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ENTRETIENS 27 avril 2024

Giacomo Sagripanti,
héraut de la tradition

© Roberto Recanatesi

Prévu en milieu de saison pour diriger le Barbier de Séville à l’Opéra Bastille, le jeune chef italien de trente-quatre ans Giacomo Sagripanti est arrivé plus tôt dans la capitale pour remplacer au pied levé Michel Plasson dans Werther. L’occasion pour nous de l’interroger sur son approche des répertoires italien et français et sur ses projets pour l’avenir.
 

Le 15/02/2016
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • Le fait que vous dirigiez surtout de l’opĂ©ra italien et particulièrement du Bel canto relève-t-il d’un choix personnel ou de celui des programmateurs ?

    Je crois que c’est une chose normale, quand on est un jeune chef italien, de commencer avec l’opéra, et c’est bon pour la santé artistique de faire ses premières armes avec le Bel canto, parce que la tradition, l’histoire de l’opéra commence avec cette période, avec Donizetti, Bellini, Rossini.

     

    On remonte habituellement à Monteverdi pour les débuts de l’opéra…

    Bien sûr, mais moi je parle de l’opéra moderne, après le baroque et après Mozart, qui est un discours à part, un mariage particulier entre le texte et la musique. Je suis sûr qu’en ce qui concerne le romantisme, l’opéra français mais aussi l’opéra allemand tiennent une partie de leurs traditions du Bel canto.

    Cela concerne la façon de chanter, particulièrement dans Bellini, mais aussi du Rossini seria. C’est là qu’il commence à y avoir un lyrisme, très accepté notamment par Wagner, qui au début de sa carrière appréciait beaucoup des titres comme Norma ou la Straniera et dont on entend les influences dans Lohengrin ou le Vaisseau fantôme.

    Et puis commencer avec des titres rares est une très bonne chose pour apprendre le langage opératique, pour apprendre des chanteurs, qui sont la part la plus importante de l’opéra. Le devoir d’un bon chef d’opéra est de servir la musique en aidant au maximum les chanteurs et même si le chef doit bien sûr faire passer ses idées musicales, il doit s’adapter d’une production à une autre.

    Par exemple à Paris dans le Barbier, le rythme était très mouvementé, il y a beaucoup de jeux de scène, beaucoup d’espaces différents, cela signifie que l’on doit faire des compromis, choisir des dynamiques et des tempi qui s’adaptent à cette situation. Et on doit de surcroît considérer les voix, savoir qui chante, pour adapter l’orchestre, surtout dans un très grand théâtre comme la Bastille.

     

    D’autant que c’était votre première fois réellement à Bastille ?

    Oui, la deuxième si l’on compte une substitution dans les deux dernières représentations de Capulet et Montaigu. Mais c’était sans répétions, donc plus dur d’influencer l’orchestre. Si on connaît l’opéra et que l’on peut faire un petit essai musical avec les chanteurs, ce n’est pas problématique de faire un titre comme Capuletti au dernier moment, parce que l’Orchestre de l’Opéra de Paris est très bon et très flexible.

    Donc si on connaît l’œuvre et qu’on a la technique, on peut réussir à se concerter juste avant pour quelques points clés, mais on ne pourra pas proposer quelque chose de nouveau. J’avais fait la même chose il y a trois ans à Garnier avec Cenerentola, dans une substitution au dernier moment, où l’orchestre était très solide également et connaissait parfaitement ce qu’il devait jouer.

     

    Vous êtes élève de Gianandrea Noseda et Renato Palumbo. Que vous ont-ils appris sur l’opéra italien ?

    Avec Noseda, j’ai surtout appris le répertoire symphonique, et une chose précise : que l’on ne doit jamais laisser faire une chose qu’on ne veut pas à l’orchestre. On ne doit jamais se contenter ni lâcher tant qu’on n’a pas le son que l’on souhaite. Et j’ai aussi appris à bien préparer la partition. Les autres chefs que j’ai rencontrés dans mes études à l’Académie de Bologne, où l’on avait la possibilité d’assister tous ceux qui passaient au Teatro Communale, sont des chefs de tradition.

     

    Vous semblez tenir particulièrement à cette tradition ?

    Oui, surtout pour l’opéra, car on ne peut pas prétendre comprendre l’opéra seulement en étudiant la partition. Quand je dis tradition, il ne s’agit pas de recopier et encore moins de recréer le passé, mais de connaître l’histoire qu’il y a derrière, pour être libre de choisir. Sur la partition, beaucoup de choses ne sont pas écrites par le compositeur. La création d’un opéra est toujours différente de la reprise, car autour du compositeur, il y a beaucoup de personnes, de chanteurs, d’influences pour modifier sa mentalité. Il arrive peut-être à voir l’idée de sa composition seulement après une dizaine de représentation.

    L’ouverture du Barbier de Séville est particulièrement marquante pour cela, c’est l’une des plus connues dans le monde, mais c’est aussi une histoire mystérieuse. On n’a pas l’autographe de cette pièce et elle a servi également d’ouverture à un autre opéra, Aureliano in Palmira. Si on connaît toute l’histoire, on peut changer l’ouverture, dans laquelle il y a de toute façon beaucoup d’agencements – le triangle, les percussions, non écrits par Rossini.

    Cela signifie que le chef, avec ce qui est marqué dans la partition et avec les instruments donnés, peut accentuer ou souligner des passages, ce qui est absolument philologique. On doit avoir l’humilité d’étudier l’histoire, de lire tout ce que signifie édition critique, non pas pour faire toutes les notes de la première à la dernière, mais pour comprendre le contour de l’opéra, toutes les possibilités, et choisir celle qui est la plus proche de ce que l’on pense.

     

    Quel impact cela a eu sur votre interprétation du Barbier à Bastille ?

    Ici, nous faisons par exemple l’aria de Rosine en ré majeur, qui sonne très différemment de la version plus aiguë en fa, qui est plus sèche. À l’opéra, les chanteurs sont la partie émergée de l’iceberg, ce que tout le monde voit et qui impressionne. On ne peut pas changer ça, alors pour moi un bon chef d’orchestre est celui qui doit choisir, mais qui doit coordonner le tout parfaitement.

    Cela veut dire que tout le monde sait qu’il y a quelqu’un qui contrôle, et qui récupère s’il y a un problème. Si le chef prend trop de place, cela devient dangereux et il peut serrer la représentation, lui faire perdre du naturel. C’est le grand compromis du théâtre, et dans cette production, le rythme doit aussi être rapide pour s’adapter à la mise en scène.

     

    On vous entend d’ailleurs parfois accélérer brusquement, notamment dans la première aria de Figaro ?

    Oui, à la fin sur le sillabato, c’est aussi une tradition. Dans le Bel canto et particulièrement chez Rossini, il y a des formules de l’orchestre qui sont des moyens d’écrire du compositeur. Si l’accompagnement change, il n’écrit pas un changement de tempo mais on est autorisé à accélérer, car le moteur de la musique change.

    De plus, l’orchestre joue avec un coup d’archet facile seulement si le tempo est rapide, ce qui signifie pour moi que Rossini voulait sûrement que le tempo accélère, pour terminer l’aria dynamiquement. Mais il faut aussi avoir le baryton adéquat, et un Italien qui connaît la langue est idéal, sinon je le fais moins vite.

     

    Quittons l’opéra italien pour parler de Werther à l’Opéra de Paris, où vous avez remplacé Michel Plasson.

    J’avais dirigé Werther il y a huit ans. Je commençais ma carrière en tant qu’assistant et j’ai eu la possibilité de le diriger deux soirs, mais j’étais un autre musicien, encore très jeune. Cette année, la difficulté n’a pas été d’apprendre à nouveau la partition, mais de créer en trente-six heures une idée musicale pour arriver serein avec des solutions devant l’orchestre.

    Je connaissais Plasson et toute la tradition poétique qu’il y a dans Werther en France, notamment grâce aux CD et aux grandes références, dont Michel fait évidemment partie. Mais je me suis demandé si je devais utiliser les tempi et toutes les sonorités de la musique française, ou élaborer une proposition qui se fonde sur ma propre expérience, sur mon âge et sur ma connaissance de l’opéra, en tant que jeune chef italien.

    L’opéra n’est pas une section entre plusieurs groupes qui ne se touchent pas : il y a des points de contact. Il y a certes l’opéra italien, français, allemand, mais il y a des interconnexions, et dans Werther, j’ai essayé de trouver le plus caractéristique. Ce qui m’a le plus intéressé dès le début, c’est l’instrumentation, car il n’y a pas beaucoup d’ouvrages où un instrument comme le saxophone occupe une telle place : c’est une lumière dans du début à la fin de l’opéra.

     

    En effet, ce qui a surpris à l’écoute de votre Werther, et d’autant plus en connaissant l’intérêt de Massenet pour Wagner, c’est l’importance du lien que vous établissez entre ces deux univers, et votre manière de chercher plus une concentration qu’une transparence typique de l’idée du son français ?

    Je comprends qu’il y a de la transparence chez Massenet, par exemple dans le morceau le plus connu du duo, avec la harpe, le violoncelle et la flûte, de la vraie musique de chambre. Mais il y a aussi des moments dramatiques, et Massenet utilise des mots très précis sur la partition, comme dramatique ou intense, pour faire comprendre au public qu’on commence le drame avec le Sturm und Drang.

    Dès l’introduction, on commence deux fois avec le même accord et la même dissonance. En analysant la partition, j’ai cherché à faire une balance entre le lyrisme et le penchant dramatique, particulièrement avec le trombone et les autres cuivres, car ce n’est pas écrit pour un petit orchestre. Cela a déterminé une lecture un peu plus mouvementée, où le plus important pour moi était de créer un arc, parce que l’opéra commence comme il finit, avec le chœur des enfants et la nature.

    Une autre spécificité est que presque tous les instruments sont solistes : le violoncelle, le violon, l’alto, le saxophone, à l’exception des cuivres, qui sont seulement protagonistes dans certains interludes. Et il y a des moments où l’on perçoit un message très wagnérien.

     

    Seriez-vous prĂŞt justement Ă  aborder Wagner ?

    Cette expérience a été quelque chose de grand pour moi. On peut discuter du résultat et ne pas aimer ma proposition, mais le public, le théâtre, la presse ont été intéressés. Cela me suffit pour commencer une recherche dans le répertoire français et ne pas me cantonner au répertoire italien.

    Je suis convaincu qu’un chef doit connaître le langage, la langue de l’opéra qu’il va diriger, cela signifie que j’ai étudié le français à l’école, et ai appris aussi l’allemand plus tard par moi-même. Pour moi, il faut comprendre le texte pour diriger un répertoire. Chez Wagner, j’aimerais commencer par Lohengrin. Mais mon rêve d’abord, c’est de diriger Mozart et notamment la trilogie Da Ponte, pour laquelle je me sens prêt.

     

    Vous allez vous produire à Glyndebourne en 2017. Est-ce une preuve que vous devenez un chef qui compte sur la scène internationale ?

    J’ai dirigé à Zurich l’Élixir avec Damrau et Breslik et les programmateurs anglais sont venus pour vérifier et m’inviter pour Don Pasquale l’année prochaine. Je suis très content d’aller là-bas car Don Pasquale est un titre que j’adore et ce festival est l’un des meilleurs au monde. Mais à part les choses déjà engagées, je ne sais pas encore de quoi sera fait l’avenir.




    À voir :
    Le Barbier de Séville de Rossini, mise en scène Damiano Michieletto, direction Giacomo Sagripanti, Opéra Bastille, jusqu’au 4 mars.

     

    Le 15/02/2016
    Vincent GUILLEMIN


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