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ENTRETIENS 27 avril 2024

Sébastien Daucé, en tête-à-tête avec Charpentier
© Molina Visuals

Un quart de siècle après William Christie et ses Arts Florissants, Sébastien Daucé confie aux micros d’Harmonia Mundi son interprétation des Litanies de la Vierge de Marc-Antoine Charpentier. Plongée lumineuse et éloquente au cœur du XVIIe siècle français, dont le fondateur du jeune Ensemble Correspondances révèle à Royaumont une autre figure majeure, Étienne Moulinié.
 

Le 04/09/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’est-ce qui vous a attirĂ© vers Charpentier ?

    Mon affinité pour la musique française du XVIIe siècle s’est déclenchée assez vite. Plus j’ai avancé dans la connaissance de ce répertoire, plus j’ai été aimanté vers ce compositeur. En effet, son parcours est très différent de la norme de son époque, de par ses études, son voyage à Rome, comme par sa carrière. Cela donne lieu à une production très originale comparée à celles de Lully et de Campra.

    De plus, parmi la multitude de partitions qui nous sont parvenues, un très grand nombre est de sa main. Suivre ce compositeur à travers sa propre plume et tous les indices qu’il glisse dans ses partitions me l’a rendu particulièrement attachant. Enfin, la qualité de sa musique, savante autant qu’expressive, collée au sens du texte sans effet de manche ni séduction déplacée, nous lie à Charpentier depuis six ou sept ans, avec l’envie de continuer à explorer son œuvre pendant plusieurs années.

     

    De par les effectifs qu’il emploie, Charpentier apparaît comme un terrain idéal pour un jeune ensemble.

    Contrairement à Campra, dont les petits motets ne sont pas du même niveau que la production lyrique, l’écriture de Charpentier est toujours de très grande qualité, qu’il s’agisse de motets à trois voix ou d’œuvres beaucoup plus développées pour les Jésuites, ou des contextes plus fortunés. Cela permet, que l’on soit douze ou vingt-cinq musiciens – ce qui est à peu près notre ambitus aujourd’hui –, de toucher des répertoires dont l’intérêt musical est évident.

     

    Comment avez-vous composé le programme de votre nouveau disque, le troisième, et le premier chez Harmonia Mundi ?

    Le but de notre résidence de trois ans au festival Musique et Mémoire, en Franche-Comté, était de créer un ou deux nouveaux programmes par, non seulement dans le cadre du festival, mais qui auraient aussi vocation à être soit enregistrés, soit diffusés durant les deux ou trois années suivantes. J’avais donc déjà en tête cette série de motets composés pour le contexte très particulier de l’hôtel de Guise, avec là encore un effectif qui n’a rien à voir aux ceux de l’époque.

    Au sein de ce corpus, j’ai choisi trois motets, dont les Litanies de la Vierge, une œuvre qui pour une fois, en tout cas depuis le début de notre parcours, est un peu plus connue – et a déjà été enregistrée à plusieurs reprises –, alors que les deux autres sont moins balisées, et ce en dépit de la grande postérité du Miserere des Jésuites chez les musicologues. Pour l’ensemble, il s’agit d’une évolution non seulement du point de vue des effectifs, puisque nous sommes passés de douze à seize musiciens, mais aussi du travail. À huit chanteurs au lieu de trois se pose notamment, même à un ou deux par voix, le défi de l’homogénéité, auquel nous n’avions pas été confrontés auparavant.

     

    Vingt-cinq ans séparent votre enregistrement de celui des Arts Florissants, déjà chez Harmonia Mundi. Qu’est-ce qui a changé dans l’interprétation de Charpentier depuis cette époque pionnière ?

    Sur le plan technique, nous jouons aujourd’hui cette musique à un diapason plus bas. D’autre part, les chercheurs ont poursuivi leur travail, et les travaux de Patricia Ranum et de Catherine Cessac nous renseignent beaucoup sur le contexte de l’hôtel de Guise. Je ne parlerai pas pour autant en termes d’évolution. Nous sommes simplement une tout autre équipe, qui abordons le répertoire polyphonique après avoir fréquenté une bonne partie des petits motets.

     

    Comment un jeune ensemble français parvient-t-il à se détacher de la figure tutélaire de William Christie en abordant ce répertoire qu’il a marqué de son empreinte ?

    J’ai eu la chance de discuter avec lui lorsque je travaillais sur l’édition d’œuvres de Charpentier. C’est un très fin connaisseur, toujours ouvert après un bon nombre d’années d’expérience, alors qu’il pourrait se contenter de reproduire ce qu’il a déjà fait. Peut-être sommes-nous la première génération de musiciens intéressés par le répertoire baroque français à ne pas avoir collaboré directement avec lui. Nous n’avons donc pas eu à lutter contre tout ce que nous aurions assimilé en jouant pendant dix ans aux Arts Florissants pour forger notre propre langage. Dès lors, l’emprise de William Christie s’exprime surtout à travers une admiration pour le travail réalisé depuis trente ans et grâce auquel nous avons sans doute tous appris à aimer Charpentier.

     

    On est frappé dans votre enregistrement des Litanies de la Vierge par une forme de continuité dans la ferveur et l’éloquence, qui tranche avec les contrastes parfois forcés de versions plus anciennes.

    Charpentier se distingue par une forme d’intériorité absolue, et il suffit de bien faire ce qui est écrit, de ne jamais chercher l’effet ou l’artifice, pour que la ferveur s’entende. Ce qui n’empêche pas la variété, qu’elle soit déjà inscrite dans la partition, ou qu’il faille la reconstituer en se basant sur ce que le compositeur a fait dans d’autres œuvres.

    Ainsi, le Miserere a connu plusieurs états, d’abord avec deux dessus de viole chez les Guise, puis chez les Jésuites avec un plus grand effectif. J’ai repris l’idée d’une œuvre vivant en fonction du contexte : l’Ensemble Correspondances comprenant deux violons et deux flûtes, j’ai choisi de garder cette équipe. Cette recherche de couleurs différentes donne le plus de relief possible, sans pour autant chercher à faire plus que ce qui est écrit. Dans le Miserere, j’ai décidé de faire tous les enchaînements tels qu’ils apparaissent dans la partition, sans sections supplémentaires, ni grands ralentis, ni effets particuliers à l’entrée du chœur.

     

    À cet égard, la continuité caractérise également le traitement vocal. Vous semblez ne jamais chercher à opposer les parties solistes et chorales.

    Nous connaissons exactement le nombre de chanteurs présents à l’hôtel de Guise à l’époque de Charpentier, qui marquait leur nom sur les partitions. Ainsi, nous pouvons suivre Mlle de Grandmaison, qui était bas-dessus, dans une dizaine d’œuvres et en déduire sa typologie vocale. Âgés de vingt à trente ans, ces interprètes en plein développement personnel et musical pouvaient à la fois chanter seuls, avec une très bonne maîtrise technique et expressive, et en ensemble.

    Nos chanteurs correspondent à ce profil intermédiaire : dotés de qualités vocales nettement suffisantes pour assumer des parties solistes, et en même temps capables de travailler pendant trois heures sur des questions d’homogénéité, tout en ayant des timbres très différents. Ces caractéristiques confèrent à une œuvre comme les Litanies de la Vierge un souffle naturel et évident.

     

    Outre la question des effectifs, quelle est la spécificité des motets écrits pour la maison de Guise comparés à d’autres œuvres de Charpentier ?

    L’écriture à six parties, en l’occurrence interprétées par huit chanteurs, est assez inhabituelle en France. L’écriture standard du XVIIe siècle est à cinq parties, avec quatre parties d’hommes et une partie de dessus souvent chantée par des enfants, alors que l’écriture à quatre parties apparaît progressivement dans le grand motet, sur le modèle italien.

    Les six parties des motets pour la maison de Guise permettent une très grande densité polyphonique, d’autant que le compositeur attribue à toutes les voix une importance égale, ainsi qu’un jeu continuel d’alternance quasiment à double chœur entre femmes et hommes qu’on ne retrouve pas du tout dans les autres œuvres de cette époque. Enfin, le sens de l’enchaînement et de la forme, qui parfois n’est pas totalement abouti dans sa production lyrique, atteint son apogée dans ces pièces intermédiaires d’une durée de dix et vingt minutes, particulièrement dans ce chef-d’œuvre absolu que sont les Litanies de la Vierge.

     

    Avez-vous eu le sentiment, en créant l’Ensemble Correspondances, de combler une lacune dans le paysage musical par rapport à un répertoire qui n’était pas assez joué ?

    Il s’agissait plutôt de l’envie de réunir autour de moi une dizaine de musiciens qui n’étaient pas forcément très familiers de cette musique, et de partager mes connaissances avec eux. Il fallait qu’ils soient prêts à travailler pendant un an sans argent ni concerts, pour apprendre, déchiffrer énormément de musique, et en même temps rester six mois sur trois motets, avec la plus grande exigence sur la moindre couleur, la justesse, les ornements. C’est de cette attention au détail que nous avons besoin, plutôt que de combler une lacune.

    Nous voulions creuser plus loin, ce qui a finalement débouché sur l’exploration de l’ensemble du XVIIe siècle avant Charpentier. Il est particulièrement stimulant, alors que des musiciens font depuis trente ans un travail de redécouverte absolument incroyable, de parvenir à trouver de la musique comme celle de Boesset, un compositeur majeur, dont l’œuvre est tout sauf la production obscure d’un petit maître de chapelle !

     

    Le programme que vous allez donner à Royaumont est dédié à de rares pièces sacrées d’un compositeur appartenant également à la génération précédant celle de Charpentier, Étienne Moulinié.

    Durant l’année que j’ai passée à enseigner au Pôle supérieur Paris Boulogne, nous n’avons fait que travailler sur les Meslanges de Sujets chrétiens de Moulinié, et je me suis rendu compte à quel point cette musique était prodigieuse. C’est une façon de renouer avec le défi de Boesset que d’aborder un répertoire moins défriché par la génération précédente, et pour lequel nous avons de ce fait moins d’automatismes.

    Plus nous fréquentons cette musique, plus elle m’apparaît primordiale dans le XVIIe siècle français, tant par la densité du contrepoint et la subtilité de la polyphonie que par l’ornementation. Il reste cependant beaucoup d’inconnues sur la manière de la jouer, car elle n’a rien d’évident si on se contente de la déchiffrer rapidement au clavier. C’est pourquoi j’ai proposé ce séminaire de recherche à la Fondation Royaumont sur le modèle de celui consacré l’année dernière aux Histoires sacrées de Charpentier.

    Nous avons réuni musicologues, historiens et spécialistes de la prononciation au XVIIe siècle autour d’un programme élaboré à partir des questions que je me posais. Ce travail absolument formidable a nourri tous mes choix par la suite, qu’il s’agisse des effectifs, de l’ornementation, et plus largement de trouver le maximum d’indices pour poser les bases de notre interprétation.

    Une telle démarche nous ouvre les oreilles, les yeux et la tête. C’est une façon d’apporter notre petite pierre à l’édifice, non seulement en termes de connaissance du répertoire, mais aussi sur la manière de jouer cette musique. Car il est essentiel pour un jeune ensemble de ne pas uniquement s’appuyer sur les acquis des trente dernières années. De tels projets sont aussi notre raison d’être, même si j’ai bien conscience – et on me le rappelle souvent – qu’ils ne sont pas tout à fait vendeurs et commerciaux…

     

    Dès lors, comment faites-vous pour vous vendre ?

    À Royaumont, nous avons joué l’année dernière un programme Charpentier, avec notamment une histoire sacrée inédite. L’équipe de la fondation a été sensible au travail que nous avons réalisé dans le cadre de la résidence de recherche, et le concert s’est très bien passé. Cela l’a incitée à prendre davantage de risque pour notre deuxième participation. Solliciter le courage des programmateurs est d’autant plus délicat en ce moment qu’ils doivent faire face à des restrictions budgétaires. Il est évidemment plus facile de proposer au public du Haendel ou du Bach, mais il se trouve encore des personnes capables de poursuivre le travail de défrichage et de faire confiance à des musiciens qui ont des choses nouvelles à dire sur un répertoire moins connu.




    À écouter :

    Litanies de la Vierge, Motets pour la Maison de Guise de Marc-Antoine Charpentier, Ensemble Correspondances, Sébastien Daucé (direction), CD Harmonia Mundi HMC 902169

    À voir :
    Motets pour Gaston d’Orléans d’Étienne Moulinié, le 7 septembre à la Fondation Royaumont
    Motets pour la Maison de Guise de Marc-Antoine Charpentier, le 26 septembre au Festival d’Ambronay, le 29 septembre au Festival Baroque de Pontoise, le 19 octobre au Festival de Lanvellec
    Le Concert royal de la Nuit, grand divertissement pour le jeune Louis XIV, le 28 septembre au Festival d’Ambronay

     

    Le 04/09/2013
    Mehdi MAHDAVI


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