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ENTRETIENS 23 avril 2024

Yutaka Sado : fragments d'un discours Lamoureux

Grâce à lui, l'Orchestre des Concerts Lamoureux a retrouvé son prestige d'antan. Son secret ? Un enthousiasme communicatif allié au sens de la fête musicale, autant de qualités héritées de son maître Leonard Bernstein, auquel il rend hommage à la tête du National de France, au Théâtre des Champs-Elysées, les 9 et 13 novembre.
 

Le 08/11/2000
Propos recueillis par Stéphane HAIK
 



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  • Si vous deviez ne retenir qu'un seul souvenir de Leonard Bernstein, quel serait-il ?

    Sans doute serait-ce celui de notre toute première rencontre à Tanglewood, la résidence d'été de l'Orchestre symphonique de Boston, une sorte de laboratoire musical pour de jeunes chefs sans expérience qui se voient projetés sur le devant de la scène et confrontés aux grands maîtres de la baguette, dans un esprit de "masterclass" unique en son genre. Lenny était un habitué des lieux, où il y prodiguait des conseils étonnants : ce qui l'intéressait de transmettre n'était pas tant le geste musical, supposé acquis, que la culture générale. Lorsque je montai sur le podium pour la première fois, il m'arrêta au bout de quelques minutes à peine et me fit quelques premières observations. Devant mon absence de réaction – je ne comprenais pas un seul mot d'anglais à cette époque -, il s'exprima en japonais tout naturellement et tint à tous les élèves présents ce jour-là une mini-conférence sur les vertus du nõ et du kabuki. Seul Lenny était capable d'une telle démonstration spontanée.

     
    Pensez-vous que son style de direction puisse être rattaché à une quelconque tradition ?


    Impossible, car toute tradition dispose de règles strictes et défend des positions esthétiques précises. Bernstein, lui, ne cherchait qu'une seule chose, quels que soient les moyens de l'atteindre : l'expressivité, souvent poussée aux confins de ce que le texte musical peut autoriser. Lenny, c'était un être passionné, capable de tous les excès pour satisfaire sa soif d'absolu, un musicien prompt à la violence, en dépit de l'humanisme qui le caractérisait par ailleurs.

     
    Vous avez eu la chance de le fréquenter pendant les dernières années de sa vie. Quel regard rétrospectif portait-il sur sa vie de musicien ?

    Plus que sa carrière de chef ou de compositeur, c'est son apport à la pédagogie musicale qui faisait l'objet de toute son attention. Il me parlait souvent des émissions qu'il avait enregistrées pour la télévision américaine, à destination des jeunes. Pour lui, ce fut la seule vraie satisfaction de sa vie. Amener à la musique classique un nouveau public, expliquer, simplifier, participer à la démocratisation de la musique par l'emploi de concepts pédagogiques mieux adaptés aux capacités de compréhension de l'Américain moyen : c'était cela sa vocation.

     
    Vous avez également beaucoup travaillé avec Seiji Ozawa


    Je l'ai suivi en tant qu'assistant, mais son apport est incomparable à celui de Bernstein. J'occupais des fonctions précises. Un point c'est tout.

     
    Tout comme Ozawa, vous avez été lauréat du Concours de Besançon en 1989. Depuis, la France vous a adopté, en vous confiant la direction de l'Orchestre des Concerts Lamoureux. Dans quel état était la formation parisienne à votre arrivée ?

    Est-il vraiment nécessaire de rappeler le niveau de l'orchestre en 1993, lorsque j'en devins le principal chef ? Je dirais simplement que tout était à reconstruire, après plusieurs années durant lesquelles l'orchestre a vivoté, à deux doigts de la disparition, parce que sans projet artistique à défendre. Je me suis donc attelé à écouter tous les musiciens individuellement, avant de décider de me séparer de certains d'entre eux et de les remplacer. L'étincelle tant attendue a eu lieu : un nouvel Orchestre Lamoureux venait de naître.

     
    N'y a-t-il pas tout de même un problème de motivation pour des musiciens qui ne tirent aucune rémunération stable de leur collaboration ?

    Le statut associatif qui a présidé aux destinées de l'orchestre depuis sa création prévaut toujours : aucun salaire n'est versé, et les rémunérations sont liées à la billetterie. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas un écueil pour autant : les membres de l'Orchestre des Concerts Lamoureux appartiennent à d'autres formations et la plupart poursuivent parallèlement une carrière dans l'enseignement. Ceux qui souhaitent nous rejoindre doivent en accepter les principes financiers.

     
    Il y a un an, vous avez tiré la sonnette d'alarme : les tutelles voulaient se désengager du financement de votre formation. Vous étiez à deux doigts de l'asphyxie


    Ce ne sont là que de mauvais souvenirs : les pouvoirs publics ont pris conscience in extremis que l'Orchestre des Concerts Lamoureux était une partie intégrante de leur patrimoine musical et qu'il aurait été regrettable de le rayer de la carte des orchestres d'un trait de plume. Désormais, nous nous ouvrons de plus en plus au mécénat privé. Sans doute une planche de salut. Rien n'est définitivement acquis, mais le pire semble avoir été évité.

     
    On vous fait souvent le procès d'un répertoire peu audacieux. Souhaitez-vous désormais ouvrir les programmes de vos concerts à des oeuvres contemporaines ?

    J'ai une passion dévorante pour la musique de Jacques Ibert que je m'emploie à faire apprécier à un public qui ne connaît souvent que Ravel et Debussy. Voilà un exemple significatif, me semble-t-il.

     
    J'entendais par musique contemporaine celle de la fin du XXe siècle


    Nous y sommes prêts, mais nous ne devons pas non plus heurter la sensibilité d'abonnés qui ne sont pas ceux que l'on croise d'ordinaire dans les grands cycles de concerts parisiens. Notre public est curieux, mais pas toujours mélomane. Nous devons satisfaire d'abord sa demande d'ouvrages populaires. On peut aller jusqu'à Mahler et Chostakovitch, pas vraiment plus loin. Les choses prennent souvent du temps. Nous devons nous montrer patients.

     
    Parallèlement à vos fonctions parisiennes, vous êtes le premier chef invité de l'Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine. L'art lyrique est une tradition bien ancrée dans la culture locale. Vous restez plutôt un chef symphoniste


    Figurez-vous que l'opéra est ma passion. Il y a plusieurs années, je voulais même devenir chef d'opéra. Mais le calendrier imposé au chef dans l'art lyrique s'avère trop contraignant pour que je suive cette voie. Cela ne m'empêche pas d'accepter ponctuellement certaines propositions.

     
    Imaginez que demain matin un orchestre américain parmi les plus prestigieux vous propose un poste de directeur musical. Vous sentiriez-vous apte à occuper de telles fonctions ?

    Peu de chance que cela arrive, car je n'ai jamais dirigé un seul orchestre américain (sourire). Mais si nous rêvions, je répondrais alors : "Proposez-moi d'abord un concert à la tête de votre orchestre. Je vous ferai connaître ma décision ensuite."

     
    3 disques pour découvrir Sado


    -Hommage à l'Orchestre des Concerts Lamoureux, Oeuvres de Ravel et Chabrier, Orchestre des Concerts Lamoureux, Yutaka Sado – Erato 3984 27321 2
    -Oeuvres de Jacques Ibert , Orchestre des Concerts Lamoureux, Yutaka Sado – Naxos 8 554222
    -Symphonie Kaddish de Bernstein, Orchestre philharmonique de Radio France, Yutaka Sado – Erato 398421669 2

     

    Le 08/11/2000
    Stéphane HAIK


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