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ENTRETIENS 25 avril 2024

Nicholas Angelich, toutes les saveurs du piano
© D.R.

Cet élève américain d'Aldo Ciccolini et d'Yvonne Loriod est l'un des rares jeunes pianistes dignes de remplacer d'une manière impromptue Martha Argerich (ce fut le cas cet été à la Roque d'Anthéron). Après les Victoires de la Musique, où il était sélectionné dans la catégorie "Nouveau talent de l'année", on n'en finit plus de parler de lui. C'est maintenant à son tour.
 

Le 14/02/2001
Propos recueillis par Pauline GARAUDE
 



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  • Comment avez-vous contracté le virus du piano ?

    Ma mère était pianiste et enseignait à la maison, et j'allais souvent écouter mon père violoniste dans l'Orchestre de Cincinnati. À 5 ans, ils m'ont amené au concert écouter le 1er Concerto de Chopin puis m'ont présenté au pianiste. Gentiment, il s'est moqué de moi : "Tu n'as toujours pas commencé le piano. Tu es très en retard !".Je l'ai pris au sérieux, demandant sur le champs à ma mère de m'apprendre à jouer.

     
    Vous donnez votre premier concert à 7 ans avec le 21e Concerto de Mozart : quelle approche peut-on alors avoir d'une telle oeuvre ?

    Enfant, on est inconscient et on joue par pur plaisir, sans réfléchir. C'est naturel et spontané. Cette partition était pour moi pleine d'innocence et de joie, ce que l'on est à 7 ans. Mais avec Mozart, on ne peut pas tricher. On ne se sent pas protégé comme dans une oeuvre de Brahms, de Rachmaninov ou du XXe siècle.

     
    Pour quelles raisons avez-vous poursuivi vos classes et votre carrière en France ?

    Ma mère avait une amie, élève de Cortot et surtout d'Aldo Ciccolini, qui en m'entendant a voulu prendre les choses en main et me présenter au professeur napolitain, alors enseignant au Conservatoire de Paris. J'avais 13 ans et Aldo m'a pris dans sa classe.

     
    Aujourd'hui Aldo Ciccolini dénonce volontiers la banalisation des concours internationaux et le manque inquiétant de personnalité chez les jeunes pianistes. Vous qui appartenez à cette génération, qu'en pensez-vous ?

    Effectivement, les concours sont très dangereux car on peut facilement se contenter de devenir un "athlète" de l'instrument. Je ne trouve d'ailleurs pas que la notion de concours ait réellement une pertinence ou un intérêt musical. C'est néanmoins un passage obligé où l'on apprend à se mesurer et à jouer devant les autres. D'autre part, je pense que depuis une dizaine d'années, les jeunes pianistes s'éloignent de cette caricature du "vite et fort".

     
    Vous venez d'être nommé professeur au CNSM de Paris : que pensez-vous pouvoir apporter à vos élèves ?

    Oui, ce poste m'a été proposé car j'étais assistant de Marie-Françoise Bucquet en musique de chambre et de Bruno Rigutto en piano. Ceci dit, dans l'enseignement, il n'y a pas de recette mais des principes. L'important est de s'avoir s'adapter à chaque élève, de cerner sa personnalité pianistique, de pousser sa réflexion et de l'inciter à devenir son propre professeur. Enseigner ne se réduit pas à apporter des réponses, même si les exposer clairement vous profite à vous-même. Il faut éveiller leur personnalité et les aider à exprimer ce qu'ils sont.

     
    Quel a été votre travail avec Boulez, Stockhausen et Messiaen ?

    Pour mon Prix au Conservatoire, à 16 ans, j'ai travaillé avec Boulez le 1er mouvement de sa 2e Sonate. Il apprenait à percevoir plus de fluidité, de lisibilité et de mouvement, notion vitale pour lui. "Il faut suivre la musique" disait-il. Il m'a montré comment le traduire au piano et cela m'a aidé pour tout le reste. J'ai joué devant Stockhausen, pour un concours, son Klavierstucke XI où il n'a rien eu à redire. Je ne peux donc pas parler d'un échange ou d'un travail. Quant à Olivier Messiaen, étant l'élève de sa femme Yvonne Loriod, je le connaissais et le fréquentais personnellement. C'était davantage une rencontre. Il m'entendait plus qu'il ne me faisait travailler. Il était d'une très grande simplicité mais avait certainement plus à dire lors d'une répétition d'orchestre.

     
    Justement, que gardez-vous de l'enseignement d'Yvonne Loriod ?

    Un enseignement très éclectique. Je ne travaillais pas seulement les oeuvres contemporaines ou celles de son mari. Au contraire, nous avons abordé un large répertoire. Elle estimait important de jouer tous les styles d'oeuvres, de les connaître et de ne pas attendre pour les apprendre, même si vous ne les jouez pas tout de suite en concert. C'est avec elle que j'ai appris le clavier bien tempéré à 17 ans.

     
    Comment définiriez-vous votre répertoire ?

    Je n'aime pas me spécialiser et c'est une erreur de le faire quand on est jeune car les gens vous cataloguent. Schubert, Schumann et Ravel me transportent littéralement mais j'avoue être très sensible au répertoire russe et slave qui tient à mes origines parentales, Brahms et Rachmaninov.

     
    Comment travaillez-vous une oeuvre et vous arrive-t-il d'être dérouté par la difficulté ?

    Je commence par l'écouter et il est, à mon avis, malhabile de débuter une oeuvre en cherchant d'emblée à l'analyser. Il faut d'abord jouer pour en cerner la structure, puis progressivement aller plus en détail. Dans la Fantaisie op.17 de Schumann, j'étais complètement dérouté car je remettais toute ma méthode de travail en question. C'est une chose qu'il faut éviter. Il est dangereux de tirer un trait sur un travail jugé insatisfaisant comme il est indispensable de remettre en cause un travail que l'on apprécie. En musique, les notions de plaisir, de discernement et de sens critique sont essentielles, à condition que le sens critique ne devienne pas hégémonique.

     
    Quels sont les chefs dont vous gardez le meilleur souvenir ?

    Emmanuel Krivine et l'Orchestre de Lyon pour le 2e Concerto de Prokofiev. Quand ce concert m'a été proposé, j'ai l'ai d'abord refusé. L'oeuvre n'était pas à mon répertoire, et je ne pensais pas pouvoir la monter en quelques mois ; et finalement je l'ai joué sans problèmes. Il y a aussi le 3e Concerto de Rachmaninov que je viens de donner à Pleyel avec Stéphane Denève, que je connais depuis longtemps et qui est un ami. Nous avons mené un travail en profondeur, qui n'a pas commencé avec les répétitions mais bien avant. Il m'accompagnait au piano, et nous discutions beaucoup sur la partition.

     
    Quelle fut votre réaction en remplaçant Martha Argerich au pied levé ?

    C'était un réel défi. J'ai eu beaucoup de pression personnelle mais pas celle du public qui a été très chaleureux J'ai du faire abstraction de l'impressionnante personnalité de Martha. Quand on vous dit le jour même de la remplacer, c'est écrasant. C'est impossible de remplacer Martha ! Il faut rester simple, ne pas penser à remplacer quelqu'un mais à être soi.

     
    Votre activité discographique paraît en retrait : pourquoi ?

    En tant que jeune musicien, on est dépendant de ce que l'on vous propose. Graver un disque demande d'être disponible et de sentir le moment pour le faire. Jusqu'à présent, ce n'était pas une priorité mais j'y songe à nouveau. J'ai plusieurs idées. Je n'avais peut-être pas envie d'affronter le studio, les micros et l'aspect chirurgical que l'enregistrement représente.

     
    Ressentez-vous la fameuse solitude du pianiste ?

    Complètement. Nous pianistes, on travaille beaucoup seul et notre immense répertoire nous y incite. Il est donc vital de jouer avec les autres, en formation de chambre ou orchestrale. Jouer chez soi, pour soi, est une expérience agréable mais frustrante. On a besoin de communiquer et le concert est en cela magique. Sorti de ma vie musicale, j'ai un maximum de sociabilité, pas seulement avec des musiciens. Au contraire. Il faut aussi savoir décrocher de cet univers et trouver un équilibre. C'est aussi la base d'une carrière bien menée.

     
    Quels sont vos projets ?

    J'ai prochainement un récital aux États-Unis. Sinon, je prépare l'Intégrale des Sonates de Beethoven avec 5 autres pianistes pour le festival de la Roque d'Anthéron, ainsi que l'intégrale de ses Sonates pour violoncelle et piano avec Marc Coppey au Théâtre des Bouffes du Nord. Sinon, je souhaite jouer davantage en Europe.

     


    Discographie

    Sergei Rachmaninov
    Études-tableaux op.33 & 39
    Harmonia Mundi. Collection Les Nouveaux Interprètes HMN 911547

    Johannes Brahms
    Sonatas pour alto et piano avec Laurent Verney (alto)
    Harmonia Mundi. Collection Les Nouveaux Interprètes HMN 911565

     

    Le 14/02/2001
    Pauline GARAUDE


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