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ENTRETIENS 27 avril 2024

Say Fazil à dire

Un pianiste classique qui aime le jazz, les musiques traditionnelles, et qui pousse l'insolence jusqu'à jouer dans tous ces styles et à composer ses propres concerti, il en fallait moins pour diviser le public comme la critique (y compris au sein d'altamusica). Pourtant chez Fazil Say, l'éclectisme se révèle un authentique instinct artistique.

 

Le 17/11/2000
Propos recueillis par Pauline GARAUDE
 



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  • Vous venez d'enregistrer le Sacre du Printemps en proposant une nouvelle transcription pour 2 pianos. Comment est né ce projet ?

    Le Sacre est une oeuvre qui me tient particulièrement à coeur. Alors que j'étais à Düsseldorf, dans une période sombre et dépressive, je l'ai écouté à la radio et cette musique m'a littéralement ramené à la vie. J'ai aussitôt eu envie de la jouer et pendant ces dix dernières années, j'ai réfléchi à la manière dont je pourrais le faire. Durant cette période, j'ai travaillé les différents aspects harmoniques de l'oeuvre, exploré les couleurs musicales, et me suis imprégné de ces rythmes frénétiques.

     
    Comment avez-vous orienté vos choix de transcription ?

    Ce qui importait n'était pas "qui joue tel instrument" mais "comment jouer tel instrument". Je me suis donc lancé dans une nouvelle aventure pour 2 pianos. J'ai envisagé plusieurs solutions puis j'ai choisi de superposer et de synchroniser deux enregistrements successifs. La transcription originale de Stravinsky est conçue pour 4 mains et elle restitue 95 % de la musicalité de son oeuvre. Mais les 5 % restant me manquaient et c'est pourquoi j'ai souhaité compléter son travail dans le but de restituer davantage de sa musique. J'ai pensé en terme "d'orchestration" du piano. Ainsi, tout ce qui réclame une couleur orchestrale, comme certains effets de percussions, de pizzicato, je l'ai préenregistré. J'ai développé une première version qui couvrait l'intégralité de l'oeuvre et 75 % de la mélodie sur les basses vocales que j'appelle la "ligne principale". Le reste fut simple : j'ai "colorié" la ligne principale que je considérais alors comme une sorte de "toile". Curieusement, les difficultés de synchronisation sont apparues dans les parties lentes ornées de rubato et non dans les parties rapides, et certains passages vont de 6 à 8 voire à 10 mains !

     
    Ce procédé du travail en studio est un inhabituel dans le domaine classique, où s'il se pratique parfois, c'est en cachette. Pourquoi le revendiquer et qu'en est-il d'une possible exécution en concert ?

    Contre toute attente, ce projet suscite la curiosité et l'intérêt car il a été fait dans le but de se servir plus fidèlement l'oeuvre originale en utilisant les ressources de la technique moderne. Pour moi, cette oeuvre de Stravinsky reste toujours avant-gardiste, alors pourquoi mon projet ne serait-il pas un peu novateur ?
    Pour le concert, j'utilise un piano Bösendorfer avec une mécanique spéciale capable d'enregistrer et de restituer une partie de piano complète. Je suis donc en mesure d'exécuter l'oeuvre en concert avec un second piano. J'ai déjà expérimenté la formule à New York et le résultat est surprenant. Je la donnerai à Paris l'année prochaine.

     
    Bach Mozart, Gerswhin et maintenant Stravinsky, comment choisissez-vous votre répertoire ? Quels liens entre ces compositeurs ? Et la musique contemporaine ?

    Je fonctionne à l'instinct et je ne me sens pas l'envie d'enregistrer du Brahms ou du Chopin, du moins pour l'instant. Avec Bach ou Mozart, d'un côté vous êtes garanti d'un accueil plus large, mais de l'autre, votre enregistrement n'est qu'un disque de plus dans un catalogue déjà riche de 200 versions ! Je joue aussi Ligeti et Cage, mais seulement à titre privé, comme un "étudiant". Je ne me considère pas comme un spécialiste de la musique contemporaine et pour le moment, j'aime surtout cette époque charnière entre la fin du XIXe et début du XXe siècle.

     
    Vous jouez avec des musiciens de jazz, de musique traditionnelle et bien sûr avec des formations classiques. Pourrait-on vous définir comme un musicien "cross-over" ?

    Je n'aime pas trop cette expression et la diversité des influences musicales, tant chez les compositeurs que chez les interprètes, n'est pas un phénomène vraiment nouveau. Le jazz a par exemple une empreinte très forte chez bon nombre de compositeurs classiques comme Ravel ou Debussy, puis plus tard chez Gershwin ou Bernstein. Un interprète qui joue ces partitions a un jeu pianistique qui relève à la fois du classique et du jazz. Si j'aime aussi bien jouer du classique, que des musiques d'avant-garde, ou que de la musique traditionnelle turque et du jazz, c'est parce que je considère l'improvisation comme un élément constitutif de la composition. Pour moi, une bonne composition est basée sur une bonne improvisation. Et une bonne improvisation - regardez Keith -Jarret, est une composition. Je ne vois pas trop la différence qui pourrait les séparer et cela explique que mes projets soient libres de toute esthétique fixe car je puise une grande liberté des différentes musiques que j'aime, que j'écoute et qui m'inspirent. Jouer tous styles de musique devant tous styles de public est une chose fascinante. Invité dans un festival en Allemagne, à la programmation traditionnelle et au public conservateur, j'ai choisi de jouer Scarlatti, Bach, Liszt
    Le lendemain, je rejoignais mes amis du Quatuor à Montreux pour un concert de jazz. Cette différence et cet éclectisme des styles, des ambiances et des publics m'enrichit énormément.

     
    Vous êtes d'ailleurs compositeur à part entière, n'est-ce pas ?

    Le public ne connaît pas vraiment mes oeuvres et ce qui a motivé mon concerto pour piano ou mes compositions pour musique de chambre. Même si je joue un peu jazzy, ou de la musique turque avec mon quartette, la reconnaissance d'un compositeur par le public passe par le biais traditionnel des symphonies, des concertos, des trios, des opéras
    En janvier 2002 cependant, je créerai à Paris avec Kurt Masur et l'Orchestre National de France mon concerto pour piano, disons que ce sera l'occasion pour le public de me découvrir en tant que compositeur.

     
    Demain, vous jouerez la Symphonie The Age of Anxiety de Bernstein : quel regard portez-vous sur cette oeuvre ?

    Je pense que si vous ne l'avez jamais entendue, vous ne devinerez pas que Leonard Bernstein l'a composée. On peut penser à Prokofiev, Chostakovitch, ou à un compositeur entre Hindemith et Gershwin, mais pas à Lenny. Cependant, cette symphonie concertante est une oeuvre dramatique vraiment intéressante. Je l'ai découverte il y a 2 ans et je l'ai tout de suite aimée. Pour le moment, cette expérience est pour moi plus importante que de jouer un autre concerto de Mozart.

     
    Que représente Bernstein pour vous qui ne l'avez pas connu ?

    Leonard Bernstein était un musicien complet, à la fois interprète, chef d'orchestre et compositeur. Il s'est beaucoup attaché à rendre la musique classique plus accessible. Tout ce qu'il a fait me paraît très important et je l'admire profondément. C'est une de mes idoles

     
    Vous en avez d'autres ?

    J'aime tous les musiciens qui ont une forte personnalité comme Glenn Gould ou Horowitz. Il y a aussi Michelangeli bien sûr, qui au fil de sa vie n'a cessé d'améliorer son jeu et son interprétation. Il reprenait sans cesse les mêmes oeuvres pour finalement toucher la perfection. Personne n'a aussi bien joué les Préludes de Debussy, et il ne sera probablement jamais égalé. En ce sens, je ne veux pas m'attaquer à des oeuvres dont j'estime qu'elles ont déjà été interprétées à la perfection, même si je les aime. Je ne jouerai par exemple jamais les Variations Goldberg : Glenn Gould en a donné une version définitive et il n'y a plus rien à rajouter.

     
    En France, vous êtes l'objet d'une véritable controverse critique. Comment la percevez-vous ?

    Cela me semble assez naturel. Prenons l'exemple, de mon enregistrement Mozart. D'un côté, il y a ceux qui attendent quelque chose de nouveau dans l'interprétation – ils aimeront ou pas -, et de l'autre, ceux qui ont une conception précise de l'oeuvre dont ils ne démordront pas. La même scission s'opère dans le public. C'est signe que je ne laisse pas indifférent, et ça ne me déplaît pas.


    Lire aussi :
    La critique de son dernier CD
    Visiter le site de l'artiste

     

    Le 17/11/2000
    Pauline GARAUDE


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