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ENTRETIENS 25 avril 2024

Dawn Upshaw,
la dame de l'aube

© Marie Noelle Robert - Châtelet

Dawn Upshaw dans El Niño

Si son nom évoque le lever du soleil, son timbre si particulier évoque plutôt la lune (comme le soulignait un disque récital intitulé White Moon) ; un ailleurs vocal. Aussi à l'aise dans Mozart que dans la musique de son siècle, Dawn Upshaw vient de faire un passage remarqué dans El Niño de John Adams. Rencontre.
 

Le 26/12/2000
Propos recueillis par Michel PAROUTY
 



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  • Vous semblez particulièrement attirée par la culture française ; d'où vient cet intérêt ?

    La culture française m'intéresse mais je ne la connais que très imparfaitement ; en revanche, je me sens des liens très étroits avec les gens, et surtout avec la musique. Je ressens cette intimité à travers les couleurs, les timbres, les manières de la musique française, sans pouvoir définir avec précision ce qui m'attire en elle. J'aime beaucoup la musique allemande, mais, probablement à cause de mon background, de ma famille et de mes goûts personnels, je n'ai pas avec elle de contact immédiat.

     
    Prenons un exemple : pourquoi vous sentez-vous à l'aise dans un univers aussi particulier que celui de Debussy ?

    J'en apprécie la profondeur, la vulnérabilité, la tristesse. Sa structure harmonique me plaît particulièrement, elle ne me saute pas à la figure agressivement, si je peux m'exprimer ainsi. J'aime son côté introspectif.

     
    Comment avez-vous conçu votre interprétation de Mélisande ?

    C'est un personnage que je n'ai chanté que dans deux productions très différentes qui m'ont chacune procuré un grand plaisir, l'une mise en scène par Bob Wilson, l'autre par Jonathan Miller et je suis loin d'en avoir fini avec. Dramatiquement, je ne suis pas encore parvenue au coeur du rôle. Wilson impose une lumière, un ton, qui subsistent jusqu'à la fin du spectacle, le temps s'écoule lentement, c'est superbe. Mais j'aimerais m'imposer un plus grand défi, creuser le personnage d'une façon plus réaliste ; Miller allait dans cette voie mais nous n'avons pas travaillé ensemble assez longtemps. Quand quelque chose est nouveau pour moi, j'ai besoin d'une longue période de préparation.

     
    Trouvez-vous difficile, ne parlant pas français, de chanter dans cette langue ?

    C'est aussi un défi, et c'est vraiment très difficile de capter toutes les nuances de la langue.

     
    Comme beaucoup de chanteuses non francophones, vous avez enregistré les Chants d'Auvergne de Canteloube. Pourquoi cette musique vous a-t-elle séduite ?

    C'est une idée qui est venue de ma maison de disques, Erato. Je connaissais à peine ces partitions, je crois que j'avais seulement entendu le disque de Frederica von Stade. En y regardant d'un peu plus près, j'ai constaté qu'elles avaient souvent été enregistrées, et je me suis dit : "Pourquoi pas ?". J'ai étudié quelques morceaux, je les ai trouvés très gratifiants pour l'interprète, simples, joliment orchestrés. J'ai pensé que ce serait amusant d'en donner ma version et Kent Nagano a achevé de me convaincre.

     
    Vous avez également consacré un enregistrement au répertoire de la cantatrice Jane Bathori, pourquoi ?

    Mon mari m'aidait à composer un programme original pour un récital centré autour de la musique française du XXe siècle autre que celle de Debussy. En lisant différentes compositions, nous sommes souvent tombés sur le nom de Jane Bathori. J'ai écouté les repiquages de ses disques publiés par Marston, et j'ai décidé, en quelque sorte, d'aller à sa rencontre. La liste des oeuvres qu'elle a données en première audition est impressionnante. Son action en faveur de la musique de son temps a été pour moi un encouragement et une source d'inspiration.

     
    Aimeriez-vous avoir une démarche identique ?

    Je me demande surtout si j'aurais la possibilité de faire les choses à fond. Ce serait une formidable expérience, pas seulement pour dire : "Voilà, je l'ai fait", mais pour être vraiment immergée dans des idées nouvelles, des courants novateurs. Deux ou trois fois pas ans, j'essaie de participer à des créations. Mais Jane Bathori était beaucoup plus impliquée dans la vie musicale de son siècle que moi, elle découvrait des chanteurs, elle jouait du piano, il lui arrivait souvent de s'accompagner elle-même. Elle avait un don irremplaçable, celui d'apprendre très rapidement ; bien souvent, elle recevait les pièces qu'elle devait créer au dernier moment. C'était un formidable véhicule pour la musique contemporaine, et une femme admirable, qui a aidé de nombreux compositeurs.

     
    On vous a découverte, en France, dans le rôle de Despina de Cosi fan tutte, à Aix-en-Provence, en 1988. Revenez-vous souvent vers Mozart ?

    Je vais rechanter bientôt Despina ; je me demande, après plusieurs années de séparation, comment je vais retrouver mon personnage. Je vais refaire aussi Ilia d'Idomeneo. Je conserverai toujours une place pour des rôles mozartiens dans mon calendrier. C'est une bénédiction de chanter Mozart, et le meilleur moyen, pour un chanteur, de maintenir la qualité de sa technique vocale. C'est une musique simple mais très exposée, on ne peut rien dissimuler ; quand vous chanter Mozart, vous savez exactement ce qui se passe dans votre gorge.

     
    Votre répertoire saute directement du XVIIIe au XXe siècle, sans regrets ?

    Le XIXe siècle est musicalement très riche, mais l'opéra de cette époque ne me convient pas ; beaucoup de mes consoeurs le font très bien, mieux, en tous cas, que je ne pourrais le faire. Il ne me reste que les mélodies. Il y a un large fossé, dans mon répertoire, mais je n'en ai absolument pas honte.

     
    Vous travaillez régulièrement avec Peter Sellars. Le choix d'un metteur en scène est important pour vous ?

    Il est fondamental. Selon le metteur en scène qui me dirige, je sais si je vais faire du bon travail ou non. C'est lui qui fait toute la différence. En ce moment, avec Peter, John Adams et toute l'équipe, nous répétons El Niño, et nous vivons une expérience exaltante, l'une de celles qui compteront dans ma vie d'artiste.

     
    Le Saint François d'Assise de Messiaen, toujours avec Sellars, fait aussi partie de celles qui compteront ?

    Oui. Catégoriquement. Je regrette d'ailleurs que la production ne soit pas reprise à cause d'un désaccord avec Yvonne Loriod.

     
    Vous l'avez rencontrée ?

    Oui, et je dois dire qu'elle s'est montrée extrêmement aimable, et d'une grande sincérité. Elle m'a beaucoup parlé de son mari, de ses mélodies, de ses convictions spirituelles, et ce qu'elle m'a dit a changé ma vie, m'a rapproché de ma propre expérience religieuse, même si ma pratique de la religion n'était pas la même que celle de Messiaen. Je me suis senti des liens spirituels très forts avec lui, mais je ne peux les expliquer avec mes faibles moyens.

     
    Vous participez à la création d'El Niño ; comment décririez-vous la musique de John Adams ?

    Mon Dieu ! J'aurais dû me douter que vous me poseriez cette question, j'aurais préparé ma réponse ! Je pense que ses oeuvres orchestrales sont les meilleurs que l'on puisse entendre de nos jours. Il possède un véritable don de la forme et de la structure, sous-tendu par une immense force d'intentions. Son écriture vocale est très expressive, fouillée dans le moindre détail ; il sait créer d'immenses images qui vous mènent loin, très loin, et en même temps il a une compréhension intime de la voix, du phrasé, des intervalles, de la mélodie. Sa musique me touche profondément ; souvent, après avoir répété mes airs, j'ai les larmes aux yeux.

     
    Et le travail avec Sellars ?

    Peter est présent depuis le début. Il a assisté à toutes les répétitions musicales. Il sait exactement ce qu'il veut et l'explique de manière très vivante ; en même temps, il est ouvert à toute discussion, mais il possède une telle force de conviction qu'il finit par l'emporter. J'ai toujours l'impression qu'il est en avance sur moi. Il est aussi impliqué dans le texte que dans la musique ; c'est même de loin le metteur en scène le plus concerné par la musique que je connaisse. Il part d'une idée bien précise, d'une histoire, d'émotions, rien n'est planifié, les gestes viennent naturellement.

     
    Et Wilson ?

    Chez lui, au contraire, tout est préparé à l'avance. Il arrive avec ses assistants pour créer des images, des tableaux magnifiquement éclairés, sa conception de la mise en scène est picturale et plastique, et il n'y apporte que peu de changements au cours des répétitions.

     
    Comme beaucoup de chanteurs Américains, vous avez enregistré des airs de comédie musicale ; est-ce un hommage à votre pays ?

    Le musical est une partie essentielle de notre culture. L'éducation musicale, aux Etats-Unis, laisse relativement peu de place à la musique classique, mais les spectacles scolaires ou universitaires tournent la plupart du temps autour de la comédie musicale. En ce qui me concerne, je n'ai vu mon premier opéra qu'à dix-huit ans. Avant mes études de chant, je n'avais qu'une vague idée du répertoire classique, alors que le musical et le folk-song faisaient partie de mon quotidien. Je considère Stephen Sondheim comme un immense compositeur, qui a ouvert de nouvelles voies à l'art américain. J'ai chanté Sondheim, Gershwin, Vernon Duke aussi bien qu Copland, Barber, John Harbison, Adams
    Nous nous devons de défendre la musique de notre pays."

     


    Discographie sélective.

    Adams : American Elegies dir. Adams (Nonesuch)
    Canteloube : Chants d'Auvergne dir. Nagano (Erato)
    Debussy : "Forgotten songs". James Levine, piano (Sony)
    Duke : Dawn Upshaw sings Vernon Duke (Nonesuch)
    Gershwin : Oh Kay ! dir. Stern (Nonesuch)
    Gorecki : Symphonie n°3 dir. Zinman (Nonesuch)
    Messiaen : Saint François d'Assise dir. Nagano (Deutsche Grammophon)
    Mozart : Les Noces de Figaro dir. Levine (Deutsche Grammophon)
    Rodgers : Dawn Upshaw sings Rodgers and Hart (Nonesuch))
    Stravinsky : The Rake's progress dir. Nagano (Erato)

    Récitals :
    Barber, Menotti, Harbison dir. Zinman (Nonesuch)
    "I wish it so" : Blitzstein, Weill, Sondheim dir. Stern (Nonesuch)
    "White Moon" : Crumb, Dowland, Haendel, Warlock (Nonesuch)
    "The World is so wide" : Copland, Adams, Bernstein, Floyd.. (Nonesuch)

     

    Le 26/12/2000
    Michel PAROUTY


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