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ENTRETIENS 20 avril 2024

Michel Tabachnik,
plusieurs vies en une

Partageant sa vie entre compositeur, chef d’orchestre et romancier, Michel Tabachnik évoque son actualité, à commencer par un concert passionnant le 2 juin à la Philharmonie de Paris où il dirigera le Requiem pour un jeune poète de Zimmermann. Mais aussi son opéra Benjamin, sur un livret de Régis Debray, qui sera créé en mars 2016 à l’Opéra de Lyon.
 

Le 29/05/2015
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • Commençons par Ă©voquer votre activitĂ© de compositeur. La dernière fois que vous avez dirigĂ© Ă  Paris, le 8 octobre dernier Ă  la CitĂ© de la musique, vous donniez votre dernière crĂ©ation, le Livre de Job. Pouvez-vous nous en parler ?

    C’est un thème extrêmement intéressant du point de vue psychanalytique. Le religieux ne m’intéressait pas particulièrement, mais plutôt le fait que l’on puisse au fond être malmené dans l’existence pour des raisons que l’on ignore. C’est l’histoire de Job : il ne comprend pas ce qui lui arrive, parce que cela se passe à son insu, puisque c’est une sorte de pari entre Dieu et le Diable. De plus, il croit que Dieu le malmène alors qu’en fait c’est le Diable. Il y a là une violence psychologique terrible qui me passionne.

    Par ailleurs, j’y trouve une relation avec mon histoire, sur le fait que j’ai beaucoup défendu la musique contemporaine, et parfois avec beaucoup d’animosité autour de moi. Lors des premières œuvres créées par Xenakis, c’était terrible ! Les musiciens râlaient, le public huait, personne n’était content, il y avait une véritable adversité. Mais je suis resté très fidèle à mes idées sur la musique, depuis mes 18 ans, et aujourd’hui je trouve que j’ai eu raison et qu’à la fin, j’en sors grandi.

     

    En tant que compositeur, comment pourriez-vous ne pas être un défenseur de la musique contemporaine ?

    Cela ne va pas de soi. Il faut dissocier le travail d’interprète et celui de créateur. Lorsque j’ai commencé à écrire, je ne pensais pas devenir chef d’orchestre, je n’étais pas sûr de vouer ma vie à la direction. C’est Pierre Boulez qui m’y a encouragé, avant de me prendre comme assistant. Défendre la musique contemporaine, c’est avant tout la diriger.

     

    Quand pensez-vous avoir acquis un langage personnel ?

    Je ne peux pas répondre à cette question, je n’en ai aucune idée. Je compose comme je pense, comme je sens, je compose avec mes instincts, je ne cherche pas à savoir si cela est personnel, ni d’où cela vient. Je viens de lire les Confessions d’un jeune romancier d’Umberto Eco, où ce dernier évoque justement sa manière d’écrire. Et je crois que cela ne nous aide à le comprendre ni lui, ni son style. C’est même presque un peu pompeux, pour ne pas dire prétentieux, car il est difficile de se décrire soi-même. Ce que j’essaie de faire pour ma part est une synthèse de tout ce que j’ai acquis de la musique nouvelle, je veux dire de la musique atonale, et du sentiment. Je tente une rencontre entre ces deux notions, qui passe aussi parfois par la mélodie.

     

    Votre prochain ouvrage, l’opéra Benjamin, sera créé en mars 2016 à l’Opéra de Lyon.

    J’ai composé cet opéra, qui m’a pris deux ans et que j’ai achevé en 2012, avant le Livre de Job. Depuis, j’ai encore passé deux années à retravailler dessus, à l’améliorer, pour en arriver à la partition finale seulement au début de cette année. Par exemple, pour les voix, j’ai rencontré le chef des chœurs de l’Opéra de Lyon qui m’a dit que certains passages étaient impossibles à chanter. J’avais tenté des choses extrêmes, et finalement, j’ai dû inclure des ossia, faire de petites concessions, surtout par rapport aux voix.

     

    Faudrait-il donc composer en nivelant par le bas, pour être facilement monté et rejoué ? Est-ce que la Traviata par exemple pourrait chanter deux fois moins d’aigus ?

    Non, bien sûr. Mais je pense aussi que Verdi a composé pour des chanteuses spécifiques, en sachant jusqu’où elles pouvaient aller. Xenakis également ne composait qu’avec un soliste spécifique en sachant qu’il écrivait pour que la personne en face puisse jouer sa pièce. Pour Job, j’ai eu le fabuleux baryton Marc Mauillon dans le rôle-titre, il pouvait tout faire. Mais c’est rarissime d’avoir une telle tessiture, une telle amplitude, une telle facilité d’intonation. Je n’ai pas encore eu ce travail avec mon opéra, et seulement sur les chœurs, mais je ne l’aurai pas beaucoup à la préparation avec les chanteurs, car ce n’est pas moi qui dirige.

     

    Vous n’en aviez pas envie ?

    Ce n’est pas cela, et bien sûr que cela m’aurait fait très plaisir de diriger une de mes œuvres. Mais nous en avons beaucoup parlé avec le directeur de l’Opéra de Lyon Serge Dorny, qui pense à juste titre que le compositeur ne doit pas être complètement impliqué dans la mise en place de son opéra. Benjamin est lourd en terme d’effectif, il y a des chœurs partout, un orchestre fourni. Être encore impliqué dans la direction serait trop, et je serai mieux dans la salle, pour modifier les choses qui ne conviennent pas. Par ailleurs, je pense que je l’aurais moins travaillé en tant que chef que ne le fera Bernhard Kontarsky, en ce sens que je connais l’œuvre pour l’avoir composée. En dirigeant aussi, j’aurais peut-être moins approfondi l’interprète.

     

    Avez-vous au moins participé au choix du chef ou du metteur en scène ?

    Non, je n’ai interféré sur rien. Avec Serge Dorny aux commandes, il n’y avait aucune inquiétude de ma part, même sur la mise en scène, dont j’attends au contraire des surprises. On attend que John Fulljames nous propose des choses, car il y a des changements de scènes très complexes, et on attend une solution. C’est bien d’avoir une distance, de faire confiance aux autres. Aujourd’hui, très peu de gens veulent diriger Xenakis, parce que ses pièces ont besoin d’un relais avec le compositeur. Je pense qu’il vaut mieux que les œuvres vivent par elles-mêmes. En plus, comme je suis chef d’orchestre et que je dirige sans arrêt, pour une fois, je laisserai faire les autres !

     

    Passons maintenant à votre activité de chef justement, et au Requiem pour un jeune poète que vous allez diriger à la Philharmonie de Paris le 2 juin.

    Cette œuvre introduit le festival Manifeste, en coproduction avec l’IRCAM. C’était un collège entre Laurent Bayle, Emmanuel Hondré, Frank Madlener et moi-même. Laurent Bayle pense que c’est un grand classique qu’il faut monter au moins une fois de temps en temps, et me l’a par conséquent proposé, ce qui m’a passionné d’emblée. On est ensuite partis à la recherche d’un orchestre, celui de la radio de Stuttgart, qui a l’habitude de monter des œuvres complexes, sur lesquelles il faut des chœurs, du jazz…

     

    C’est la première fois que vous montez cette partition. Que vous évoque-t-elle ?

    D’abord, c’est une œuvre monumentale en même temps qu’une partition majeure de la seconde moitié du XXe siècle. On en trouve relativement peu de cette dimension, c’est donc un vrai défi pour un chef. Il y a des chœurs spatialisés dans la salle, des musiciens partout. Nous n’avons pas encore les clés à la Philharmonie pour savoir où l’on va mettre exactement les chœurs, mais on va faire plusieurs essais.

    Ensuite, j’aime les musiques qui me sont étrangères. Autant Boulez, Xenakis ou Berio me sont familiers, autant Zimmermann beaucoup moins. À mon âge, après tout ce que j’ai dirigé, je suis content de découvrir encore du nouveau. Je vais diriger au mois d’octobre une œuvre de Lachenmann en Allemagne, que je connais très mal aussi, mais cela m’intéresse d’autant plus. Diriger Boulez ou Xenakis ne m’ouvre plus d’horizon car j’en ai énormément fait, c’est devenu du répertoire pour moi. Avec Zimmerman je découvre un nouveau langage, une nouvelle manière de penser le temps qui me passionnent !




    À voir :
    Requiem pour un jeune poète de Bernd Aloïs Zimmermann, Orchestre de la SWR de Stuttgart, direction : Michel Tabachnik, mardi 2 juin 2015 à la Philharmonie de Paris.
    Benjamin, dernière nuit, opéra de Michel Tabachnik sur un livret de Régis Debray, direction : Bernhard Kontarsky, mise en scène : John Fulljames, Opéra de Lyon, du 15 au 26 mars 2016.

     

    Le 29/05/2015
    Vincent GUILLEMIN


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