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ENTRETIENS 20 avril 2024

Hugues Dufourt, un symphoniste du XXe siècle
© Richard Mercier

Tout le monde attendait sa consécration aux Victoires de la Musique. Elle n'est pas venue cette année, mais cela ne change rien à l'importance du compositeur dont les oeuvres se révèlent, avec le recul, parmi les plus importantes de l'avant-garde française. Son succès au festival Présences de Radio France en atteste. Rencontr

 

Le 22/02/2001
Propos recueillis par Olivier BERNAGER
 



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  • Hugues Dufourt, quels sont vos maîtres ?

    Aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour la composition, mon principal maître a été mon professeur de piano, Louis Hiltbrandt, avec lequel j'ai travaillé pendant dix ans. C'est lui qui m'a convaincu que la culture pianistique était indispensable pour écrire de la musique. C'est dans cette optique qu'il m'a accepté dans sa classe de piano à Genève.

    J'ai donc une formation de pianiste très classique : préludes et fugues, grand répertoire romantique etc., et comme cet enseignement a duré longtemps, une dizaine d'années, ma culture musicale a trouvé là de solides racines. Parallèlement, avec Jacques Guyonnet, j'ai fait de l'harmonie, du contrepoint et toutes les disciplines qui permettent techniquement l'invention musicale.

    Mes références personnelles sont, entre autres, le Sacre du printemps, certaines oeuvres de Boulez
    Dans ma ville natale de Lyon, comme je fréquentais Roger Acquart, j'ai pu rencontrer dans le cadre de "Musique du temps", Berio, Messiaen, Jolivet et les principaux compositeurs contemporains. Leur contact m'a sûrement influencé, mais dans le fond, j'ai encore aujourd'hui une perception d'interprète sur tout ce que j'entends : J'écoute le détail, je ne supporte pas l'à-peu-près, je suis attentif à la qualité du jeu. On retrouve cette exigence, d'après ce que m'en disent mes interprètes, dans la précision -que d'aucuns disent "diabolique"- de mon écriture.

     
    Pourquoi, dans ce contexte écrivez-vous rarement pour le piano ?

    J'ai écrit une première oeuvre en 1968, Brisants pour piano solo créée par Sylviane Husson. La rencontre avec cette virtuose m'a rapproché des Percussions de Strasbourg avec qui, en 1977, j'ai créé Erewhon. Si j'analyse sans complaisance mon rapport au piano, je ne peux que constater que si je l'évite comme compositeur, c'est que peut-être je regrette de n'être pas pianiste.

    Au contraire, j'ai pour l'orchestre une sorte de virtuosité native et n'éprouve pour lui aucune inhibition. J'ai toujours été un boulimique d'orchestre : j'ai dévoré tout ce que j'étais capable de lire, je me suis imprégné de tous les styles d'écriture qui me tombaient sous la main.

     
    Parallèlement à ce goût immodéré pour l'orchestre, vous êtes Agrégé de Philosophie, vous avez enseigné à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, vous avez écrit notamment "Musique, pouvoir, écriture" chez Christian Bourgois. L'orchestre exprime les bonheurs et les tensions de la société, la philosophie les explique. Peut-on risquer un rapprochement entre l'orchestre et la philosophie ?

    Dans les deux cas, ce sont des exercices de synthèse. Il faut totaliser le monde, intérioriser l'expérience d'une époque, sélectionner ses formes, symboliser. D'autre part il y a un imaginaire philosophique. La philosophie n'est pas seulement le travail du concept qui se manifeste dans les constructions spéculatives.

    On peut donc lire la philosophie comme on lit Plotin ou Dante, c'est-à-dire en accomplissant par l'esprit la traversée de milieux imaginaires, de mondes possibles, de constructions extravagantes. C'est dans cette optique que je rapprocherai ces deux mondes. Nous vivons à un tournant en ce qui concerne les rapports de la philosophie et la musique.

     
    Où situez-vous ce tournant ?

    Depuis Nietzsche, et plus encore depuis Schopenhauer qui lie les deux activités. Avec ces philosophes, la musique s'est autorisé ce qu'elle n'avait jamais fait auparavant : elle s'est donné les moyens de traduire des univers spéculatifs qui appartenaient jusqu'alors exclusivement à la philosophie. Par exemple, en même temps que j'ai écrit Erewhon, je faisais un cours sur Dieu selon le Livre I de l'Ethique de Spinoza.

    C'est un dieu très particulier dans le panthéon universel. Il se définit par la nécessité, l'intelligibilité pure et l'auto-engendrement. Il figure un monde philosophique d'une radicalité extrême qui récuse le libre-arbitre. Erewhon est l'application de cette idée de dynamisme génétique : c'est un monde qui s'engendre lui-même et qui crée sa propre nécessité. L'auditeur peut en percevoir le déterminisme ou non : il est présent dans la structure même de l'oeuvre.

     
    Voulez-vous dire que le compositeur n'est que le scribe de son imaginaire ?

    Non. Je ne suis pas de ceux qui s'effacent devant l'objectivité impérieuse de l'oeuvre. Au jour le jour je m'émerveille de certaines trouvailles, de certaines éclosions de sonorités. Il y a dans la musique de vives parures, de vifs plaisirs. Quand j'écris, je n'ai aucune idée extra-musicale : le plaisir du texte vient de l'accord que j'invente, de l'orchestration que je bâtis. Parfois les images sonores viennent crever à la surface comme des bulles, s'épanouissent en irradiations, se volatilisent.

    À partir d'un texte strict, je parviens parfois à donner l'impression d'un pur plaisir, indépendant de toute spéculation. Mon imagination peut être aussi très concrète : en écrivant une phrase pour les vents, je vois les lèvres plus ou moins tendues des instrumentistes. Aujourd'hui je n'ai aucune inhibition pour traduire des mondes incertains, mi-chien mi-loup, loin des formules arrêtées, bien limées. Je compose avec une part d'indécision, d'errance, de jubilation profonde et d'anxiété.

     
    Quelle est l'épine dorsale de votre oeuvre aujourd'hui en 2001 ?

    Aujourd'hui, après avoir exploré beaucoup de genres musicaux, je peux dire que grand orchestre est l'épine dorsale de mon oeuvre. Quand j'ai commencé, il y a plus de trente ans, j'étais un familier du monde sériel. De plus, j'utilisais volontiers les instruments électroacoustiques, ce que je ne fais plus. J'étais sensible aux sonorités de la pop, du rock, j'oscillais entre Pink Floyd, Duke Ellington (qui est un continuateur de Debussy selon moi) et Boulez !

    Mon oeuvre Saturne, qui utilise des moyens électroacoustiques, souffre aujourd'hui, vingt ans après déjà, de la difficulté de produire les mêmes sons électroniques qu'à sa création ! J'en ai eu la difficile expérience lorsqu'on l'a rejoué au Festival Présence cette année. Même les logiciels les plus modernes peinent à aider à retrouver un son qui, sommes toutes, n'est pas si vieux que cela ! Le temps transforme l'oeuvre inéluctablement. La lutherie électroacoustique, par la vitesse des progrès technologiques, s'auto-dévore ! Elle pose la question de son identité car qu'est-ce qu'un instrument de musique, si ce n'est un objet qui résiste au temps !

     
    Comment définiriez-vous notre époque, sur un plan musical ?

    Elle n'est pas à l'incertitude : c'est une période d'intégration. Après la grande dislocation des années cinquante, on a cru que tout était épars. Peu à peu, les compositeurs ont reconstruit un langage et aujourd'hui la plupart sont soucieux d'assumer les fonctions traditionnelles de la musique. Celles-ci débordent le cadre étroitement cognitiviste des avant-gardes des années cinquante où la musique était toujours liée au savoir et tendait à démontrer des idées.

    Aujourd'hui on revient sur ce qui est à son origine : la symbolisation d'une époque, la communication entre les êtres et l'expression de la sensibilité. On ne limite plus la musique à une pure recherche et c'est pourquoi elle retrouve petit à petit son public.

     
    Finalement, vous considérez-vous comme un des symphonistes du vingtième siècle ?

    Je n'aurais pas accepté cette dénomination, il y a vingt ou trente ans. Mais aujourd'hui je sais que la symphonie est l'exercice le plus difficile et le plus exigeant. Je dirai donc oui, je suis un symphoniste.

    Discographie sélective :
    -Erewhon
    Les Percussions de Strasbourg, Lorraine Vaillancourt (direction)
    1 CD Accord 465 716-2 – (1999)

    -Saturne – Surgir Grand Prix de l'Académie Charles Cros
    1 CD Accord 202542

     

    Le 22/02/2001
    Olivier BERNAGER


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