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ENTRETIENS 20 avril 2024

Gabriel Garrido musicalement parlant
© Eric Sebbag

Grand spécialiste des répertoires baroques latins, le chef argentin Gabriel Garrido a dirigé les Monteverdi l'automne dernier dans le cadre des Académies baroques d'Ambronay. À la suite de son dernier disque consacré au même compositeur (le Couronnement de Poppée), il est revenu pour Altamusica sur son travail de chef.
 

Le 10/01/2001
Propos recueillis par Eric SEBBAG
 



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  • Monter une oeuvre aussi complexe que les Vêpres de la Vierge de Monteverdi avec les jeunes musiciens des Académies d'Ambronay (1) paraît un immense défi : qu'est-ce qui vous a conduit à l'accepter ?

    Monter une oeuvre avec des élèves, comme il est d'usage dans cette Académie, n'est pour moi ni étrange ni nouveau. Au Centre de Musique Ancienne de Genève où j'enseigne, la démarche n'a rien d'exceptionnel. Ce travail me fascine et les recherches que nous menons ensemble sont nécessaires et très enrichissantes. C'est en même temps un travail avec les étudiants et un laboratoire pour moi-même car l'interprétation de la musique ancienne est toujours en mouvement. D'ailleurs, l'interprétation des Vêpres que nous avons présentées à l'Académie sont assez différentes de celles que j'ai pu enregistrer l'année dernière pour l'éditeur K.617.

     
    Qu'avez-vous réellement appris à vos étudiants ?

    Je juge vital de les aider à replacer cette musique dans son contexte historique. Au XVIe, la musique est régie par les affects et ceux-ci sont au centre du phénomène artistique. Or souvent, les chefs mettent l'accent sur une recherche stylistique. Pour ma part, je mets davantage l'accent sur la signification profonde des affetti qu'engendrent des techniques comme les mezza voce ou les ornements. J'incite également les élèves à mener des recherches personnelles sur les manuscrits ; souvent, ils découvrent des choses insoupçonnées.

     
    Qu'en est-il de la fonction religieuse des Vêpres ?

    J'ai une conception tournée vers l'exaltation de l'affect qui, dans la musique ecclésiastique d'alors, avait été bannie par le Concile de Trente. L'exaltation de la Vierge a toujours été un atout majeur dans l'expansion du catholicisme. À cette époque, la célébration de la Vierge est au centre des cérémonies et des fêtes religieuses, et cette ferveur a laissé des traces dans l'Italie du XXe siècle.

     
    Partagez-vous l'avis de Gustav Leonhardt selon lequel les bons élèves trouvent d'eux-mêmes leur chemin, les autres non ?

    C'est absolument faux et teinté de romantisme ambiant. J'ai toute ma vie observé le contraire. Le mythe sur les bons et les mauvais élèves, les grands et les petits musiciens, les oeuvres uniques et les Génies avec un grand G ont fait leur temps dans l'histoire de la musique. Il est temps de réviser certaines de ces idées absurdes.

     
    Quel est votre degré de tolérance face aux faiblesses des instrumentistes ?

    Je leur laisse beaucoup de liberté tant dans l'interprétation que dans l'improvisation. Je n'aime ni les fausses notes ni les erreurs, même si l'on peut davantage les tolérer dans la musique baroque que dans la musique renaissance. La musique baroque nécessite un engagement affectif immense et l'improvisation comporte des risques. Je suis très tolérant vis-à-vis de cela car la chose primordiale est de faire passer l'affect et d'atteindre le maximum d'émotions, quitte parfois à commettre des erreurs stylistiques

     
    On connaît votre travail de vulgarisation de la musique baroque en Amérique latine, comment présentez-vous là-bas un compositeur comme Monteverdi ?

    Sous l'angle d'une musique où règne la puissance expressive et dramatique. Le public, notamment en Argentine, est très réceptif à cette musique qui, de toute évidence, a une résonance avec leur culture et leur manière de ressentir. Autrefois, il n'y avait pas cette barrière entre la musique populaire et la musique dite savante. Dans ma jeunesse, j'ai joué du folklore latino-américain et ce n'est pas pour rien si j'incorpore ses particularités expressives dans l'interprétation de la musique baroque, pour mieux la transmettre.

     
    Justement, on explique parfois le succès actuel du baroque par sa structure musicale plus directe et comparable à celle des musiques populaires d'aujourd'hui : est-ce votre avis ?

    Tout à fait. La structure est plus directe et les émotions passent, comme dans la musique populaire, plus spontanément. C'est pour cette raison que la musique baroque a une dimension universelle et qu'elle ne laisse personne insensible. Toute la musique baroque a été faite pour communiquer directement, et en Amérique latine, elle était très souvent jouée sur la place publique. Elle peut être à l'inverse du romantisme qui lui, a cloisonné les gens dans un sentiment nationaliste.

     
    On a parfois reproché à votre collègue Jordi Savall de mélanger les répertoires espagnols et italiens : comment les différenciez-vous ?

    La musique italienne est avant tout théâtrale et basée sur l'extériorisation des émotions, plus directement communicatives. Je trouve la musique espagnole plus emprunte de mysticisme. Il suffit d'écouter la polyphonie espagnole du Siècle d'Or pour constater qu'elle est non théâtrale. Jordi Savall est à mes yeux un chef mystique, le maître du répertoire espagnol.

     
    L'école baroque moderne a glorifié le travail des autodidactes. Comment vous situez-vous sur ce point précis ?

    Je suis très institutionnel et je crois aux vertus des écoles car j'ai la preuve de leur efficacité. Si j'aime tant travailler avec des élèves c'est parce que je me considère moi-même comme un élève. J'ai été formé à La Scola Cantorum et même si je ne partage pas forcément la vision du baroque qui règne à Bâle, cet enseignement m'a donné beaucoup d'armes. Sans la Scola, je n'aurai jamais pu forger mon style. Je suis autodidacte si on considère la synthèse personnelle des éléments que j'ai appris, mais ma formation de base à la Scola a constitué la base indispensable de mon évolution personnelle.

     
    Avant de vous tourner vers la direction, quel a été votre parcours d'instrumentiste ?

    À 7 ans, j'ai commencé la flûte et la musique ancienne. Puis à 10 ans, je me suis mis à la guitare qui est mon principal instrument. J'ai suivi l'enseignement d'une école pilote en Argentine d'où je suis sorti, à 18 ans, avec le grade de professeur. On y enseignait la musique ancienne et les instruments qui relèvent du répertoire "classique". À 15 ans, il y a eu la visite de la Scola Cantorum à Buenos Aires et là, j'ai eu la fascination des sonorités du luth ou du cromorne. C'est alors que j'ai décidé de me consacrer à ce répertoire, ce pourquoi je me suis perfectionné à Paris et Bâle. La musique italienne du XVIe me passionnait, et pendant 10 ans, j'ai mené des recherches sur son instrumentarium.

     
    Et le passage de la Renaissance au baroque ?

    C'est en travaillant sur la musique renaissante en Italie que j'ai réalisé d'où venait mon scepticisme d'alors pour le baroque. En fait, j'ai réalisé que ce n'était pas le baroque qui me déplaisait, mais la manière "renaissante" dont ce répertoire était joué. En 1991, j'ai décidé de prendre une année sabbatique pour étudier les XVIIe et XVIIIe d'Amérique latine et je suis allé deux ans aux Missions Jésuites de Chiquitos. C'est là-bas qu'est réellement né mon amour du répertoire baroque. Là aussi a commencé mon parcours de chef : dès 1992, je gravais mon premier enregistrement consacré à la musique baroque latino-américaine.

     
    Si on devait résumer le travail d'un chef baroque, comment le formulerait-on ?

    Je ne vois pas de normes esthétiques que l'on puisse rendre universelle. Pour ma part, mon travail part d'une compréhension du langage écrit, de la signification intrinsèque des affetti. Ce n'est qu'après ce travail d'investigation que je commence à penser à une réalisation sonore. Pour moi, le préalable est de trouver ce que cette musique veut dire.

    Lire la critique du Couronnement pour Altamusica par Roger Tellart

    (1) Chaque année, le Festival d'Ambronay invite un chef à monter une oeuvre majeure du répertoire baroque avec des élèves issus des meilleures classes de musique baroque en Europe. Ambronay a notamment révélé des jeunes talents comme Stéphanie d'Oustrac.

     


    Discographie sélective

    - Monteverdi : Le Couronnement de Poppée et le Retour d'Ulysse dans sa patrie Ensemble Elyma K.617
    - Musique sacrée des Missionnaires, oeuvres de Zipoli, Araujo, Salazar. Ensemble Affetti Musicali K.617
    - La Purpura de la Rosa de Francis de Torrejon y Velasco, Ensemble Elyma, K.617

     

    Le 10/01/2001
    Eric SEBBAG


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