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ENTRETIENS 19 avril 2024

Dmitri Tcherniakov,
Katerina contre les inauthentiques

© Pierre-Philippe Hofmann

Courtisé sur toutes les scènes lyriques, le trublion Dmitri Tcherniakov revient dans l’Hexagone pour une Lady Macbeth de Mzensk à l'Opéra de Lyon. Loin d'une lecture sociale de l'œuvre, le metteur en scène russe défend une Katerina dotée d'un axe intérieur solide dont l'authenticité bute contre des individus au fonctionnement biaisé et opposé.
 

Le 20/01/2016
Propos recueillis par Benjamin GRENARD
 



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  • Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch est basĂ© sur une nouvelle rĂ©aliste de NikolaĂŻ Leskov (1831-1895), peu connu en France.

    Leskov et Chostakovitch appartiennent à deux mondes bien différents. Les deux Katerina sont très dissemblables : Leskov juge son personnage principal, Chostakovitch l'approuve. Katerina, dans la nouvelle, est un personnage absolument terrible, qui va jusqu'à tuer un enfant. Chostakovitch et les librettistes ont opéré des transformations et notamment supprimé ce crime afin que la compassion pour Katerina soit possible.

    Il persiste d’ailleurs en occident un certain cliché à propos de l'opéra de Chostakovitch. Le fait que Lady Macbeth a été désapprouvé par Staline et par l'article violent de la Pravda se retrouve parfois trop dans les mises en scène actuelles. Lady Macbeth est trop perçue chez vous comme l'œuvre d'un dissident.

    Or, le sujet n'est en rien, selon moi, une contestation du régime stalinien. Si l'œuvre a déplu à Staline, c'est essentiellement pour sa musique très moderne, influencée par l'École de Vienne considérée comme dégénérée par le Petit père des peuples, et non pour l'argument. Le sarcasme de Lady Macbeth n'est pas dirigé contre Staline, mais contre les différentes classes sociales représentées par les propriétaires ou le pope.

     

    Chostakovitch souhaitait faire de son opéra le premier volet d'une trilogie dédiée à la femme soviétique.

    Absolument. L'opéra de Chostakovitch convient très bien à l'air du temps qui considère la période tsariste comme passéiste et révolue. Le beau-père, propriétaire, est tyrannique et salopard ; le mari est faible et impuissant ; le pope est un ivrogne ; la police est corrompue par des pots-de-vin. On voit tout un système lié au passé. Dans ce contexte, Katerina est une nouvelle héroïne qui se bat contre la pression de cet horrible tsarisme. C'est pour cela qu'il y a autant de caricatures dans l'opéra, qui correspondent à tout cet environnement qui n'est pas juste et qui essaie d'étouffer Katerina.

    Dans le dernier acte, la donne change : les bagnards, censés être des criminels, ne sont pas caricaturés, ce sont des vrais gens authentiques. L'opéra montre ce régime tsariste oppressant avec le peuple, très en phase avec la pensée politique du moment. C'est le sens idéologique très fort de cette œuvre et il ne faut pas l'oublier. Il ne faut pas mélanger l'aspect complexe de la partition qui a été vilipendée par le régime et ce sens idéologique qui correspond au contraire tout à fait à celui de l’après-Révolution. Chostakovitch n'a que vingt-six ans à l'époque de Lady Macbeth, il deviendra contestataire plus tard.

     

    La musique constitue déjà, en tant que telle, une lecture dramaturgique de l'œuvre. Quel est le fondement à l'origine de votre propre lecture de l'opéra ?

    J'avoue avoir eu du mal à ne pas juger Katerina avec tous ces meurtres. En même temps, j'avais la partition qui est construite de telle façon que je devais l'approuver, comme Chostakovitch. Il y avait pour moi une contradiction à résoudre. J'ai essayé de trouver un consensus entre ce que je ressentais et ce que Chostakovitch voulait traduire. Dans mon travail, j'ai pris l'option d'évacuer toute la critique sociale, qui ne correspond plus à notre époque. J'ai diminué aussi tout l'aspect caricatural. Ces flèches de sarcasme, pour moi, ne sont dirigées nulle part.

    J'ai cherché une électricité, une alchimie différentes, que j’ai trouvées dans le fait qu'il y a cette héroïne principale d'un côté, et tous les autres en face. Il ne devait donc y avoir aucune ressemblance. Non pas parce qu'elle a raison et qu'elle annonce cette nouvelle femme soviétique contre des dégénérés tsaristes, comme chez Chostakovitch. Pour moi, Katerina est à part dans cet environnement, comme Médée. Elle existe avec un autre cadre qui n'a rien à voir avec les autres : elle vient d'ailleurs, presque des steppes. Elle ne peut pas comprendre comment tous ces gens vivent avec tant de compromis, tant de mensonges.

    Si Katerina aime, elle le fait totalement jusqu'aux dernières limites, et quand elle tue, même si notre propre morale est atteinte, on comprend qu'elle, au moins, avec ses propres lois, est authentique. En définitive, je ne la juge, ni ne l'approuve : je me contente de montrer que ces deux mondes, celui des compromis et de celui de Katerina, ne se mélangent pas et finissent de manière tragique.

    Cela amène à des réflexions pour chacun d'entre nous : le monde de compromis est terrible et en même temps, on doit faire avec le compromis, au risque de devenir, sinon, cruel et de ne pas survivre. Mais on peut comprendre aussi la logique de Katerina, car tout est porté à son intensité maximale chez elle, qui sent le danger et doit lutter pour l’anéantir. C'est la seule façon pour elle de rester droite.

     

    Voulez-vous dire qu'elle est structurée, qu'elle a une rigueur intérieure ?

    Absolument. Katerina a un axe intérieur très puissant. Et c'est pour cela qu'elle est capable d'aller aussi loin, qu'elle est prête à énormément de choses.

     

    En définitive, peut-on dire que le sarcasme de la musique de Chostakovitch, qui relève pour vous de la critique sociale, devient un sarcasme dirigé contre l'inauthenticité ? Et que c'est de cette manière que la musique de Chostakovitch et votre travail s'ajustent et font sens ?

    Oui, c’est absolument cela.




    À voir :
    Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, mise en scène Dimitri Tcherniakov, direction Kazushi Ono, Opéra de Lyon, du 23 janvier au 6 février.

     

    Le 20/01/2016
    Benjamin GRENARD


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