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ENTRETIENS 19 avril 2024

Bayreuth plus fort que Dallas

© Gallimard

Nike Wagner est l'arrière-petite-fille de Richard Wagner. Après son cousin Gottfried, c'est à son tour de publier un livre qui rompt le silence sur la ténébreuse histoire de la famille Wagner. Violemment opposée à son oncle Wolfgang Wagner, elle brigue, elle aussi, la direction du Festival de Bayreuth. Entretien.
 

Le 06/12/2000
Propos recueillis par Françoise MALETTRA
 



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  • Famille, je vous hais ? La quatrième gĂ©nĂ©ration des Wagner rompt le silence sur les tĂ©nĂ©breuses affaires d'une famille en proie aux turbulences de l'Histoire, avec ses grands premiers rĂ´les (Cosima, Siegfried, Winifred, Wieland, Wolfgang et les autres
    ), évoluant et se déchirant dans un décor unique : Bayreuth.

    Famille, je vous hais ? Ils sont deux, deux des arrière-petits-enfants de l'illustre fondateur de la dynastie, respectivement fille et fils des frères ennemis qui ferraillèrent longtemps pour la domination absolue sur les lieux sacrés : Wieland, l'inspirateur du "Nouveau Bayreuth", disparu en l966, et Wolfgang, le créateur, l'intraitable patriarche qui règne depuis quarante ans sur le Festival. Gottfried et Nike sont des héritiers sans aucun état d'âme, et en tout cas farouchement déterminés à dire toute la vérité, et rien que la vérité, parfois avec une violence inouïe, sur les secrets trop bien gardés de la saga familiale.

    Deux ans après la biographie de Gottfried, qui dénonçait l'aveuglement programmé d'une adolescence tenue à l'écart des événements qui ébranlaient la famille, c'est au tour de Nike, sa cousine, de décrire froidement le climat de passions exacerbées, d'interdits transgressés, de luttes de pouvoir fratricides entre les murs de la Wahnfried, la résidence légendaire où s'inscrit le destin du clan, d'ouvrir le lourd dossier de l'antisémitisme actif de Winifred, la redoutable et toute puissante grand-mère aux amitiés à hauts risques avec Hitler, de stigmatiser les efforts de la famille pour redevenir politiquement correcte, et faire acte de repentance en 1976 avec un "Ring" signé Boulez et Chéreau.

    À l'heure où la succession pour la direction du Festival est ouverte, où les prétendants ôtent leurs masques, Nike prend position, déclare vouloir en finir avec le pathos wagnérien et les règlements de compte, et précise au passage qu'elle militera pour que l'intégralité de l'oeuvre de son arrière grand-père retrouve le chemin de Bayreuth. Mais pour obtenir les clefs du royaume, il reste un obstacle majeur : son père Wieland, qui ne l'entend pas, mais pas du tout de cette oreille là. Il vient d'annoncer une nouvelle production de la Tétralogie pour 2OO6, dont il sera
    le maître d'oeuvre. Dont acte !

     
    Nike Wagner, la publication de votre livre obéit-elle à un devoir de mémoire, ou à la nécessité d'en finir avec ce que vous appelez "le pathos wagnérien" ?

    Depuis la mort de Richard Wagner, chacun a cru bon d'écrire son propre roman familial. En ce qui me concerne, mon intention était à l'origine de rendre justice à ma mère, la chorégraphe Gertrud Reissenger, rejetée par le clan, reniée, mise à l'écart. J'ai vu sa souffrance devant cette injustice, et j'ai voulu qu'elle ait sa place dans le livre. Mais c'est plus largement, en effet, un travail de mémoire sur l'histoire de ma famille, et en même temps un travail de deuil, une véritable auto-thérapie, comme si la distance que j'étais obligée de prendre avec les événements m'aidait à guérir des anciennes blessures. Je suis née en 1947, donc après la guerre, et j'ai tenté de comprendre objectivement la relation qui pouvait être celle de la famille avec le siècle, en en particulier la période hitlérienne, replacer les individus dans ce contexte très particulier, et analyser leurs comportements. Faute de quoi, ils risquaient de rester longtemps encore indéchiffrables. Ce livre est en fait un récit de psycho-histoire.

     
    Dans son autobiographie, votre cousin Gottfried Wagner parle d'une enfance confisquée, écartée des événements qui ébranlaient votre famille. Comment avez-vous vécu la vôtre ?

    J'ai eu une enfance et une adolescence merveilleuses. Nous habitions dans la résidence magique de la Villa Wahnfried. Nous étions environnés de musique. Le monde était à nous, nous étions des enfants-rois. Et puis je suis la fille de Wieland Wagner, l'homme du nouveau Bayreuth, celui qui dans ses mises en scène a libéré Wagner des ombres du passé et purifié son image des tâches de l'idéologie nazie. J'étais née du bon côté. Bien sûr, il y avait ma grand-mère Winifred, si austère, si rigide, qui ne se posait jamais de telles questions, tant elle était certaine d'avoir toujours raison, qui allait jusqu'à nier avec hauteur les accusations qui faisaient d'elle la grande coupable de l'affaire. Elle n'y voyait que mensonges issus de la propagande américaine. Et la révélation que j'eus plus tard de la vérité m'a profondément bouleversée.

     
    Quels sont les personnages de votre famille qui vous inspirent soit de l'admiration, soit de la compassion, soit une franche hostilité ?


    Je ne peux pas voir des sentiments aussi tranchés pour aucun d'entre eux. Cosima, par exemple, je ne la condamne pas comme l'a fait mon père, qui la disait "follement révolutionnaire" . Certes, elle était dure, inflexible, mais à l'époque où, après la mort de Wagner, elle prend la direction du Festival de Bayreuth, celui-ci vient d'être créé. Rien n'est établi. Il lui faut faire face à des difficultés énormes, car on se méfiait de cette veuve intraitable. Mais tout ce qu'elle pouvait faire, elle l'a fait. C'était son rôle historique. Alors, non, je ne pardonne pas son antisémitisme à la fille d'un Liszt, modèle parfait de cosmopolitisme et de tolérance. Prenons mon grand-père Siegfried : parce qu'il avait une nature douce et peu combative, on l'a considéré comme nul. Et puis il n'était pas compositeur. Comment voulez-vous exister lorsque vous êtes le fils de Wagner ? Il eut le pire des rôles, et pourtant il a réalisé ce que l'on attendait de lui : maintenir le Festival à un bon niveau artistique et assurer la dynastie. Quant à mon oncle Wolfgang, il concentre sur lui trop de pouvoirs destructeurs. Il ne se soucie en rien de l'avenir de Bayreuth. Il n'est attaché qu'à sa propre personne et à la sphère d'influence qu'il a mise en place.

     
    Vous dîtes "il faut cesser le jeu pervers des éternels règlements de compte, si l'on veut assurer la survie du Festival. Vous le dîtes à un moment où la succession pour la direction de Bayreuth est ouverte. Malgré les chances incertaines de la famille d'y accéder, vous avancez votre projet personnel de candidate : opposer au "rien que Wagner comme avant", le "désormais tout Wagner."

    La famille est une chose, l'oeuvre de Wagner en est une autre. Quant à l'avenir du Festival, oui, j'ai envie de reprendre en main son destin pour le sortir d'une routine mortelle. L'obstacle majeur vient de la Fondation Wagner, qui veut que tout candidat s'engage à ne programmer que les opéras de Wagner, toujours les mêmes, et au seul Festspielhaus. Moi, je veux ouvrir le théâtre aux oeuvres de jeunesse, à Rienzi, à La défense d'aimer, aux Fées. Je veux créer une saison de printemps, jeune et expérimentale, capable d'instaurer une nouvelle dramaturgie, qui réunirait chaque année artistes, intellectuels, musiciens, autour d'une thématique forte (par exemple "La Quête du Graal"), passer commande à de jeunes compositeurs dont les oeuvres seraient jouées en ouverture de la saison, et enfin investir d'autres lieux, comme le Château de l'Ermitage, l'Opéra du Margrave, ou même la Villa Wahnfried.

     
    Quelles sont les forces positives et les forces négatives en présence actuellement ?

    J'ai avec moi le public, les artistes et les intellectuels. J'ai contre moi les politiques. Savez-vous qu'il n'y a aucune personnalité artistique au sein du Conseil de la Fondation ? Ses membres ne veulent rien savoir. Ils n'ont pas d'idées à proposer et craignent comme la peste ceux qui en ont. Je leur ai dit : "même si mon projet fait fuir la moitié du public actuel de Bayreuth, il en restera largement assez pour ne pas compromettre le budget du Festival." Bayreuth, c'est un paradis pour les gestionnaires. Mais que faire avec un Wolfgang Wagner, nommé à vie, seul maître à bord, qui à l'âge de 8O ans signe des contrats avec les chefs d'orchestre pour 2O11 ! Reconnaissez qu'un tel héritage n'est pas acceptable. Depuis deux ans, on cherche un successeur à Bayreuth pour remettre à flot le vieux bâtiment. Les alliances se nouent et se dénouent, mais la famille existe envers et contre tout. Elle a décidé de faire front contre l'ennemi commun : Wolfgang Wagner.


    À lire :

    - Nike Wagner , "Les Wagner, une histoire de famille", Editions Gallimard, 159 F.

    - Gottfried Wagner, "L'héritage Wagner, une autobiographie", Editions du Nil, 139 F.

     

    Le 06/12/2000
    Françoise MALETTRA


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