réunit pas moins de seize maisons d’opéra, ne risque-t-elle pas de réduire l’offre artistique ?

    Lorsque nous avions monté le Voyage à Reims, Georges-François Hirsch, qui était à l’époque directeur de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles, avait beaucoup soutenu le projet, affirmant à l’issue de la première à Reims qu’il devait servir de modèle à toutes les maisons d’opéra. Il faut certes le faire de temps en temps, dans la mesure où il s’agit du seul cas, dans le domaine de l’opéra, où nous avons réussi à faire coproduire ensemble seize maisons, grandes et petites, avec ou sans masse artistique. Mais il faut aussi que chaque maison garde sa personnalité, son image propre, car c’est ce qui fait la réalité de l’opéra sur le territoire hexagonal.

    Autrement, nous assisterions à une uniformisation de l’offre lyrique, non seulement vis-à-vis du public, mais aussi des artistes, et plus particulièrement de ceux qui n’auraient pas la chance d’être engagés sur ce type de projet. Il reste évidemment les mesures intermédiaires, c’est-à-dire des coproductions entre deux, trois ou quatre théâtres.

    À la différence près qu’il y a vingt ou trente ans, l’Opéra d’Avignon s’associait facilement à des maisons comme Bordeaux ou Toulouse, car les disparités budgétaires n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Des fossés se sont creusés, et autant Lyon, Strasbourg, Toulouse et Bordeaux peuvent éventuellement coproduire ensemble, autant il est hors de question pour Tours, Metz, Rouen, Rennes ou Avignon de jouer dans la même cour, parce que nous naviguons dans d’autres sphères budgétaires.

     

    La variété de l’offre artistique passe aussi par une ouverture du répertoire.

    Nous jouons aujourd’hui des titres qui n’étaient jamais affichés par le passé. Car autant certaines œuvres qui n’auraient attiré personne font aujourd’hui salle comble, autant des opéras tels que Faust qu’il aurait été impensable de ne pas programmer chaque saison il y a trente ou quarante ans, font désormais moins recette. L’évolution est donc considérable au niveau du répertoire, et partant des goûts du public.

     

    Pourtant, vous avez dû annuler une des deux représentations du Vaisseau fantôme de Wagner cette année aux Chorégies d’Orange.

    J’ai participé sur France Musique à un débat avec Bernard Foccroulle qui, à un autre niveau – car fort heureusement pour lui, et hélas pour moi, le subventionnement du Festival d’Aix-en-Provence n’a rien à voir avec celui d’Orange –, se trouve confronté au problème que nous vivons, en ce que nous ressentons comme jamais jusqu’ici les effets de la crise du point de vue des réservations. Le paradoxe veut que Rigoletto marche moins bien que les autres titres, ce qui m’a amené à dire que ce répertoire était davantage associé à Orange qu’à Aix-en-Provence.

    En ce qui concerne le Vaisseau fantôme, nous sommes aussi face aux conséquences de la crise économique et financière, et de l’hésitation du public qui touche principalement – nous avons fait le même constat Bernard Foccroulle et moi –, les places à prix médians. Car les billets les plus chers continuent à se vendre dans la mesure où l’offre est limitée à une ou deux représentations, tandis que les tarifs populaires se sont arrachées comme jamais. Mais au-delà de ces considérations, aucun Wagner n’a été donné à Orange deux fois. Si l’on se réfère au Ring qu’avait programmé Stéphane Lissner au Grand Théâtre de Provence, soit une jauge d’environ 1250 places, nous sommes loin, avec quatre représentations, et donc 5000 places, des 8000 d’une seule soirée à Orange.

    Peut-être était-ce une fausse bonne idée, comme lorsque j’avais donné la Tétralogie, de vouloir célébrer Wagner aux Chorégies en affichant deux fois le Vaisseau fantôme, et nous avons pris la décision d’annuler la seconde représentation de manière à éviter d’aller droit dans le mur dès le départ. D’autant que nous avons des critères d’évolution de la location et que nous sentions bien qu’elle ne marcherait absolument pas. J’aurais d’ailleurs tendance à citer ce que nous ont dit les personnes que nous avons rencontrées au Ministère de la Culture : notre rôle est de présenter de grandes œuvres populaires au plus large public.

    Si nous avions d’autres équilibres budgétaires, je prendrais volontiers des risques. Mais il n’empêche qu’en dépit du renouvellement des mises en scène, des chanteurs et des chefs, le fait de programmer trop régulièrement les mêmes titres, fussent-ils les plus populaires, risque de les user. Nous sommes loin d’un Maurice Fleuret qui, évidemment très porté sur la musique contemporaine, me disait lorsqu’il était directeur de la Musique qu’il n’était absolument pas normal que les Chorégies ne fassent pas de créations. Je lui ai répondu que même s’il acceptait – ce qu’il ne ferait pas parce qu’il n’en aurait pas les moyens – d’assurer le déficit de ce genre de production, je refuserais, parce que sur deux ouvrages, si nous vidions les salles en jouant une création, quelle reconquête du public à faire l’année suivante !




    À voir :
    Der fliegende Holländer de Richard Wagner, direction : Mikko Franck, mise en scène : Charles Roubaud, Théâtre antique d’Orange, le 12 juillet 2013

    À suivre :
    Les Caprices de Marianne d’Henri Sauguet, direction : Claude Schnitzler/Gwennolé Rufet, mise en scène : à déterminer. Coproduction du CFPL avec l’Opéra-Théâtre du Grand Avignon, l’Opéra national de Bordeaux, l’Opéra-Théâtre de Limoges, l’Opéra de Marseille, l’Opéra de Massy, l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, l’Opéra national de Montpellier Languedoc-Roussillon, l’Opéra de Nice, l’Opéra de Reims, l’Opéra de Rennes, l’Opéra de Rouen Haute-Normandie, l’Opéra-Théâtre de Saint-Étienne, l’avant-scène opéra/Suisse, le Théâtre du Capitole de Toulouse, l’Opéra de Tours et l’Opéra de Vichy, création le 17 octobre 2014 à l’Opéra de Reims.

     

    Le 03/07/2013
    Mehdi MAHDAVI


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