altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 16 avril 2024

Jukka-Pekka Saraste, un grand chef venu du froid
© Radio-France

Principal chef de l'Orchestre symphonique de la radio de Finlande et directeur musical de l'Orchestre symphonique de Toronto, le Finlandais Jukka-Pekka Saraste va bientôt abandonner ses fonctions pour une carrière de chef invité. Sans filets. Tournée cette semaine en France à la direction de l'Orchestre symphonique de la radio finlandaise.
 

Le 16/01/2001
Propos recueillis par Stéphane HAIK
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Cet Ă©tĂ©, vous abandonnerez la direction de l'Orchestre symphonique de Toronto. Quelles sont les raisons de cette dĂ©cision ?

    Je tenais à quitter le continent américain pour l'Europe, après plusieurs années, sept ans précisément, à la direction de l'Orchestre symphonique de Toronto. C'est une aspiration bien légitime que de vouloir retrouver ses racines : quelle que soit la capacité d'adaptation d'un artiste à l'étranger, il ne pourra jamais complètement s'immerger dans la culture d'un pays qui n'est pas le sien. Dès lors, mon choix s'est naturellement imposé. Je ne vous cacherai pas non plus l'existence de problèmes au sein de l'Orchestre symphonique de Toronto, qui m'ont conforté dans ma décision : un orchestre, c'est comme n'importe quelle entreprise, avec ses conflits, ses écueils financiers et administratifs, la valse-hésitation des managers. Quand ces " errements " commencent à porter préjudice à la musique, il faut savoir dire stop et se retirer discrètement. Il y a des choses que l'on ne peut cautionner. Je tire cependant un bilan positif de ces années-là. Mon objectif a été de présenter au public canadien l'éventail le plus large possible du répertoire d'orchestre, non dans une démarche d'exhaustivité absolue, mais en tentant de lui offrir le meilleur de chaque style, de chaque période musicale, de celle de Mozart à celle de Berio. Je crois avoir atteint ces objectifs.

     
    Vous avez également sévèrement critiqué l'inertie des autorités politiques canadiennes à voter les budgets nécessaires pour que l'acoustique du Roy Thomson Hall - qui tient lieu de résidence à l'Orchestre symphonique de Toronto - soit améliorée. Il y a quelques semaines, la décision était finalement prise de planifier ces travaux tant attendus. A posteriori, ne regrettez-vous pas de quitter votre orchestre ?

    Il faut savoir ne jamais revenir sur une décision, quel qu'en soit le sacrifice. Je suis heureux que l'on ait pris conscience de ce grave problème et que l'on ait trouvé les moyens financiers de pallier cet handicap. Comment pourrait-on sérieusement imaginer qu'un orchestre professionnel puisse continuer à jouer dans de telles conditions ? J'ai agi pour le bien des musiciens. Je suis ravi qu'ils aient obtenu gain de cause.

     
    Le cas du Roy Thomson Hall est symptomatique d'une situation plus générale. Au quatre coins du monde, on dénonce la piètre qualité acoustique de salles pourtant prestigieuses


    C'est un des aspects musicaux essentiels, et je m'étonne que ces revendications soient venues si tardivement. Mais il faut savoir se replacer dans le contexte d'une époque où l'on bâtissait des salles de concert les unes après les autres. La problématique se posait en terme d'architecture, non d'acoustique. Veiller au respect des conventions stylistiques du moment, tout en s'interrogeant sur la capacité d'accueil du public : voilà les priorités. La qualité du son, le degré de réverbération, et bien d'autres critères sonores, relèvent d'une science qui ne s'est vraiment développée qu'au cours des toutes dernières décennies.

     
    Indépendamment d'aspects acoustiques, n'y a-t-il pas une véritable crise des grandes phalanges symphoniques ?

    C'est un phénomène que l'on observe, en effet. Partout, ou presque, se pose la question de la structure de l'orchestre moderne : est-elle aujourd'hui adaptée aux attentes d'un répertoire et d'un public ? On ne sait pas toujours y répondre hélas. Des problèmes financiers viennent se greffer le plus souvent à ces interrogations musicales ; les politiques hésitent à injecter de l'argent dans des structures dont ils ne mesurent parfois que difficilement l'impact qu'elles peuvent avoir sur le citoyen ; et l'épineuse problématique de la démocratisation de la musique intervient alors de manière criante. Quoi qu'il en soit, tous les pays ont leur tissu d'orchestres symphoniques, qui continuent d'exister, au-delà des difficultés rencontrées. Et pas un seul homme politique n'aura jamais l'idée de rayer d'un trait de plume tout un paysage musical solidement ancré dans la culture d'un pays qu'il représente.

     
    Que pensez-vous du projet du sénateur à la culture de Berlin de faire fusionner les deux grandes maisons d'opéras de la capitale allemande que sont le Staatsoper et le Deutsche Oper ?

    Je trouve la situation bien sûr dramatique, parce que, une fois encore, le projet n'a pas été motivé par des raisons musicales. On parle beaucoup de cette possible fusion, de la trame politique qui la sous-tend, et la musique reste le parent pauvre de toute cette affaire. C'est regrettable.

     
    Des chefs se battent à Berlin pour défendre leur " maison " ; d'autres rêvent d'être nommés à New York ; vous, vous décidez de prendre le large en quittant l'Orchestre symphonique de Toronto et l'Orchestre symphonique de la radio de Finlande, après avoir rejeté les propositions de l'Orchestre symphonique de la BBC et de l'Orchestre philharmonique de Radio France


    A quarante ans, je veux maintenant prendre le temps de la réflexion, prendre du recul, ne pas entrer dans la dangereuse routine du directeur musical, tenter de nouvelles expériences musicales qu'un calendrier jusque-là trop chargé m'interdisait. Au nombre des prochaines aventures, il y aura sans doute l'opéra, qui est l'une de mes passions. La vie de chef invité n'a rien de déshonorant : bien au contraire, elle ouvre des perspectives enrichissantes, que l'on ne soupçonne même pas. C'est un luxe que j'avais envie de m'offrir.

     
    Vous êtes néanmoins déjà considéré comme un chef d'une grande polyvalence, capable de diriger avec un égal bonheur Mozart comme les compositeurs finlandais de notre temps


    Détrompez-vous, il y avait tout un pan du répertoire que j'avais laissé de côté. Je redécouvre aujourd'hui Brahms, Bruckner, Mahler. Je reste néanmoins toujours très attaché à la défense du répertoire contemporain : une véritable profession de foi.

     
    Comment concourir efficacement à une meilleure démocratisation de la musique d'aujourd'hui ?

    Il y a quelques années, avec Esa-Pekka Salonen, j'ai fondé l'Orchestre de chambre Avanti !, spécialisé dans le répertoire de notre temps, sans oeillères à l'égard d'aucune école ou courant esthétique. Mais l'essentiel se trouve sans doute ailleurs. Pour drainer un nouveau public vers la musique contemporaine, il faut absolument la " décloisonner ", la faire sortir le plus souvent possible du ghetto pour mieux l'intégrer aux programmes de concerts traditionnels : c'est à cette condition que l'on pourra vraiment progresser.

     
    Vous évoquiez Esa-Pekka Salonen. Il y a aussi Osmo Vänskä. Ensemble, vous formez une nouvelle génération de chefs finlandais


    Mais nous sommes tous différents ! C'est que Jorma Panula, notre professeur à l'académie Sibelius d'Helsinki, a su respecter nos personnalités : c'est en ce sens que Panula est un pédagogue rare. C'est un enseignant qui n'a pas d'idées arrêtées sur la direction d'orchestre, qui sait au contraire rester très pragmatique.

     
    Jorma Panula est souvent vu comme un gourou de la baguette. Il a un jour dit: " En dix minutes, je sais si un élève a la capacité de devenir chef d'orchestre. "

    Il me semble tout de même que cette formule est un peu rapide. Une boutade, tout au plus. Savoir tenir une baguette devant un orchestre d'étudiants ne laisse en rien présager d'une réelle capacité professionnelle.

     
    Quant au critique britannique Norman Lebrecht, il estime que l'avenir appartient aux chefs finlandais


    Je crois surtout que les Finlandais aiment la musique, qu'ils savent entretenir leur passion pour cet art comme un impérieux besoin. Un amour véritable.

     


    Jukka-Pekka Saraste et l'Orchestre symphonique de la radio de Finlande au Théâtre des Champs-Elysées à Paris (16 janvier), au Volcan du Havre (17 janvier) et à l'Arsenal de Metz (18 janvier).


    Discographie sélective

    BartĂłk : Le Prince des bois, Musique pour cordes - Orchestre symphonique de Toronto - Finlandia

    Lindberg : Feria, Arena - Orchestre symphonique de la radio de Finlande - Ondine

    Sibelius: Symphonies (Intégrale) - Orchestre symphonique de la radio de Finlande - BMG

     

    Le 16/01/2001
    Stéphane HAIK


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com