altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 24 avril 2024

Julien Chauvin croise l’archet
© Théâtre des Bouffes du Nord

Non content de découvrir des talents, Yves Petit de Voize aime à faire fleurir des orchestres. Pour la dix-huitième édition du festival de Pâques de Deauville, son directeur artistique a imaginé de réunir l’Escadron volant de la Reine et l’Ensemble Desmarest sous la férule de Julien Chauvin, Konzertmeister et cofondateur du Cercle de l’Harmonie.
 

Le 28/04/2014
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Vous allez diriger du violon le concert de l’Atelier de musique baroque du festival de Pâques de Deauville, qui rĂ©unit cette annĂ©e les musiciens de l’Escadron Volant de la Reine et de l’Ensemble Desmarest. Comment est nĂ© ce projet ?

    Deauville a toujours été un lieu de métamorphoses orchestrales. J’y ai moi-même pris part dès mon arrivée au festival, à l’époque des Sauvages, l’ensemble créé autour de Jérôme Pernoo et Jérémie Rhorer. Bien d’autres expériences ont d’ailleurs été tentées, tant sur instruments anciens que modernes, notamment avec la Philharmonie de Chambre, qui est devenue la Chambre Philharmonique sous la férule d’Emmanuel Krivine, et jusqu’à la formation, en 2005, du Cercle de l’Harmonie, qui, s’il est en toujours résidence à Deauville, ne s’est plus produit au sein du festival depuis quelques années.

    Yves Petit de Voize a donc souhaité renouer avec le répertoire baroque à travers un projet d’envergure – en parallèle avec l’Atelier de musique moderne, qui a ouvert cette dix-huitième édition sous la direction du violoniste Amaury Coeytaux –, et il m’a confié la tâche de réunir ces deux très jeunes ensembles pour faire fleurir, de manière très sympathique et collégiale, un projet autour de cantates de Bach et Telemann.

     

    Qu’est-ce qui a motivé le choix de ces deux ensembles en particulier ?

    L’un et l’autre sont en résidence à la Fondation Singer-Polignac, et sans doute est-ce pour Yves un moyen de les faire émerger – mais ce genre de pari un peu risqué, consistant à assembler de manière parfois improbable des entités qui n’ont a priori rien à faire ensemble, tout en y ajoutant quelqu’un comme moi, qui suis, dans un tel contexte, une sorte d’électron libre, n’est-il pas sa signature ? Il se trouve en outre que je connaissais Ronan Khalil, le claveciniste de l’Ensemble Desmarest, ainsi que les violonistes de l’Escadron volant de la Reine. Ce sont des musiciens de grande qualité, qui se posent nombre de questions, tant sur l’interprétation du répertoire baroque aujourd’hui, que sur la façon d’exister dans ce milieu quand on est très jeune.

     

    Comment avez-vous conçu le programme ?

    Nous nous sommes mis d’accord assez rapidement. De toute façon, le choix d’un chef-d’œuvre comme la Trauerode de Bach ne se discute pas ! La Wassermusik, une pièce instrumentale à la fois connue et méconnue de Telemann, et sa cantate Du aber Daniel sont également géniales. Évidemment, nous aurions pu opter pour la facilité, et programmer des concertos brandebourgeois, ou n’importe quel autre tube, en première partie. Mais Yves Petit de Voize s’est toujours montré désireux d’apprendre quelque chose à son public : il n’est pas frileux, et il s’en est voulu les rares fois où il l’a été.

    J’ai moi-même eu l’occasion de remarquer que, dès que nous interprétions des pièces de compositeurs moins connus, ou moins appréciés, les auditeurs venaient nous remercier à la fin de leur avoir permis de faire une découverte. Car s’ils veulent entendre les grands tubes pour satisfaire une partie de leur ego, de leur nostalgie, et de leur éducation, ils ont aussi besoin de pédagogie. Depuis quinze ans que je côtoie Yves, cette vision de la musique, du public et des programmes m’a marqué. Et elle me pousse chaque jour à essayer d’inventer de nouvelles formes de concert.

     

    Vous êtes-vous posés, notamment pour la cantate de Bach, la question du chœur de solistes ?

    C’était notre volonté de départ. Mais un chœur à un par partie a pour corollaire un orchestre en formation plus réduite. Je suis donc intervenu pour défendre l’idée d’un effectif plus large, de manière à ce que les violonistes des deux ensembles puissent jouer, mais aussi parce que l’acoustique de la salle Élie de Brignac peut se satisfaire de davantage de rondeur. Il ne s’agira cependant pas d’un grand orchestre. D’autant que les projets sur lesquels travaillent individuellement les deux groupes s’inscrivent dans l’optique d’un Konrad Junghänel. Notre choix est plutôt de respecter l’équilibre entre voix et instruments. C’est la raison pour laquelle la Maîtrise de Caen viendra étoffer les chœurs.

     

    Combien de temps faut-il pour monter un programme de ce type avec des musiciens qui ne se connaissent pas ?

    Aucun d’entre eux n’est là pour cachetonner, et ils prennent ce projet très à cœur. Ils vont donc travailler une dizaine de jours sur un programme qu’un ensemble baroque traditionnel, qui n’en est d’ailleurs pas moins susceptible de réunir des musiciens qui ne se connaissent pas, monterait en trois ou quatre jours. Ils répéteront d’abord sans moi, puis nous aurons cinq jours ensemble pour aller vraiment en profondeur.

     

    Comment vous positionnerez-vous par rapport à ce travail réalisé en amont ?

    J’arrive dans ce projet non pas comme un chef invité qui décide de tout, avec mes tempi, mes coups d’archet, mes articulations, mais pour essayer de sentir quelle vision musicale peut en émerger. Dès lors, mon rôle est de tirer le meilleur des musiciens, en prenant certes des décisions – car il arrivera un moment où je devrai fixer les choses –, mais en restant à l’écoute de leurs préoccupations, afin de concevoir une interprétation commune et cohérente. J’aime cette approche un peu plus démocratique, particulièrement dans un répertoire où le rôle même du chef peut être remis en question.

     

    Que retirez-vous d’une expérience comme celle-ci ?

    Elle me permet de rencontrer une génération plus jeune que la mienne, ce qui n’est pas si fréquent dans un milieu musical où les tranches d’âge sont souvent cloisonnées. Hormis Ronan Khalil, qui est diplômé du Conservatoire de La Haye, ces musiciens ont pour la plupart été formés en France, alors que j’ai étudié en Hollande. Il me paraît toujours intéressant d’être confronté à d’autres visions, et de parvenir à être malléable sans perdre son identité. C’est donc une chance que de pouvoir croiser ainsi l’archet.

     

    Les différences sont-elles toujours aussi marquées entre les écoles d’interprétation qu’il y a trente ou quarante ans ?

    À cette époque, les baroqueux étaient très sûrs d’eux. Ils n’en démordaient pas. L’école de Kuijken…

     

    Peut-être parce qu’ils avaient quelque chose à prouver. Aujourd’hui, la pratique des instruments anciens s’est institutionnalisée.

    J’aurai toujours des difficultés avec cette rigidité, qui, à mon sens, n’est pas viable. Mais les choses ont-elles tant changé que cela ? Malgré toutes les directions qui ont été prises, il me semble que la pratique de la musique baroque reste une affaire de puristes, sans que je puisse dire s’ils conservent une ouverture d’esprit suffisamment importante – pour cela, il faudrait faire un état des lieux vraiment complet des jeunes générations. Mais au moins, ce ne sont pas des dilettantes : ils savent ce qu’ils font, et pourquoi ils le font.

    Quant à la flexibilité, je m’appliquerai à la mettre au cœur de ma rencontre avec les musiciens de l’Escadron volant de la Reine et de l’Ensemble Desmarest. Car lorsque le jeu, quel qu’il soit, devient complètement formaté, c’est que l’oreille ne fonctionne plus. À une époque, les préceptes du mouvement baroque ont été appliqués à la lettre au répertoire classique, en négligeant l’énorme changement qui est intervenu à la fin du XVIIIe siècle. C’est pourquoi, en fondant le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer et moi avons voulu donner la priorité au style classique. Ces dernières années, nous avons essayé d’élargir notre répertoire au baroque, plutôt que d’aller vers le romantisme. Car la musique n’est pas à sens unique – et je serais plutôt enclin à revenir en arrière.

     

    Le Cercle de l’Harmonie a d’ailleurs récemment interprété la Resurrezione de Haendel avec René Jacobs, dont le geste immuable autant que personnel est aux antipodes de la technique de direction de Jérémie Rhorer.

    On n’invite pas René Jacobs pour se retrouver face à Boulez ou Salonen, mais pour entrer dans son mode de pensée et sa conception d’une œuvre. J’ai passé avec lui une dizaine de jours à préparer les partitions comme un fou. Le travail s’effectue énormément en amont. Il est très sain pour l’orchestre d’être confronté à différentes approches. D’ailleurs, les musiciens n’ont pas été si longs à s’adapter. Car à partir du moment où le discours musical est clair, les choses se mettent en place – et la gestique de Jacobs, si elle n’a rien de spectaculaire, est en fait très précise. Jamais je n’ai eu le sentiment de me retrouver dans un marasme collectif… comme cela a pu m’arriver avec d’autres chefs. Simplement parce que la musique n’est pas au bout de la baguette ; elle émerge d’une somme.




    À voir :
    Wassermusik, Cantate Du aber Daniel de Georg Philipp Telemann et Trauerode de Bach, l’Atelier de musique baroque : Maîtrise de Caen, L’Escadron volant de la Reine, Ensemble Desmarest, violon et direction : Julien Chauvin, festival de Pâques de Deauville, salle Élie de Brignac, 1er mai.
    Le Saphir de Félicien David, les solistes du Cercle de l’Harmonie, violon et direction : Julien Chauvin, festival Palazetto Bru Zane, Théâtre des Bouffes du Nord, 19 juin.

     

    Le 28/04/2014
    Mehdi MAHDAVI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com