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ENTRETIENS 26 avril 2024

Susanna Mälkki par-delà les siècles
© Tanja Ahola

Une femme dans la fosse de l’OpĂ©ra de Paris ? Si Susanna Mälkki a rĂ©ussi son examen d’entrĂ©e face Ă  l’orchestre en dirigeant Siddharta de Mantovani, la reprise de l’Affaire Makropoulos de Janáček est une occasion rare d’entendre cette spĂ©cialiste de la musique d’aujourd’hui dans l’un des ouvrages lyriques les plus fascinants du dĂ©but du siècle dernier.
 

Le 13/09/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous ĂŞtes connue en France comme spĂ©cialiste de musique contemporaine. Or, bien qu’étant l’ouvrage lyrique le plus rĂ©cent programmĂ© cette saison Ă  l’OpĂ©ra de Paris, l’Affaire Makropoulos a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1926. Cette partition est-elle proche de votre quotidien de chef d’orchestre ?

    Les années que j’ai passées à la tête de l’Ensemble Intercontemporain ont évidemment beaucoup marqué en France, et surtout à Paris. Mais j’ai également dirigé les répertoires classique et romantique durant toute ma carrière. Je suis donc ravie d’avoir l’opportunité d’aborder cette partition à Paris.

     

    La grosse machine de l’opéra, et plus particulièrement ce qu’on appelle le répertoire vous sont-ils familiers ?

    Il est vrai que je n’ai pas dirigé beaucoup de grands classiques. Mais j’en ai abordés quelques-uns, parmi lesquels le Chevalier à la rose, il y a presque dix ans maintenant. Pour ce qui est des grandes machines, le répertoire symphonique compte aussi des œuvres gigantesques. Naturellement, la plus grande différence est la présence du théâtre. Mais c’est aussi ce qui me fascine. Il ne s’agit pas d’une difficulté supplémentaire, bien au contraire. Disposer d’une palette sonore infinie, en étant entre les mains d’un très grand compositeur, donne encore plus de possibilités.

     

    Même si vous avez fait vos débuts face à l’Orchestre de l’Opéra dans le ballet Siddharta, vous êtes la première femme à le diriger dans un ouvrage lyrique depuis vingt ans.

    C’est incroyable, n’est-ce pas ? Un ami me racontait qu’il avait été amusé d’entendre des musiciens dire il en parlant de moi, et non elle, sans doute parce qu’ils désignaient la fonction plutôt que la personne. J’ai trouvé que c’était plutôt un compliment !

     

    L’Affaire Makropoulos marque-t-elle une rupture avec les prĂ©cĂ©dents opĂ©ras de Janáček, tels que Jenůfa, Káťa Kabanová et la Petite renarde rusĂ©e ?

    Peut-ĂŞtre l’orchestration de Jenůfa n’est-elle pas aussi aboutie que celle de l’Affaire Makropoulos, qui est une Ĺ“uvre parfaite. Peut-on pour autant parler de rupture ? Je ne connais pas De la maison des morts de l’intĂ©rieur, mais lorsque je l’entends, il m’est difficile d’en avoir une perception très claire, rien n’y paraĂ®t Ă©vident. Dans Makropoulos, la symbiose entre théâtre et musique est vraiment exceptionnelle, soutenue par une progression oĂą le rĂ©citatif laisse la place Ă  de grandes formes beaucoup plus lyriques au troisième acte. La logique psychologique avec laquelle Janáček traite les personnages de ses opĂ©ras est magnifiquement construite.

     

    Qu’en est-il de la modernité du langage de cet opéra contemporain de Wozzeck d’Alban Berg ?

    Il convient de distinguer modernitĂ© et modernisme. Sont vraiment modernes les Ĺ“uvres qui gardent leur immĂ©diatetĂ©, qui nous parlent avec fraĂ®cheur et spontanĂ©itĂ©. Certaines partitions modernistes sont aujourd’hui datĂ©es, alors que Janáček ne l’est pas. Il a une intuition musicale incroyable, et beaucoup de choses peuvent paraĂ®tre surprenantes dans l’Affaire Makropoulos. Nous travaillons beaucoup sur les changements de caractère qui sont très importants pour la mise en scène, afin qu’ils soient Ă  la fois soudains et contrĂ´lĂ©s.

     

    La mise en scène de Krzysztof Warlikowski souligne tout particulièrement la dimension cinématographique de cet opéra. La ressentez-vous dans l’écriture musicale, et peut-être plus encore dans la construction dramaturgique ?

    Oui, dans la mesure où la dramaturgie repose sur une succession rapide d’événements, et où le développement musical va toujours de l’avant. La référence de Warlikowski est aussi liée à la perception que nous avons des célébrités. Où trouver aujourd’hui de meilleur exemple que dans le monde du cinéma ? L’apparition d’Emilia Marty en Marilyn Monroe fonctionne très bien parce qu’elle nous permet de saisir qui est cette femme adulée, dont la célébrité constitue une façade. Cette mise en scène révèle très intelligemment tous les niveaux psychologiques de l’opéra.

     

    Janáček a toujours cherchĂ© Ă  fixer les « mĂ©lodies du parler Â». Est-ce un handicap de ne pas connaĂ®tre la langue tchèque pour aborder ses opĂ©ras ?

    Je viens d’un petit pays, et personne ne parle notre langue. J’ai donc beaucoup de sympathie pour les langues incomprĂ©hensibles ! Je tiens Ă  tirer mon chapeau aux chanteurs qui ont mĂ©morisĂ© une telle montagne de musique dans une langue qu’ils ne parlent pas. Pour ma part, j’essaie de comprendre ce qui relève de l’idiome. Janáček manifestait beaucoup d’intĂ©rĂŞt pour le rythme de la langue, ce qui est Ă©videmment très liĂ© Ă  l’articulation de la musique et au phrasĂ©.

    J’ai beaucoup travaillĂ© avec l’orchestre pour trouver un phrasĂ© naturel, et Ă  la tchèque, ce qui n’est pas toujours simple. Mais j’ai eu la chance formidable de pouvoir me renseigner auprès de personnes qui parlent le tchèque. D’autant que la notation de Janáček n’est pas toujours extrĂŞmement prĂ©cise : la durĂ©e des syllabes ne correspond pas systĂ©matiquement aux valeurs de notes qu’il Ă©crit. Cela demande une connaissance prĂ©cise et un travail minutieux de la part des chanteurs.

     

    Quelle est l’identité sonore de cette musique ?

    Lorsque je pense Ă  Janáček, ce sont d’abord les cuivres, le grand orchestre qui me viennent Ă  l’esprit. Mais il y a dans cette partition des passages d’une intimitĂ© extraordinaire, qui sonnent vraiment comme de la musique de chambre. J’utilise beaucoup d’images pour obtenir des couleurs inattendues. Il faut montrer musicalement la richesse intĂ©rieure des personnages. J’ai donc cherchĂ© une sorte d’humanitĂ© dans le son, en ne forçant jamais. C’est pourquoi il est très important que les musiciens connaissent l’intrigue.

     

    Le caractère des personnages influe-t-il sur les couleurs vocales ?

    L’écriture vocale en dit long sur les personnalités de chacun. Le chant de Kolenaty est très factuel, tandis que Gregor dit des choses extrêmement personnelles : sa partie est lyrique, hyper expressive et très aiguë. Quant à Prus, c’est un manipulateur. Les chanteurs sont magnifiques, je n’ai donc pas vraiment eu besoin de les guider dans cette direction. Il s’agit pour moi d’établir le lien entre eux et l’orchestre, d’autant que l’accompagnement peut modifier leur compréhension du contexte. Il faut parfois en prendre le contre-pied, pour créer un contraste. La bonne musique offre tellement de possibilités.

     

    Comment Janáček a-t-il caractĂ©risĂ© musicalement les identitĂ©s multiples de ce personnage Ă©nigmatique et singulier qu’est Elina Makropoulos ?

    La palette du compositeur est d’une richesse Ă©tonnante. Je suis particulièrement touchĂ©e par sa compassion pour ce personnage, alors mĂŞme que la pièce de Karel Čapek dont il s’est inspirĂ© est une comĂ©die satirique, cruelle, dĂ©pourvue d’empathie. Janáček montre au contraire que rien n’est simple : les mots, la froideur d’Emilia Marty ne sont qu’une façade, et de la contradiction avec les Ă©motions qu’elle refus de sentir naĂ®t une musique d’une beautĂ© Ă  couper le souffle.

    Ainsi, lorsqu’elle parle de Pepi Prus, qui fut son grand amour, la musique révèle fugacement sa sensibilité. C’est une victime dans la mesure où elle n’a pas choisi son destin, mais c’est aussi une femme extrêmement forte, qui décide enfin de mourir après avoir vécu 337 ans. Elle a eu peur de la mort, mais à présent tout lui est égal. L’œuvre pose de bonnes questions, et chacun peut donner ses propres réponses.

    L’interprétation de Warlikowski insiste beaucoup sur le côté cynique des autres personnages : chacun veut obtenir quelque chose d’elle, tout le monde veut un petit morceau de Marty pour des raisons différentes. Krista rêve de devenir célèbre, Gregor d’une liaison passionnée, Kolenaty veut gagner son procès. C’est un jeu de pouvoir, d’échanges de toutes sortes auquel elle a assisté tant de fois durant les trois siècles de sa vie.




    À voir :
    Věc Makropulos de Leoš Janáček, direction : Susanna Mälkki, mise en scène : Krzysztof Warlikowski, OpĂ©ra Bastille, du 16 septembre au 2 octobre.

     

    Le 13/09/2013
    Mehdi MAHDAVI


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