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ENTRETIENS 16 avril 2024

Andreas Scholl, la voix de l'ambiguïté
© Harmonia Mundi

Quoi de plus ambigu et troublant qu'une voix d'alto masculin ? Alors que le contre-ténor David Daniels possède à s'y méprendre le timbre (et les moyens) d'une mezzo, Andreas Scholl dispose aujourd'hui de la voix la plus délicieusement équivoque qui soit. Il vient de se mettre à table à Paris dans un Banquet musical. Rencontre.
 

Le 31/01/2001
Propos recueillis par Roger TELLART
 



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  • Pour vous, comme pour tant d'autres contre-ténors, la musique a commencé dans les rangs d'une maîtrise d'enfants, d'un Knabenchor, comme on dit en Allemagne


    Oui, à 7 ans très exactement. J'étais alors petit sopraniste dans le choeur d'enfants - le Kiedricher Chorbuben - que dirigeait mon père à Kiedrich, ma ville natale, près de Wiesbaden en Rhénanie. Un ensemble où j'ai beaucoup appris : la musicalité, la justesse et surtout la prise de conscience de mon individualité au service du collectif.

     
    À quel âge avez-vous décidé de tenter une carrière dans le chant ?

    À 17 ans, quand j'ai réalisé que ma voix d'adulte avait résisté dans le registre aigu aux habituels ravages de la mue. Encouragé par ma famille, je suis alors allé étudier à la Schola Cantorum de Bâle, ce super-conservatoire pour tous ceux et celles passionnés par le réveil des répertoires (et des instruments) dits " d'époque".

     
    À Bâle, vous avez découvert une ambiance de ruche bourdonnante, stimulante entre toutes. Quels y ont été vos professeurs ?

    Richard Lewitt pour l'enseignement vocal et René Jacobs pour l'esthétique. Du premier, j'ai appris le sens du juste style et du juste son dans la conduite de la ligne de chant ; du second, une juste vision des répertoires et des pratiques musicales du passé, avec une constante mise en regard de la musique avec les autres arts (il faut ajouter que notre formation était complétée par tout un enseignement axé sur la danse, l'accompagnement à la basse continue, l'histoire de la musique, etc.).

     
    Et deux ans plus tard, votre carrière a commencé. Une carrière qui, d'emblée, a été facilitée par des dons naturels qu'on ne retrouve pratiquement chez aucun de vos concurrents actuels.

    Disons que ces atouts m'ont évité la plupart des problèmes qui se posent à un contre-ténor débutant. J'ai la chance d'avoir le même timbre aisé dans le grave, le médium et l'aigu et une émission qui ne me pose aucune difficulté technique (le problème des " notes de passage " n'existe pas pour moi). D'où une égale projection de la voix dans toutes les situations, ce qui me permet d'éviter les pièges du maniérisme dans l'expression.

     
    Pourtant, ces dons ne vous ont pas dispensé d'un travail patient, obstiné. Ni de réfléchir plus particulièrement à ce qu'a pu être l'idéal du chant baroque, entre autres à l'époque des castrats


    Les castrats : voilà le mot-clé lâché, la légende ayant ici occulté ce qu'a pu être l'histoire ; plus précisément, à l'âge d'or du belcanto et de l'opéra seria à Naples au XVIIIe siècle. Ce que fut exactement cette réalité du chant des castrats, nous l'ignorons. Gageons que si les modèles d'époque se réveillaient aujourd'hui, nous serions assez surpris par ce qu'ils nous donneraient à entendre ! Simplement, une piste me semble assez vraisemblable, que j'exprimerai en allemand : "rein und stark", c'est-à-dire un chant tout à la fois pur et puissant ; en tout cas différent de ce que nous proposent les sopranos actuels. Mais je le répète, nous avons perdu les clés et le style de ce mode de chant et nous en sommes réduits aux conjectures. En revanche, ce que l'on sait, c'est que les grandes stars n'étaient pas si nombreuses que cela chez les castrats et que les théâtres lyriques se les disputaient pour les "premières" des nouveaux opéras. Ensuite, une "doublure" - souvent un contre-ténor - prenait le relais de ces premiers rôles pour la poursuite des représentations. Un scénario qui paraît bien avoir été celui des théâtres londoniens au temps des opéras de Haendel.

     
    Précisément, je crois que Haendel est votre auteur favori à la scène puisque deux de ses opéras figurent dans votre calendrier des douze mois à venir.

    En effet, je chanterai dans le Jules César produit en juin prochain à Copenhague. Puis à Paris, dans la production de Rodelinda prévue au Théâtre du Châtelet en janvier 2002.

     
    Revenons sur vos précédents récitals à Paris, au Théâtre des Abbesses. Des concerts où le récitaliste était à l'honneur dans un programme d'airs intimistes, entre Renaissance et Baroque. Un répertoire qui requiert des vertus bien différentes du lyrisme où se déploie l'opéra haendelien. À choisir entre les deux, abandonneriez-vous l'un pour l'autre ?

    Les deux m'attirent assurément. Pourtant, si je devais trancher, j'opterais peut-être pour le récital, car j'apprécie par-dessus tout les rapports, disons "personnalisés" que le concert en soliste permet de développer avec le public. Une connivence en direct qui n'existe pas en tant que telle à l'opéra.

     
    Parlons précisément répertoires. Bien d'autres auteurs vous sont familiers, à commencer par votre musicien favori, Jean-Sébastien Bach, dont vous chantez régulièrement Passions et Cantates.

    Certes, Bach est pour moi l'auteur de l'Ile déserte. Avant tout, celui des Passions et de la Messe en Si (par exemple, l'imploration de l'Agnus Dei : un sommet dont je ne me lasse jamais).

     
    Et outre Bach ?

    Tous les grands prédécesseurs du XVIIe siècle allemand : Schütz pour qui j'ai une tendresse particulière, puis ses disciples et continuateurs : Krieger, Albert, Hammerschmidt, Buxtehude, etc.

     
    Vous êtes plus regardant avec d'autres écoles ?

    Question de sensibilité, de tempérament. Evidemment, le répertoire italien est pour moi fondamental, comme pour tout chanteur. J'adore ainsi les monodies du début du Baroque, tout autant que les opéras serias du XVIIIe siècle : Vivaldi, Caldara, Scarlatti. Mais je me réserve Monteverdi pour plus tard (c'est une musique qui exige tant de soins, d'attention, de réflexion). Et je suis encore timide avec les Français, sauf pour l'Air de Cour (2 airs de cour de Guédron figuraient dans ma sélection du Musicall Banquet aux Abbesses).

     
    Evoquons votre riche carrière d'interprète au disque. Il y a eu précisément ce superbe album du Musicall Banquet compilé par Robert Dowland (le fils de John) chez Decca. Quels sont vos prochains projets dans ce domaine ?

    Un Album de Folk-songs (anglaises, irlandaises, écossaises, galloises, américaines), toujours chez Decca : un répertoire a priori atypique, eu égard à mon profil de "baroqueux", mais où je me sens bien, "relax", heureux. Puis un programme de Cantates italiennes du début du XVIIIe siècle. Voilà pour les choses à venir très prochainement. De toute façon, je n'aime pas travailler dans la hâte, le stress et j'aime choisir mes projets, comme mes partenaires.

     
    Justement, combien de concerts - opéras et récitals confondus - donnez-vous chaque année ?

    Une cinquantaine au maximum. Et, dans l'ensemble, plutôt moins. Il faut préserver et sa voix et sa vie personnelle.

     
    Une dernière question, Andreas Scholl. Depuis octobre dernier, vous êtes professeur de chant ancien à la Schola de Bâle. Quels conseils donneriez-vous à vos élèves désireux de commencer une carrière de chanteur ou de chanteuse professionnel(le) ?

    Un seul avis qui résume tout : beaucoup de travail, mais lentement, car vite et bien, en musique, ne font pas bon ménage.

     


    3 disques pour découvrir l'interprète
    -English Folksongs & Lute Songs (John Dowland, Thomas Campion
    )
    Avec Andreas Martin au Luth Harmonia Mundi
    -Cantates baroques allemandes avec le Concerto di Viole et Basel Concert Harmonia Mundi
    -Vivaldi Nisi Dominus et Salve Regina avec l'Australian Brandenburg Orchestra dirigé par Paul Dyer Decca

     

    Le 31/01/2001
    Roger TELLART


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