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ENTRETIENS 28 mars 2024

Serge Baudo,
une vie avec Pelléas

© DR

À 88 ans, Serge Baudo reprend la baguette à l’Opéra de Toulon avec l’œuvre qui l’a accompagné toute sa carrière : le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. L’occasion pour lui de revenir sur son parcours, ses influences, et sa vision de l’un des ouvrages lyriques les plus passionnants du répertoire, le plus grand opéra français selon lui.
 

Le 26/01/2016
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • Pourquoi PellĂ©as et MĂ©lisande Ă  Toulon ?

    Parce que le directeur de l’opéra, Claude-Henri Bonnet, a été un collaborateur de l’Orchestre de Lyon pendant un certain nombre d’années. Nous avons toujours gardé de très bonnes relations, alors un jour il m’a téléphoné pour me demander si j’aimerais diriger chez lui. Pour tout dire, je ne savais alors même pas qu’il était directeur de l’Opéra de Toulon. À une époque, j’aurais dit non car je me méfiais terriblement des orchestres du sud, suite à une expérience assez particulière à Marseille.

    Je lui ai donc demandé s’il me donnait la possibilité de venir écouter une répétition, afin de voir si j’acceptais ou non. J’y suis allé et ai vraiment été très surpris par l’orchestre, non seulement de sa discipline mais aussi de sa qualité. J’ai accepté un premier concert où ils ont fait quelque chose de très beau dans Siegfried Idyll, puis un second, et c’est à ce moment que nous avons commencé à parler de Pelléas, que Claude-Henri m’a demandé car il avait des souvenirs de moi dans cette œuvre, qui a marqué les débuts de ma véritable carrière internationale, à la Scala. Donc pourquoi ne pas boucler la boucle ? Vous savez, j’ai 88 ans, et cela sera peut-être la fin de ma carrière. Je n’ai pas de projet derrière. Je reviendrais pourtant volontiers sur Paris avec un grand orchestre par exemple.

     

    Que vous évoque cet opéra ?

    Pour moi, c’est le chef-d’œuvre de l’opéra français, d’autant plus fascinant qu’il est en marge. C’est un cas particulier dans l’opéra, une démarche totalement singulière de Debussy, cette idée de vouloir un théâtre chanté et non pas un théâtre lyrique. Et si tous les compositeurs du temps sont hantés par Wagner, Debussy s’en démarque avec une audace incroyable. Il n’a pas beaucoup été suivi, peut-être un peu avec Wozzeck, dans la notion de théâtre chanté, dans le sens du Sprechgesang.

     

    Comment allez-vous aborder cette musique avec l’orchestre ?

    En parlant le moins possible et en faisant comprendre que la musique est une matière, comme pour un sculpteur. Quand je dirige et que je sens que tout fonctionne avec l’orchestre, le regard suffit. Il crée le lien et la symbiose. À l’opéra, je regarde beaucoup les chanteurs, je ne les lâche pas. J’ai eu la chance de travailler avec les plus grands et de les influencer sur la musicalité et le phrasé. Dans Pelléas, ce sera la même chose : je ne veux pas du théâtre lyrique. La main a d’ailleurs aussi un rôle énorme pour pétrir cette matière, pour l’organiser.

     

    La mise en scène doit-elle être simplement décorative ou dire plus ?

    Je suis perdu avec la mise en scène contemporaine, parce qu’il y a souvent un divorce entre l’image et la musique, mais en même temps, on ne peut pas revenir au passé, cela ne conviendrait plus. Au début de l’Opéra nouveau à Lyon, on avait fait un Pelléas extraordinaire. Mais j’ai aussi fait dans la même salle des productions comme par exemple un Così dans un éclairage blanc clinique : c’était un hôpital psychiatrique. Quand arrivait le premier trio ou le quintette, j’étais incapable de trouver l’inspiration.

    À Toulon, nous reprenons la production de René Koering qu’on m’a donné à regarder en vidéo. Il y a des moments qui vont être difficiles et d’autres épatants. Pelléas et Mélisande est un rêve, les personnages sont hors nature, tous exceptionnels. Il n’y a rien de matériel dans tout cela. Mélisande est complètement absente du monde, Pelléas est merveilleusement amoureux et peut-être un peu plus réel, et encore... Golaud n’est pas une brute au vrai sens du terme. Ce sont des personnages hors du temps, dans la grande tradition des mythes nordiques.

     

    Comme beaucoup de chefs français, on vous a surtout collé chez nous une étiquette de spécialiste de la musique française.

    Cette image est plutĂ´t fausse, Ă  l’étranger en tout cas. J’ai par exemple beaucoup dirigĂ© Mahler ou Richard Strauss, notamment avec l’Orchestre philharmonique Tchèque. Je sors d’une culture française, donc lorsqu’on a commencĂ© Ă  m’inviter, c’était souvent pour des Ĺ“uvres françaises, et aussi beaucoup de pièces contemporaines. Un chef français, on a d’abord envie de le voir diriger son rĂ©pertoire, sa culture, mĂŞme si grâce aux Tchèques, j’ai dirigĂ© bien autre chose : Smetana, Janáček, ou encore Kabeláč, qu’on ne connaĂ®t plus. J’ai Ă©normĂ©ment dirigĂ© de compositeurs contemporains Ă  la radio, dont beaucoup sont tombĂ©s dans l’oubli aujourd’hui.

     

    Que pensez-vous de la musique tchèque par rapport à la musique française, car il peut arriver de se faire piéger entre les deux lorsqu’on l’écoute en aveugle ?

    Merci ! Il y a une relation immense entre la musique française et la musique tchèque. Martinů par exemple, que j’ai rencontrĂ© quelques mois avant sa mort lorsque j’étais Ă  l’Orchestre Nice-CĂ´te d’Azur et qui voulait partager sur l’évolution de la percussion avec moi. Mon premier contact avec les musiciens tchèques a Ă©tĂ© Josef PalenĂ­ček, qui Ă©tait pianiste et compositeur, puis j’ai dĂ©couvert Janáček, et j’ai toujours trouvĂ© des similitudes avec la musique française. Par moments, on retrouve Debussy ou Ravel. Également chez les Hongrois, il y a des monuments et des sonoritĂ©s proches de la musique française, chez BartĂłk c’est Ă©vident.

     

    C’est pour défendre la musique française que vous avez créé le Festival Berlioz à Lyon ?

    Cela a troublĂ© tout le monde, car les Français ne dĂ©fendent jamais leurs valeurs. Maintenant, Berlioz est dĂ©fendu, mais tout a commencĂ© grâce Ă  Colin Davis. Un jour, Charles Munch m’a dit : « les Anglais feront un festival Berlioz, mais pas les Français Â». Puis j’ai eu une rencontre extraordinaire avec une passionnĂ©e de Berlioz Ă  Lyon, qui m’a dit qu’avec la CĂ´te Saint-AndrĂ© Ă  cĂ´tĂ©, il fallait le faire lĂ  ! C’est un compositeur gĂ©nial au niveau de l’orchestration, d’ailleurs Strauss s’en est bien rendu compte puisqu’il a poursuivi son TraitĂ© d’orchestration. C’est un personnage Ă©tonnant qu’on peut ne pas aimer par moments, mais qu’on adore Ă  d’autres.

     

    Quelles sont vos références en terme de chefs ?

    Dans la musique germanique, en dehors de Furtwängler et Knappertsbusch, c’est surtout Bruno Walter. Quand j’étais instrumentiste à l’Opéra de Paris, il y dirigeait Mozart. Il adorait diriger Mozart à Paris car les cordes étaient d’une transparence qu’il ne trouvait nulle part ailleurs. Et puis pour le répertoire français, je pense évidemment à Munch, Cluytens et Monteux.

     

    Et si vous redirigiez après Pelléas ?

    Cela me ferait plaisir avec un grand orchestre français. Je n’ai jamais eu l’occasion de diriger un opéra de Richard Strauss, alors que j’ai toujours été passionné par ce compositeur. J’ai eu la révélation du Chevalier à la rose à l’époque de Régine Crespin à Paris.




    À voir :
    Pelléas et Mélisande de Debussy, mise en scène René Koering, direction Serge Baudo à l’Opéra de Toulon du 26 au 31 janvier.

     

    Le 26/01/2016
    Vincent GUILLEMIN


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