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ENTRETIENS 20 avril 2024

Roberto Alagna,
vers un Wagner lumineux

© Jean-Baptiste Millot

Au détour de sa prestation dans l’Élixir d’amour à l’Opéra Bastille, le plus grand de nos ténors français, Roberto Alagna, revient sur son actualité et ses choix de carrière, et défend le plaisir de chanter et une esthétique vocale loin de toute lourdeur, qui le mènera en 2018 au festival de Bayreuth pour Lohengrin.
 

Le 18/11/2015
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • Ă€ la Bastille ce soir, le rideau s’est ouvert sur les artistes et après un discours de StĂ©phane Lissner, une minute de silence a Ă©tĂ© respectĂ©e, puis la Marseillaise chantĂ©e en hommage aux victimes des attentats parisiens du 13 novembre. Est-il facile de chanter dans ce contexte ?

    Ce n’est pas évident, car nous sommes tous touchés par les événements de vendredi dernier. Quand on a commencé, je me suis dit que ce ne serait pas simple de rentrer dans une œuvre comme l’Élixir, et finalement, au tomber de rideau, je me suis dit que c’était l’œuvre qu’il fallait !

    Et puis, avec les personnalités qui se trouvaient dans la salle ce soir, l’ambiance était un peu plus guindée, donc nous les artistes, avons ressenti aussi une différence. Cela est toujours troublant, surtout dans une salle très grande comme la Bastille, où l’on se demande toujours si les gags vont fonctionner. Mais pour autant, j’adore chanter ici et à Paris plus généralement.

     

    Les derniers ouvrages que vous avez chantés à Paris justement (Pénélope, le Cid, le Roi Arthus) font sentir un changement de cap dans votre répertoire, est-ce un parti pris de proposer plus de raretés ?

    Non, je le fais depuis le début de ma carrière, sauf qu’on ne l’avait pas remarqué ! J’ai chanté très jeune des ouvrages comme Roberto Devereux, les Contes d’Hoffmann dans une version qui n’a plus jamais été redonnée depuis l’enregistrement avec Nagano pour Erato. Même pour l’Élixir, j’ai utilisé la version écrite dix ans après la création, ou la version de Lucie de Lammermoor en français jamais donnée.

    Dans mon premier disque déjà, je chantais des raretés : Mârouf de Rabaud, Polyeucte de Gounod. J’ai toujours eu ce goût des œuvres méconnues : Cyrano d'Alfano, la version critique de la Bohème, Fiesque de Lalo, ou même dans Verdi le choix de variantes jamais utilisées. Aujourd’hui, on s’y intéresse davantage, mais je l’ai toujours fait.

     

    Peut-être parce que pour le français, vous êtes l’un des chanteurs les plus clairs et compréhensibles, et que vous êtes peu à pouvoir chanter ces rôles de cette façon ?

    Ce n’est pas une question de français. Si vous m’écoutez en italien comme ce soir, ou en espagnol, ou même en allemand, on dit aussi que je suis très intelligible. J’ai chanté dans une quinzaine de langues, y compris en arabe, en hébreu et prochainement, je vais chanter en polonais.

    J’attache énormément d’importance à la diction quelle que soit la langue, car dans la musique classique, le mot a une grande importance. C’est grâce au mot que le compositeur a l’inspiration. Dans la variété, on peut écrire une musique et mettre des paroles dessus. À l’opéra, je crois que cela n’existe pas, un compositeur n’a jamais écrit d’abord la musique avant le livret. La musique naît du mot, le verbe est essentiel.

     

    Pour revenir à votre répertoire, que voudriez-vous faire découvrir aujourd’hui ? On pense par exemple à Gounod, Saint-Saëns ou Bruneau ?

    L’Attaque du Moulin d’Alfred Bruneau en effet, sur un livret de Zola. Mais aujourd’hui, je suis rassasié, donc ce qui m’intéresse le plus avec ma voix, c’est de pouvoir passer de Radames à Otello ou à Calaf, en les alternant avec des rôles plus légers comme Nadir des Pêcheurs de perles, Nemorino ou Edgardo ; c’est la continuité, l’héritage des ténors anciens. À l’heure actuelle, quand un ténor s’aventure vers le répertoire plus lourd, il abandonne ce qu’il chantait auparavant. Aujourd’hui, même les chanteurs légers chantent des airs comme Una Furtiva Lagrima d’une façon héroïque, ce qui est assez curieux.

    Alors que les anciens, comme Caruso, Gigli ou même Bergonzi le chantaient d’une façon légère, et c’est cela que j’essaie de transmettre pour les futures générations : être fidèle au style, trouver la clarté, ne pas vieillir sa voix, ne pas la grossir, ne pas l’assombrir, mais au contraire de donner de l’éclat, comme à la grande époque où l’on chantait Wagner avec des voix claires, ensoleillées.

     

    Parlons de Wagner, justement ! On dit que vous allez chanter Lohengrin en 2018 Ă  Bayreuth. Comment apprĂ©hendez-vous ce virage vers les grands rĂ´les allemands, qui sont un autre monde ?

    Le répertoire allemand semble aujourd’hui très éloigné de mon répertoire, mais quand on pense à Pénélope de Fauré, au Roi Arthus de Chausson, à certains Massenet ou à Francesca da Rimini de Zandonai, on est déjà dans le monde de Wagner : le Heldentenor, la longueur du rôle, la masse de l’orchestre en fosse. Lancelot du Roi Arthus, c’est Tristan une tierce au-dessus ! La différence est de chanter en allemand, et Aleksandra Kurzak, mon épouse, sera là pour m’aider, pour vérifier ma diction.

    Je pense aussi que c’est cela, la jeunesse ! Vasco de Gama ou Éléazar de la Juive sont des rôles mythiques, qui n’étaient plus donné depuis des décennies. À chaque fois, j’ai été réprimandé car ce n’était pas censé être mon répertoire… et malgré tout, j’y ai quand même touché. C’est le même problème avec Wagner.

    On m’a demandé dernièrement ce que je pourrais faire de plus lourd après Lohengrin ? Tristan par exemple ? Mais Lancelot, c’est déjà Tristan, donc quelque part, j’ai mis le pied à l’étrier, et Tristan est à peine plus long que le rôle de Lancelot, qui est aussi difficile car plus haut dans le registre. Lancelot va jusqu’au contre-ut, pas Tristan.

    Quant à Vasco de Gama de Meyerbeer, il est plus long que Tristan, donc on est déjà dans un répertoire éprouvant, qui sollicite le médium tout le temps, mais aussi le grave et l’aigu. Lorsqu’on me demande si je vais aborder Parsifal, cela me fait rire, car Parsifal est en fait un rôle relativement court, avec moins d’aigu !

     

    Vous évoquiez tout à l’heure le côté solaire des voix d’autrefois.

    Cela m’intéresserait de redonner un côté lumineux à ces ouvrages, comme les chantaient les grands ténors de l’époque, les Leo Slezak par exemple. Ils abordaient tous ce répertoire de façon assez légère. Ce qui me dérange aujourd’hui, c’est le fait qu’on confie souvent les rôles wagnériens aux chanteurs qui ne peuvent plus chanter autre chose.

    À part chez quelques-uns, soit c’est le grain qui n’est plus de première qualité, soit le timbre est trop nasal. Idem pour Richard Strauss ou pire pour Berlioz. Je ne sais pas pourquoi on le donne à des voix si lourdes aujourd’hui, alors que pour moi, Berlioz c’est Georges Thill.

    Wagner, lorsqu’on l’écoute en français par Paul Frantz ou dans les versions italiennes avec Beniamino Gigli, ou encore Aureliano Pertile, c’est d’une beauté à couper le souffle. Et puis pour revenir au principal, les rôles wagnériens sont des rôles légendaires, mais le plus dur, c’est le Bel Canto !

     

    Bouclons la boucle justement, vous chantez Nemorino de l’Elisir depuis plus de vingt-cinq ans. Comment vivez-vous cette longévité ?

    C’est génial, car c’est du bonus dans la carrière : ces ouvrages sont des cadeaux. Il est dommage que l’on n’ait pas un autre rôle comme cela, parce que j’adore le comique. Il n’y a pas d’autres rôles pour ténor lyrique de ce genre. Le seul autre opéra serait Don Pasquale de Donizetti, mais le rôle comique revient au baryton. Il n’y a que le Barbier de Séville ou Gianni Schicchi, qui ne sont pas vraiment mon répertoire. Je le regrette, car j’adore ça, partager avec les autres artistes et avec le public, improviser sur scène, car chaque soir est différent.




    À voir :
    Rôle-titre de Lohengrin de Wagner, aux côtés de l’Elsa d’Anna Netrebko au festival de Bayreuth 2018.

     

    Le 18/11/2015
    Vincent GUILLEMIN


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