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ENTRETIENS 25 avril 2024

Hélène Guilmette,
et Sophie tint du miracle

© Julien Faugère

Une Sophie dont le cristal n’est jamais pointu, mais toujours caressant, dont l’expression n’est jamais niaise, mais délicieusement juvénile, tient du miracle. Et il se reproduit à l’Opéra Bastille, où Hélène Guilmette reprend le rôle de la petite sœur de Charlotte, dans un Werther non moins miraculeux mis en scène par Benoît Jacquot et toujours dirigé par Michel Plasson.
 

Le 17/01/2014
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Le dĂ©fi du rĂ´le de Sophie consiste Ă  Ă©viter la mièvrerie dans laquelle une certaine tradition l’a enfermĂ©e. Et ce n’est pas votre moindre mĂ©rite que de l’avoir relevĂ©, notamment en mai 2009 Ă  l’OpĂ©ra du Rhin.

    Merci du compliment ! Vous ĂŞtes loin d’être le premier Ă  me dire cela de Sophie – et jusqu’à mon professeur, qui la hait ! Mais non, ce n’est pas vrai, il faut trouver une profondeur Ă  ce personnage, ne pas s’en tenir au premier degrĂ©. Il s’agit de ma quatrième production, et j’ai eu la chance de travailler avec des metteurs en scène qui m’ont guidĂ©e dans cette recherche. Il m’est pourtant arrivĂ© de me battre avec certains d’entre eux : « Mais pourquoi sort-elle de scène ? Â» Et ils me rĂ©pondaient : « Oh ! Elle s’en va tourbillonner un peu ! Â» Eh bien non, cela ne me suffit pas !

    Ă€ Strasbourg, Mariame ClĂ©ment me disait : « Sophie n’est pas mièvre. Â» Et j’ai pu ainsi me raconter ma propre petite histoire. Il est vrai qu’elle arrive toujours comme un Ă©lĂ©phant dans un magasin de porcelaine, mais pas uniquement pour casser le rythme de Charlotte ! C’est le petit rayon de soleil de cette tragĂ©die, mais n’oublions pas qu’elle a perdu sa mère très jeune, et qu’elle s’occupe de ses frères et sĹ“urs avec Charlotte. Sa joie de vivre dissimule quelque chose d’un peu plus lourd, d’autant que je l’imagine secrètement amoureuse de Werther. Quant au chant, il doit ĂŞtre le plus pur possible.

     

    Vous chantez le rôle sous la direction de Michel Plasson pour la deuxième fois. Qu’avez-vous appris avec lui ?

    C’est le maître, la référence pour l’opéra français ! Le moindre de ses commentaires va dans le sens du respect du texte et de la musique de Massenet, et toujours à propos. J’écoute mes collègues chanter, et ce qu’il leur dit. J’essaie d’être une éponge et d’en absorber le plus possible, d’en profiter tant qu’il est encore en forme. J’ai également interprété Constance dans Dialogues des carmélites de Poulenc à Nice sous sa direction, et j’ai appris à savourer chaque mot, de la façon la plus naturelle possible, proche de la parole, sans dureté, avec du charme, pour que le chant coule de source. Souvent, il pointe un détail, et on se demande pourquoi on n’y avait pas pensé ! Certains jeunes chefs sont très bons dans la musique française, mais travailler avec le maître demeure un grand bonheur !

     

    D’autant que vous chantez presque exclusivement ce répertoire. Est-ce un hasard, une envie ?

    J’adore la musique française, mais aussi Mozart et le répertoire baroque, que j’ai beaucoup chanté en concert et au disque. Tout dépend de ce l’on nous demande, et j’aimerais que Mozart revienne un peu. Mais dans les prochaines saisons, je vais faire presque uniquement de la musique française, du moins à l’opéra. Je suis québécoise, j’ai un accent quand je parle, mais j’ai travaillé dur pour me l’enlever quand je chante. Au fil des années, j’ai acquis une reconnaissance dans ce répertoire. J’en suis d’autant plus fière qu’il n’est pas facile à interpréter, qui plus est dans sa propre langue.

     

    Avez-vous été orientée vers cette musique dès le conservatoire ?

    Au Québec, nous avons le conservatoire, mais aussi, immédiatement après l’école secondaire – qui équivaut au lycée en France –, le cégep, où sont dispensées deux années d’études supérieures, avant l’université. J’ai fait toutes mes études en piano et en éduction musicale, pour enseigner dans le primaire et le secondaire. Lorsque je suis entrée au cégep, il a fallu que je choisisse un deuxième instrument.

    J’ai pris le chant parce que j’aimais chanter de la musique populaire en m’accompagnant au piano. Mais il s’agissait d’une formation classique, et je ne savais pas si ma voix était adaptée. Finalement, j’ai découvert qu’elle était plus aiguë que je ne le pensais, et ce fut un coup de foudre. Je pratiquais mon piano six heures par jour, j’étais très stressée par les examens, les concerts, tandis que le chant le chant était toujours un bonheur, facile. Non que je n’aie pas eu besoin de travailler, mais à l’époque, je n’avais pas l’intention d’en faire mon métier. J’allais m’amuser, sans plus.

    Pourtant, la balance a fini par pencher dans ce sens-là. Mais je ne posais pas encore la question du répertoire. Un jeune chanteur essaie d’abord de goûter à tout, de s’imprégner de chaque style pour avoir une bonne base – ce que Mozart a été pour moi, avec un peu de musique française et de tous les rôles de soprano lyrique léger, mais aussi de la mélodie. J’ai toujours gardé une place importante pour le récital, même si nous manquons toujours de temps pour préparer des partitions. Car cet art devenu rare mérite d’être défendu.

     

    Malgré une nouvelle génération de chanteurs qui s’exportent très bien, le paysage lyrique reste limité au Québec. Quelles étaient vos perspectives, traverser l’Atlantique, partir pour les États-Unis ?

    Ma vocation a été tardive, et je n’ai vraiment franchi le pas qu’en 2001, l’année où j’ai rencontré mon professeur, qui me suit toujours. Je suis allée faire un stage d’été aux États-Unis, que j’ai financé en organisant un concert bénéfice. J’ai eu un cours avec elle, et une sorte de mise à niveau avec un autre professeur. Ces deux mois ont changé ma vie, parce que j’ai fait la connaissance de coachs qui m’ont appris à chanter comme il fallait, des bases sur lesquelles j’ai construit ma technique vocale. Puis, c’est comme si j’avais voulu provoquer les choses : j’ai passé des auditions pour des petits rôles, des orchestres, et j’ai participé, en même temps que Karine Deshayes, à la dernière édition du Concours Voix Nouvelles, qui a très bien marché.

    Très candidement, je n’imaginais pas qu’il serait possible pour une petite fille de Montmagny, la ville d’oĂą je viens, de faire une carrière internationale Ă  l’opĂ©ra. Au bout du compte, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour que cela arrive. J’étais nerveuse pour les concours, les concerts, mais j’essayais d’être le plus dĂ©tachĂ©e possible en me disant : « Si ça marche, tant mieux, sinon, j’irai enseigner dans mon Ă©cole. Â»

    Cette mentalité m’a probablement évité beaucoup de tracas et de mauvais stress. Mais évidemment, je travaillais comme une folle ! J’allais voir mon professeur à New York en prenant des autobus de nuit pour ne pas payer d’hôtel, parce que la leçon me coûtait déjà assez cher. J’ai vraiment mis les bouchées doubles ou triples dans la mesure où je n’avais pas étudié le chant à l’école. Mais comme j’étais pianiste, j’avais tout le bagage nécessaire. Assez rapidement, j’ai rencontré les bonnes personnes, des maîtres de chant, dont un qui me suit depuis mes débuts, des coachs de langues. J’avance comme une athlète entourée de son équipe !

     

    En 2004, vous remportez le deuxième prix du Concours Reine Élisabeth de Belgique.

    2001, je rencontre mon professeur, 2002, les Voix Nouvelles, je ne m’attendais pas à ce que tout aille aussi vite. Pour ce premier concours, je n’avais que deux airs d’opéras à présenter, ce qui n’était pas énorme. Puis j’ai continué à forger mon répertoire, j’ai eu des petits rôles à l’Opéra d’Avignon grâce à Raymond Duffaut, puis au Québec, ainsi que des concerts avec l’Orchestre Symphonique de Montréal. Et en 2004, je me suis inscrite au Concours Reine Élisabeth, sur lequel Marie-Nicole Lemieux, qui l’avait remporté quatre ans avant, avait attiré l’attention des Québécois.

    J’ai dû travailler très dur pendant des mois pour monter 75% du répertoire que j’allais présenter. Car mon but était d’arriver en demi-finale. Je suis restée dans mon petit cocon, chez la dame qui m’hébergeait, et j’ai vécu ce moins comme un marathon. Tout ce qui est arrivé depuis n’est évidemment pas tombé du ciel, mais ce genre de prix donne la petite étincelle pour que les gens nous fassent confiance, parce qu’ils savent que nous sommes solides après ce concours, et capables de supporter la pression.

     

    Comment votre voix s’est-elle développée depuis vos débuts ?

    Ma prise de rôle en Blanche de la Force cet automne à l’Opéra de Lyon constitue une évolution notable. J’y pensais depuis quelque temps déjà, mais j’attendais de trouver le bon chef, et un théâtre qui ne soit pas trop grand. Cela dit, je vais refaire Constance dans des maisons un peu plus vastes, parce que c’est un personnage que j’adore, et une musique dans laquelle je me glisse sans effort. Je rêve de la Juliette de Gounod, et je vais aborder au Festival de Glyndebourne un rôle français un peu plus étoffé. J’aimerais aussi continuer à faire du Mozart, Pamina, que je n’ai pas chantée depuis trop longtemps, et Susanna, que je pourrais chanter deux fois par an tant j’aime cette musique et ce personnage. Je me sens également prête pour Cleopatra de Giulio Cesare, mais on ne monte pas cet opéra si souvent.

     

    Quelles sont vos envies de récitaliste ?

    J’ai un projet qui me tient très à cœur, sur lequel je travaille depuis 2007 avec un compatriote, le pianiste Martin Dubé, avec qui j’ai donné un récital l’an dernier à l’Amphithéâtre Bastille. Il s’agit d’un programme entièrement consacré à des compositrices, françaises pour la plupart, mais avec aussi une Américaine et une Québécoise, parce que je tenais à y mettre une petite touche canadienne : Cécile Chaminade, Augusta Holmès, Marguerite Canal, Lili et Nadia Boulanger, Mel Bonis que j’adore, Pauline Viardot… Nous l’avons enregistré au mois d’août, pour une sortie le 25 mars au Canada – j’aimerais d’ailleurs qu’il ne tarde pas à être distribué en France, contrairement au disque Rameau que j’ai gravé avec Philip Sly, un jeune baryton très talentueux. J’ai la chance que le label Analekta m’ait laissée concrétisé ce projet sans doute un peu moins vendeur. Et ce ne sera, je l’espère, que le premier volume !

     

    Votre carrière scénique se déroule principalement en France. N’avez-vous pas parfois le mal du pays ?

    L’opéra est une carrière de solitude et d’éloignement. C’est pourquoi nous nous encourageons et nous entraidons beaucoup entre chanteurs, québécois ou pas d’ailleurs. C’est aussi ce qui nous donne la force de continuer. J’adore l’Europe et la France, mais il est certain que chaque artiste a besoin de retrouver ses racines pour se ressourcer, se reposer, et avoir quelque chose de neuf à raconter. Nous avons la chance, dans ce métier, de connaître nos engagements à l’avance, et de pouvoir ainsi établir entre vie personnelle et artistique. Parce qu’à la fin, une fois que nous aurons foulé les planches des théâtres dont nous rêvions, et même si nous entendons encore résonner les applaudissements, que nous restera-t-il, sinon la vraie vie ?




    À voir :
    Werther de Massenet, direction : Michel Plasson, mise en scène : Benoît Jacquot, Opéra Bastille, jusqu’au 12 février.

     

    Le 17/01/2014
    Mehdi MAHDAVI


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