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ENTRETIENS 25 avril 2024

Ingo Metzmacher,
le chef de la clarté

© Matthias Bothor

Alors qu’il sera dans la fosse du Palais Garnier pour diriger à partir du 19 janvier la reprise de Capriccio dans la mise en scène de Robert Carsen, le chef d’orchestre Ingo Metzmacher, qu’on connaît davantage dans un répertoire plus contemporain, revient sur la partition de Richard Strauss et l’importance du compositeur dans son époque.
 

Le 18/01/2016
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • Vous vous apprĂŞtez Ă  diriger Capriccio, l’un des opĂ©ras les plus classiques de Richard Strauss, si Ă©loignĂ© des ouvrages que vous dĂ©fendez d’ordinaire.

    Quand j’étais jeune, je trouvais le parcours de Richard Strauss, qui est passé de Salomé et Elektra au Chevalier à la rose, très suspect, et j’étais tellement intéressé par Schoenberg et les développements de la révolution musicale que j’avais mis l’auteur de Capriccio de côté. Aujourd’hui, je pense que Strauss est la musique de la beauté, de la facilité, et quelque chose me trouble, particulièrement dans son ultime opéra.

    Je suis fasciné aussi par la clarté de la partition. Dans chaque note, Strauss est un maître d’œuvre. Cela peut seulement se comparer à la maestria d’un Stravinski au XXe siècle. On m’a demandé un jour pourquoi Strauss avait écrit cette musique sans importance, ce à quoi j’ai répondu que je n’étais pas du tout d’accord, car elle représentait au contraire une voix très importante, la voix de quelque chose de perdu.

    Le XXe siècle est incontestablement celui du modernisme, mais il y a quelque chose de central qui a disparu, et Strauss représente particulièrement ce monde du passé, tout particulièrement dans Capriccio. Maintenant, je me demande même comment quelqu’un a pu écrire une pièce comme celle-ci. Il y a tant de mélancolie dans cet opéra. Mais c’était en 1942…

     

    En pleine Seconde Guerre mondiale, Ă©crire Capriccio Ă©quivalait-il Ă  se renfermer et oublier le monde autour ?

    Je ne pense pas. Cette discussion entre les paroles et la musique, c’est seulement la surface de la pièce, l’important pour l’opĂ©ra, c’est que les deux fonctionnent ensemble. Quand Strauss fait chanter au Comte : « Qu’est-ce que ce mauvais opĂ©ra ? Â», je pense qu’il est conscient qu’on ne compose plus vraiment dans ce style Ă  cette Ă©poque. Cela exprime d’une part son amour pour le genre, et d’autre part que quelque chose a Ă©tĂ© perdu pour toujours.

    Ă€ la fin, il y a un moment incroyable, lorsque la Comtesse dit : « C’est si dur de trouver la fin, de trouver la fin de l’opĂ©ra Â», alors qu’elle disait seulement au dĂ©but : « C’est si dur de trouver la fin Â». Quand elle parle de la fin, elle Ă©voque la beautĂ©, celle du monde en gĂ©nĂ©ral ! De quelque chose qui n’est plus lĂ , car l’ouvrage est Ă©crit dans un temps de catastrophe totale. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’aime beaucoup la mise en scène de Robert Carsen, car elle est très ambiguĂ« sur la situation, sur la musique, sur la pĂ©riode.

     

    Le sujet du livret est le combat entre les paroles et la musique. Qui gagne Ă  votre avis ?

    Pour moi, c’est surtout la musique, et je pense que c’est peut-être le secret de cette pièce. Dans cet opéra, la musique est plus importante que le texte. En effet, la manière dont Strauss a écrit la musique parle d’autre chose que le texte. Le texte est un peu sur la surface. La musique est en soi même une expression, il est très difficile de traduire en mots les émotions musicales.

     

    Est-ce aussi que texte de Clemens Krauss est sans doute un peu faible par rapport aux précédents livrets d’Hofmannsthal, de Stefan Zweig ?

    Oui, bien sûr… C’est moins fort qu’Hofmannsthal, de toute évidence.

     

    Vous compariez précédemment Strauss à Stravinski, or on les oppose souvent. Que pensez-vous de l’importance de Richard Strauss dans le XXe siècle musical ?

    Il était tout à fait en avance au début. Il aurait été intéressant de lui demander pourquoi il a fait un retour en arrière après 1909. Peut-être a-t-il eu peur, peut-être a-t-il vu que ce chemin menait à quelque chose qu’il ne pouvait pas contrôler. C’est difficile à dire, mais c’est un artiste qui a trouvé son propre chemin.

     

    Et par rapport Ă  Wagner ?

    Pour moi, Wagner est vraiment LA musique allemande, Strauss est plus viennois, d’un temps où il y avait Schreker, Zemlinsky, Berg. En surface, cette musique semble parfaite, très belle, mais en réalité, il y a des cassures à l’intérieur, beaucoup de cassures, parce que Strauss savait qu’il n’était plus possible d’avoir une si belle image à son époque. On sent la même chose chez Schreker, dont j’ai pour projet de diriger les Stigmatisés, que j’aimerais beaucoup monter à Paris, car jamais une note n’a été jouée de ce compositeur ici à l’Opéra.

     

    Justement, on entend chez Schreker un lien entre Puccini, Strauss et l’École de Vienne, est-ce que vous pourriez aborder un opéra de Puccini, lui aussi considéré comme de la musique facile ?

    Puccini est fascinant, mais on ne me le demande pas. Pour moi, la Bohème est une partition fantastique, très fine, mais c’est devenu une pièce qu’on joue tout le temps et sans raffinement. Pourtant, Puccini est allé entendre le Pierrot lunaire de Schoenberg, il a vécu dans une période passionnante où certains continuaient à écrire de pièces belles et d’autres composaient de façon révolutionnaire. Pour moi, le début du XXe siècle reste en cela la période musicale la plus passionnante.

     

    On vous a pourtant longtemps assimilĂ© Ă  un chef touchant seulement Ă  la musique contemporaine ou d’après 1950, avec Hartmann, Henze, Nono… Aujourd’hui, on voit que vous revenez vers les trente premières annĂ©es du XXe, avec Berg, Strauss, ou mĂŞme Janáček. Devenez-vous un postromantique avec l’âge ?

    Je ne sais pas, car comme je l’ai dit, le dĂ©but du XXe est la pĂ©riode qui me fascine le plus, et il n’est pas vrai que cela est dĂ» uniquement Ă  Schoenberg. Il y a beaucoup de nouveaux chemins : Janáček en Moravie, les compositeurs russes dont Scriabine, BartĂłk en Hongrie, Ives aux États-Unis, Debussy en France. Il y a eu une explosion avec de nombreux chemins, mais en conservant le son d’avant quand mĂŞme.

    On sent le même bouillonnement dans l’histoire, ou dans les autres arts. À Berlin, j’ai fait une Saison 1909, car c’est une année charnière, notamment en peinture où il y a une vraie rupture entre figuratif et abstrait. Le changement était dans l’air du temps, et Kandinsky et Schoenberg étaient par exemple très liés. On dit d’ailleurs que Kandinsky a peint sa première toile abstraite après avoir entendu du Schoenberg.

     

    Richard Strauss s’inspirait de ce qu’il avait autour de lui, ou était-il à part dans son monde ?

    Je pense qu’il était très conscient de tout ce qui se passait autour de lui. Il y a par exemple cette petite partie dans le discours de La Roche où il fait ses remarques sur le fait qu’il faut écrire les nouvelles pièces avec des sujets vraiment intéressants pour les gens. Et après, il se moque des gens qui ne veulent pas faire des pièces nouvelles. Strauss le savait très bien. Pfitzner aussi aborde ces problématiques dans son œuvre par rapport à la période de composition.

     

    Comment allez-vous approcher Richard Strauss avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris ?

    D’abord, les musiciens connaissent très bien la pièce, et j’aime beaucoup le fait qu’en France, on joue Strauss moins musclé. L’orchestre est plus intéressé par les couleurs, plus dans la transparence, dans la finesse. Cela me plaît beaucoup. On peut ainsi vraiment faire le lien avec la musique de Mozart.

     

    Parlez-vous beaucoup aux musiciens pendant les répétitions ?

    J’essaie de parler, je recherche un Silberklang, un son argenté, dans les pianissimi où si l’on trouve la justesse, on commence à toucher au sublime. Si on produit trop de son, la musique tourne mal. Il est aussi intéressant de s’attarder sur l’art de Richard Strauss chef d’orchestre, qui a établi dix commandements, comme ne par regarder les cuivres pour éviter qu’ils ne jouent trop fort, ou mettre la main gauche dans sa poche pour avorter tout excès de pathos.

    Si l’on prend de la distance dans Strauss, l’émotion sort par elle-même, si l’on rajoute de la crème, la musique devient kitsch, comme dans le grand interlude avant la scène finale de Capriccio. Strauss l’a écrit alla breve, donc à deux temps, et si l’on respecte cet Andante con moto à deux temps, on donne tout de suite une autre atmosphère. En comparant les versions, on voit que beaucoup de chefs prennent encore ce passage à quatre temps, beaucoup trop lentement.

     

    Écoutez-vous beaucoup de versions avant de diriger une œuvre ?

    Normalement non, je lis d’abord la partition. C’est comme si vous regardiez d’abord un film, puis que vous lisiez le livre ensuite. Votre fantaisie est déjà influencée. Pour le chef, il est très important de lire la partition d’abord. Après, cela peut l’intéresser d’écouter, mais je ne le fais pas trop car je veux trouver mon propre chemin. Dans le cas présent, j’ai tout de même écouté plusieurs versions de cet interlude. Par exemple, Böhm respecte un deux temps très fluide, ce qui me plaît infiniment plus que les versions lentes dédoublées.

     

    Quel est votre rapport aux chanteurs ?

    Il faut surtout se souvenir que Capriccio est une conversation en musique. Aujourd’hui, il y a un vrai problème avec le texte. Je trouve incroyable qu’en Allemagne, on joue les opéras de Wagner avec le surtitrage allemand ! Je pense que Wagner hurlerait s’il était encore vivant ! On chante avec des voyelles trop vagues et en oubliant les consonnes ! C’est une tradition perdue, alors qu’on devrait constamment comprendre le texte chanté.

    Il existe des extraits sonores de la première de Capriccio avec Clemens Krauss en 1942, et au début du duo entre Flamand et Olivier, on comprend chaque mot. Je ne suis pas expert du chant, mais la technique a changé, et c’est dommage. Ici à Paris, on travaille beaucoup sur le texte, et les chanteurs le font très bien. On peut d’ailleurs apprendre des chanteurs de jazz ou de variété : Brel, Piaf, Billie Holiday, eux, chantent un texte, quelque chose de typique. Il faut que le mot soit compris.

     

    Il semble en parallèle que votre direction ait évolué ces dernières années vers plus clarté, plus de couleurs, plus de détails instrumentaux également.

    Je pense que je suis moins strict et donc plus libre, mais j’ai toujours été passionné par la clarté, et par le fait de faire entendre tout dans une partition, surtout quand tout l’orchestre joue ensemble. C’est le plus difficile à faire ressortir.

     

    Comme chez Moussorgski, dont vous allez diriger en mars la Khovantchina Ă  Amsterdam ?

    Ca, c’est une idée de moi. Pierre Audi voulait que je revienne, et je souhaitais un opéra avec beaucoup de chœurs. J’ai voulu d’ailleurs un cast russe pour que la langue et sa sonorité aillent avec la musique. La langue fait partie de la musique, ce n’est pas que la compréhension du mot. Et cette musique est aussi pleine de couleurs.




    À voir :
    Capriccio de Richard Strauss, mise en scène Robert Carsen, direction Ingo Metzmacher, Opéra de Paris, du 19 janvier au 14 février
    La Khovantchina de Moussorgski, mise en scène Christof Loy, direction Ingo Metzmacher, Opéra d’Amsterdam du 27 février au 20 mars

     

    Le 18/01/2016
    Vincent GUILLEMIN


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