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ENTRETIENS 24 avril 2024

Alksandra Kurzak, d’Olympia à Tosca
© Martyna Galla

Sur les scènes lyriques depuis près de vingt ans, Aleksandra Kurzak est apparue en France avec L’Élixir d’amour Paris en 2015, et quitte petit à petit le répertoire léger pour développer aujourd’hui sa carrière vers des rôles lyriques, en plus d’assumer parfaitement sa relation avec Roberto Alagna, à la vie comme à la scène.
 

Le 25/03/2019
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • Votre carrière a semblĂ© prendre un nouveau tournant Ă  Munich en 2016, quand plutĂ´t que d’aborder Eudoxie dans La Juive, vous avez finalement acceptĂ© le rĂ´le de Rachel.

    C’est en effet à ce moment-là que j’ai décidé d’aller vers des rôles moins légers que les Lucia et Adina que je chantais alors. Rachel avait une tonalité particulière, car c’était mon rêve depuis toute petite, peut-être parce que j’ai vu tout l’opéra très jeune. Pourtant, je n’ai jamais entendu ma mère dedans, bien qu’elle ait commencé comme moi avec Olympia, pour finir vers Turandot, Tosca et Abigaille.

    Finalement, je me suis alors réellement posé la question de pourquoi avoir commencé avec le répertoire léger. Évidemment, j’avais des aigus très faciles qui ont poussé ma carrière et ma voix vers le haut, car j’allais jusqu’au contre-contre-ut. Donc à dix-neuf ou vingt ans, lorsque l’on possède cette tessiture, on pense aux rôles de colorature, et bien sûr au contre-fa de la Reine de la nuit. Je ne peux rien regretter, car cela m’a ouvert les portes de tous les concours et de tous les théâtres à l’époque, pourtant, je ne me suis jamais sentie totalement chez moi avec ces personnages, car j’étais davantage attirée par le tragique.

     

    Comment s’est fait le transfert vers Rachel ?

    L’idée est venue de Roberto. Au moment où Kristine Opolais a annulé, j’avais à peine commencé à étudier Eudoxie, et je me suis reprochée d’avoir accepté ce contrat. Je me demandais comment faire certains passages, non pas avec ma voix, car cela ne posait aucun problème, mais scéniquement. J’étais devenue maman, et je ne me sentais plus à l’aise avec cette femme dans l’opéra, je n’avais plus ce tempérament.

    Donc suite à l’annulation, on a prévenu Roberto, et c’est lui qui m’a proposée à Munich, en argumentant qu’il savait que ma voix avait évolué et que je pouvais aller vers ce type de rôle. Là-dessus, Roberto a une culture énorme des voix à l’opéra, il sait ce qui peut se faire et ce qui ne peut pas. C’est une chance, car il est extrêmement difficile pour un chanteur de changer de répertoire, et malgré ces changements, je n’ai pris aucun risque pour la voix, je suis trop sage pour cela.

     

    Vous avez repris récemment La Traviata et glissez maintenant vers Desdémone, avant Elisabeth de Don Carlo l’an prochain. Comment voulez-vous placer votre voix et votre caractère dans les années à venir ?

    Ce n’est pas facile, parce que je n’aime pas la classification des voix que l’on utilise aujourd’hui. J’écoute donc avant tout mon instinct, car même lorsque je connais très bien un opéra, je fais vraiment attention au personnage que je joue sur la scène. Après Desdemona et avant Elisabetta, je vais chanter Butterfly à Naples. C’est le personnage d’une femme jeune, et pour cela, il faut chercher la clarté de la voix. Quand j’écoute certaines chanteuses aujourd’hui dans ce rôle, il est à mon avis distribué à des voix trop lourdes, au risque de perdre en crédibilité.

    Desdémone est un rôle de tessiture centrale, mais j’ai les notes, et je n’ai pas de problème de projection, même en allant chercher le bas-médium. On peut avoir une voix très sombre mais inaudible dès le dixième rang, ce qui n’est pas mon cas ici, même à Bastille, qui est pourtant une très grande salle. Grâce à ma formation au bel canto, j’essaye également d’utiliser une technique de chant qui me permet de passer des notes non pas par la force, mais par l’agilité.

     

    Pourquoi le rĂ´le de DesdĂ©mone vous attire-t-il ?

    Avant tout pour la musique. J’adore Verdi et j’avais un plan au début, qui était de chanter Gilda, La Traviata, Nanetta, Alice, puis Desdemona et Elisabetta. On entend dans Desdemona les phrases larges que l’on a dans Aïda et le répertoire grand lyrique. C’est donc une bonne préparation aussi pour Elisabetta. Mais lorsque l’on évolue vers ces rôles, il faut savoir vers où l’on va, car si jusqu’à présent le contre-mib de Violetta ne me gêne pas, il m’est déjà arrivé de douter de pouvoir atteindre le sib une quarte en dessous, car il ne va pas se chercher avec la même voix. Puis en voulant aller plus bas, et donc chanter plus large, on perd forcément dans le haut du spectre.

    Aujourd’hui, j’ai découvert ce changement de technique avec La Traviata, car j’avais déjà chanté ce rôle en 2010, mais à l’époque je cherchais surtout la légèreté. À présent, j’apporte de la profondeur à mon interprétation, sans réaliser encore comment ma technique s’était infléchie, alors qu’avec Desdémone, cela me paraît évident. Tout est histoire de technique, donc j’ai dû m’adapter pour pouvoir asseoir ma voix vers le bas, et en même temps réussir à trouver naturellement les aigus des rôles plus larges.

     

    On vous connaît surtout dans le répertoire italien, avec quelques incursions dans le répertoire français. Pensez-vous à Manon ou à des rôles de ce type ?

    En effet, ce sont des rôles qu’on ne m’a pas encore proposés, mais que j’aimerais beaucoup porter. J’ai toujours voulu chanter Thaïs et Marguerite aussi. Pour ce dernier, je pense en avoir exactement la voix aujourd’hui, avec un Air du miroir léger, puis une fin permise par plus de présence dans le grave. C’est un rôle très complet. Cependant, depuis 2016, j’ai fait mes débuts dans douze nouveaux rôles, jusqu’à Nedda, le plus dramatique pour moi aujourd’hui, et on ne peut malheureusement pas tout faire !

     

    On vous connaît également assez peu dans les répertoires slave et germanique.

    En effet, dans le répertoire slave, j’adorerais chanter Tatiana, ou Rusalka. J’ai beaucoup chanté le répertoire allemand à mes débuts lorsque j’étais en troupe à Hambourg : les Singspiele de Mozart dans cette langue, mais aussi Fidelio de Beethoven, Der Freischütz de Weber, Zar und Zimmermann de Lortzing, Parsifal de Wagner, Le Chevalier à la rose ou Elektra de Strauss, et même le répertoire baroque allemand de Reinhard Keiser. Je pense que des rôles chez Strauss pourraient fonctionner pour moi aujourd’hui et j’attends d’aborder pour la première fois un rôle important chez Wagner. Pour revenir à Verdi, il est prévu que je chante l’Amelia de Simon Boccanegra, et j’aimerais aussi aborder celle du Bal masqué.

     

    Aujourd’hui, vous chantez principalement avec Roberto Alagna. Heureusement, vous êtes au même niveau et on ne se dit pas que l’un de vous profite de l’autre. Pour autant, comment gère-t-on sa carrière à deux ?

    Votre remarque est importante, car je n’aurais jamais pu me sentir sous-dimensionnée et chanter grâce à mon mari, ou à quelqu’un qui me permettrait d’être là où je ne devrais pas. Toute ma vie, j’ai eu des rôles et des contrats grâce à moi seule. En France, c’est un peu plus compliqué à faire admettre, car quand je suis arrivée, Roberto était déjà une star depuis des années.

    Pour anecdote, mon premier contrat ici a été L’Élixir d’amour à Bastille, et alors que j’étais prévue depuis plusieurs années, le ténor n’était normalement pas Roberto, qui est arrivé après suite à un échange de rôle avec l’autre chanteur initialement prévu. Lorsque j’ai lu les articles sur la production, plusieurs critiques ont écrit que Roberto avait ramené sa femme, ce qui m’a beaucoup amusée, car ça ne s’est pas du tout passé dans ce sens. C’est moi qui l’ai ramené !

    Tout cela n’est pas très grave, l’important est de me sentir au niveau où je suis, c’est d’ailleurs pour cela que chacun, chaque saison, prenons des rôles l’un sans l’autre. Évidemment, dès que nous recevons des propositions, nous regardons où sera l’autre au même moment, car c’est toujours mieux d’être ensemble, ou dans des villes proches pour se retrouver, surtout avec notre jeune fille. Et puis j’adore Paris, j’adore y vivre, donc j’aime aussi y chanter !

     

    Le 25/03/2019
    Vincent GUILLEMIN


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