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ENTRETIENS 27 avril 2024

Alain Planès,
un talent à discrétion


Alain Planès

Réservé ? Demi-teinte ? Effacé, Alain Planès ? Non, simplement sans esbrouffe, un pianiste qui n'a pas besoin de milliers de notes sous les doigts pour se sentir exister, qui ne recherche pas à tous prix la bronzette sous les "sunlights" des grandes scènes, et qui prend tout simplement le temps d'être musicien ; car il en faut.
 

Le 14/10/2000
Propos recueillis par Pauline GARAUDE
 



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  • Vous venez de commencer une grande aventure avec Schubert – l'intĂ©grale des sonates-, pourquoi Schubert ?

    C'est un compositeur que j'ai découvert très jeune et que j'ai d'emblée adoré pour son côté intimiste et son génie de la mélodie qui ne sombre jamais dans la facilité. Il y aussi sa simplicité harmonique, et aussi son talent unique pour les changements de couleur et d'atmosphère. Ses sonates m'accompagnent depuis mon adolescence.

     
    En termes de caractère, quel est votre Schubert ?

    Mon Schubert est un grand timide et un grand blessé. Il déclarait que sa vie a toujours été un malheur complet, mais dans sa musique il réussit à exprimer ses sentiments sans aucun pathos, sans aucune métaphysique, contrairement à Beethoven. Je fais souvent le parallèle avec Van Gogh qui comme lui a souffert de la non reconnaissance de son génie créatif.

     
    Quelles sont les qualités nécessaires pour jouer sa musique ?

    Il faut déjà disposer d'un solide bagage digital et d'un sens abouti des couleurs, car malgré l'apparente simplicité pianistique, il y a une réelle difficulté technique. Beaucoup commencent par les Impromptus car ils sont plus restreints dans la forme et immédiatement séduisants. Pourquoi pas ? Mais la création artistique est un processus continu chez Schubert et une vision chronologique me semble très importante, surtout pour aborder ses oeuvres tardives les plus complexes.

     
    Aujourd'hui vous êtes l'un de ceux, comme Richter, qui ont brisé le tabou du pianiste qui joue tout par coeur. Pourquoi ?

    Je ne joue à présent qu'avec partition. L'avoir me rassure et surtout, permet d'éviter que l'imagination ne devienne trop encombrante par rapport au texte. C'est une habitude que j'ai prise quand j'étais avec Boulez à l'Intercontemporain car on avait la permission de tout jouer avec partition.

     
    La permission ?

    Oui, oui, la permission (rires).

     
    Que gardez-vous de votre collaboration avec Pierre Boulez ?

    J'en garde une expérience unique qui m'a énormément appris dans mon parcours de musicien. Accéder à la musique de son temps vous donne des atouts supplémentaires par rapport à la conception que vous pouvez avoir des compositeurs antérieurs.

     
    Partagez-vous tous ses combats ?

    Je pardonne tout à Boulez. On lui reproche ses déclarations fracassantes et à l'emporte-pièces. Mais je comprends qu'en rapport à l'esthétique dans laquelle il travaillait, il ait eu - quand on est un jeune compositeur novateur – cette révolte, l'envie de faire autre chose que ses aînés. Il est parfois extrémiste, mais quand il dit que Schœnberg est mort, on ne le croit pas ! C'est une évidence, mais beaucoup de gens parlent encore de Schoenberg, Berg ou Webern comme des compositeurs contemporains. Il faut le redire, ils sont morts ! Et il y en a plein d'autres qui sont là, prêts à entendus par tous.

     
    En tant qu'interprète, comment vivez-vous l'accueil du public pour la musique d'aujourd'hui ?

    Je crois qu'on a fait de la musique contemporaine une espèce de diable qui effaroucherait le public. Or, et je me suis aperçu que c'est absolument faux. Il m'est arrivé de jouer un klavierstücke de Stockhausen entre deux pièces plus "classiques", le public a parfaitement bien réagi. Très longtemps, on a voulu faire croire qu'il y avait une cassure totale entre la musique contemporaine et la musique dite "classique". Quand on donnait des concerts en province avec l'ensemble Intercontemporain, les enfants avaient une réaction beaucoup plus spontanée que ceux dont l'oreille musicale est déjà façonnée.

     
    De l'autre côté, il y a le renouveau des musiques anciennes et cette idéologie de "l'authenticité". Ne serait-ce pas là une forme de décadence ?

    Je pense plutôt que c'est une utopie car personne ne sait ce qu'est "l'authenticité". Quand vous travaillez avec des compositeurs vous voyez d'ailleurs qu'ils n'en ont aucune notion : à chaque exécution, ils sont capables de changer d'idée, de préférer telle ou telle chose. Par contre, je défends la démarche de musiciens comme Harnoncourt ou Leonhardt, qui, en utilisant les instruments anciens, ont rénové et dépoussiéré l'interprétation des baroques et des classiques.
    J'ai moi-même expérimenté le pianoforte, et cet instrument a profondément modifié mon interprétation. Par exemple, au niveau de la dynamique, il y a très souvent des doubles et des triples piano, suivis de diminuendo chez Schubert. Sur piano moderne, on ne peut pas faire ces nuances, elles sont par contre possibles sur pianos anciens car ils disposaient d'une sourdine supplémentaire faite d'un morceau de feutre. D'un côté, il est évident que la douceur et l'intimité de ces instruments convient mal aux grandes salles de concert d'aujourd'hui, mais il est important d'avoir en considération ces sonorités quand on joue sur instrument moderne. Aujourd'hui, je ne joue plus de pianoforte faute d'avoir trouvé l'instrument idéal, mais je ne désespère pas. Par ailleurs, j'ai enregistré récemment les Préludes de Debussy sur un magnifique Bechstein de 1897 dont je suis tombé amoureux au festival de Saintes.

     
    Votre carrière de soliste a toujours été en retrait. C'est un choix, n'est-ce pas ?

    Oui. Je n'ai jamais eu l'ambition d'une carrière avec un grand C. J'ai toujours refusé de passer des concours internationaux. Il y a tant de gens bardés de diplômes, comme des veaux dans un concours agricole, et qui n'ont jamais fait carrière ! À mon avis, un musicien se doit servir la musique et non pas s'en servir. Bien sûr, plus vous jouez vite et fort, plus vous épatez la galerie, mais mon souci est bien différent. J'espère rester humble car l'émotion n'a nul besoin de passer par la superficialité de l'exploit. Tous les jeunes sont aujourd'hui équipés d'une technique extraordinaire, mais ça ne suffit pas, sauf si l'on a envie d'enregistrer l'Intégrale des Thalberg, des Karlbrenner et autres cracheurs des notes au kilomètre.

     
    Mais en tant que professeur au Conservatoire (CNSM), vous devez nécessairement préparer vos élèves à affronter ce côté " cirque " des concours, non ?

    Quand j'ai un élève vraiment exceptionnel, doué d'un immense talent musical, je vais bien sûr l'y préparer, mais c'est aussi mon devoir de lui dire qu'ils sont très aléatoires et que les dés sont pipés. Dans le jury, il y a toujours de grands professeurs qui amènent leurs poulains, et ils vont les défendre becs et ongles. D'un autre côté, on revient sur l'idée que sans le premier prix d'un grand concours, c'est est fini d'une vie professionnelle normale dans la musique. Je ne voudrais pas passer pour un vieux con jaloux mais aujourd'hui, le jeu de la médiatisation à outrance pousse des pianistes de plus en plus jeunes sur le devant de la scène : 16 ans, puis 14 ans
    Bientôt, ce sera à 8 ans ? Or le plus souvent, ils finissent aux oubliettes l'année d'après.

     
    Si vous deviez donner des conseils Ă  quelqu'un qui voudrait commencer le piano, quels seraient-ils ?

    Surtout de ne pas aller dans un conservatoire ! Car malheureusement, ici en France, je m'aperçois que la course à la médaille intoxique tout le monde. Les conservatoires devraient être faits pour créer le public de demain et non pour astreindre tous les élèves à passer des concours. Qu'on donne aux amateurs la possibilité d'apprendre un instrument et de faire un cursus normal et qu'on réserve, les sauts d'obstacle à ceux qui le désirent. Mais au moins que ce soit différencié. Ce pas le cas, hélas !


    SĂ©lection discographique

    Franz Schubert, Sonate, Fantaisie et Moments musicaux
    Claude Debussy : Préludes, livres I & II

    Prochains concerts :

    Midis Musicaux du Châtelet à Paris
    -le lundi 4 décembre, les sonates n°4, 39, 33 et 35 de Haydn,
    -le mercredi 6 décembre, Fantaisie en ré mineur, Rondo en ré majeur et Rondo en la mineur de Mozart ainsi que Andante et Variations en fa mineur de Haydn,
    -le vendredi 8 décembre, les sonates n°54, 55 et 60 de Haydn.

     

    Le 14/10/2000
    Pauline GARAUDE


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