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ENTRETIENS 27 avril 2024

Tan Dun, chaman des temps actuels

Dans le cadre de sa saison chinoise, la Cité de la Musique, à Paris, a choisi de fêter le passage de l'année du Dragon à celle du Serpent: exposition, buffet et danse du dragon sont au menu des réjouissances durant toute cette semaine. Sans oublier un portrait du compositeur chinois Tan Dun, né en 1957, surfant entre anciennes formes et nouvelles technologies, jeudi 25 janvier.
 

Le 24/01/2001
Propos recueillis par Stéphane HAIK
 



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  • Pour un compositeur d'aujourd'hui, comment est-il possible d'envisager la synthèse entre l'ancien et le moderne, le chamanisme et les nouvelles technologies dans votre cas ?

    Le plus naturellement du monde. Il est vrai que durant tout le 20e siècle les différentes formes d'expression artistique ont hélas oublié d'intégrer le chamanisme comme source d'inspiration possible : un apport d'une valeur inestimable pourtant, en ce sens que le chamanisme est aussi une forme d'art, au-delà de son acception religieuse originelle. Cette culture est l'une des plus anciennes et, en tout cas, la plus certaine des réponses de l'homme à ses interrogations sur son devenir, sa vie, et la meilleure façon de la développer et de l'enrichir ; elle est la base de toutes les traditions, y compris dans le domaine de la musique. Le langage sonore comme son organisation, quelles que soient les techniques et méthodes de notation à travers les âges, ont pour source première le rite, et la démarche rituelle est le propre du chamanisme : la quadrature du cercle, en quelque sorte. Concevoir mon langage musical comme l'incarnation sonore du chamanisme est une chose qui s'est dès lors spontanément imposée ; et je ne peux que difficilement concevoir la notion de modernité, si elle ne s'inscrit pas dans une tradition ancestrale, dont elle prolonge les philosophies et l'éthique, avec de nouveaux moyens de communication. La télévision, le cinéma, Internet aujourd'hui, n'autorisent pas seulement le transfert d'informations formelles, mais permettent aussi de mieux appréhender l'essence de l'homme, en véhiculant les traditions millénaires qui " cimentent " notre civilisation.

     
    Votre musique se situe quelque part entre l'Orient et l'Occident, entre l'Est et l'Ouest ?

    L'idée qu'il existerait une lisière entre l'Orient et l'Occident est une vue de l'esprit. Je la conteste d'emblée. Car ces frontières n'existent que dans la têtes des hommes, que mon concept de " théâtre orchestral " tente d'expliciter au mieux. The Gate (ndlr : la barrière), titre du quatrième volet de mon " théâtre musical ", donné en création française cette semaine à la Cité de la Musique, a pour mission d'exposer la situation telle quelle : des musiciens occidentaux sont amenés à faire sonner tel ou tel instrument occidental comme un instrument oriental, et l'instrumentarium européen "affiche " une expressivité nouvelle, nimbée d'accents chinois. La preuve que la musique, comme toute forme d'expression, demeure universelle, accessible à tout un chacun.

     
    Comment expliquez-vous la nécessité de nos contemporains de classifier la musique savante, celle du 20e siècle en particulier, en genres, courants et écoles ?

    C'est le propre de la musique savante que de vouloir rattacher obligatoirement un compositeur à une esthétique bien définie : une ineptie d'autant plus incompréhensible que ce genre de méthode ne peut que tarir la source créatrice individuelle d'un musicien, obligé de rester dans le " cadre " qu'on lui a choisi. Vous remarquerez que la musique populaire procède d'une démarche aux antipodes : les Beatles sont entrés dans la légende parce que justement ils ont inventé quelque chose de nouveau. Le paradoxe est que l'histoire de la musique savante ne retiendra que le nom des artistes qui ont fait preuve d'imagination, ceux qui se sont librement détachés des conventions établies pour créer une nouvelle forme expressive.

     
    Votre popularité, vous la devez surtout au cinéma, cette forme artistique inventée au XXe siècle


    Ce fut une vraie chance pour moi que d'avoir pu travailler à la bande sonore de Tigre et Dragon de Ang Lee. Un rêve secrètement caressé depuis longtemps se réalisait soudainement : apporter une " contribution musicale " sérieuse au monde du cinéma. L'univers de la musique dite classique souffre aujourd'hui d'un formalisme qui l'empêche de prospérer ; le 7e Art, américain en général, hollywoodien en particulier, fait appel à des musiques souvent honteuses, parce que industrielles, sans recherches artistiques proprement dites. J'ai en quelque sorte voulu changer la donne, en insufflant une bonne dose de rigueur dans la musique qui m'a été commandée pour ce film. Cela dit, le travail d'écriture en lui-même n'est pas différent selon que vous vous attelez à une partition pour le cinéma ou à une oeuvre destinée aux salles de concert. Du moins, en ce qui me concerne, suis-je dans le même état d'esprit.

     
    Il n'est pas rare non plus de vous voir utiliser la vidéo dans vos opéras. Ce fut notamment le cas avec votre premier opéra, Marco Polo, puis avec Red Forecast, que vous avez vous-même qualifié d'opéra-vidéo


    Je crois éperdument aux vertus du multimédia, depuis mon installation à New York au milieu des années 80, après avoir quitté ma Chine natale. Aux Etats-Unis, j'ai découvert un environnement artistique, auquel la Chine de ma jeunesse, celle de Mao, ne m'avait bien évidemment pas donné accès, pas plus qu'elle ne m'avait d'ailleurs permis de fréquenter la moindre musique venue de l'Occident. Des possibilités nouvelles d'expression s'ouvraient à moi. J'ai été alors influencé par de nombreux artistes qui faisaient à New York leur révolution artistique, en élevant l'image au rang d'oeuvre d'art ou en la mêlant à d'autres formes artistiques.

     
    Pensez-vous à Peter Sellars ?

    En particulier. Car cet homme a eu un culot incroyable en introduisant la vidéo dans ses mises en scène d'opéra. C'est un véritable artiste, capable d'une incroyable imagination, n'hésitant pas à bousculer les conventions. Il ne trahit pas les oeuvres, il les éclaire d'un regard et d'une technique nouvelle, pour mieux démontrer leur universalité. Il incarne ma définition de l'art, qui ne supporte ni les frontières entre les époques ni les cloisonnements esthétiques artificiels.

     

    Le 24/01/2001
    Stéphane HAIK


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