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ENTRETIENS 19 avril 2024

Paul Van Nevel, un avant-gardiste du passé
© Eric SEBBAG

Voilà des années que Paul Van Nevel et son ensemble Huelgas s'emploient à révéler l'incroyable modernité des répertoires anciens. Mais ce spécialiste incontesté des polyphonies de la Renaissance se veut d'abord un homme de son siècle. Rencontre.

 

Le 28/02/2001
Propos recueillis par Eric SEBBAG
 



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  • Son O gemma Lux de Guillaume Dufay est à peine publié que Harmonia Mundi, l'éditeur de Paul Van Nevel, annonce la parution d'une messe de Padovano que l'on a pu entendre cet automne à Ambronay. Suivra probablement avant l'été 2001, le Requiem de Richafort qu'il a donné lors de la dernière édition de Festival de Saintes.

    Depuis la publication des CD intitulés "Febus Avant !" et "Utopia Triumphans" (chez Sony Vivarte), on sait que Paul Van Nevel a un talent très sûr pour rendre "contemporaines" les musiques les plus anciennes. Quand on découvre avec cet entretien que son compositeur favori est Bartok, qu'il utilise le moins possible le Plain-Chant et que l'on réalise à quel point les partitions qu'il interprète demandent de travail de reconstruction, on réalise que Paul Van Nevel est un authentique musicien moderne.

     
    Paul Van Nevel, votre répertoire se partage essentiellement entre la période médiévale et renaissance ? Qu'est-ce qui vous attire particulièrement dans ces musiques ?

    Le silence et la mélancolie surtout chez les compositeurs franco-flamands qui montrent là un style très typique que n'ont pas connu les Italiens par exemple. Le répertoire italien a une expression plutôt terrestre, celle des franco-flamands est plus céleste. J'essaie un peu de confronter ces deux styles.

    À côté de cette exigence du répertoire, mon souci est de continuer le silence, l'architecture avec un calme mélancolique qui se pose dans la musique dès qu'on essaie de trouver une bonne intonation.

    Je ne parle pas d'un silence musical, mais d'un silence qui veut dire que le dynamisme et la dynamique de la musique ne sont pas superficiels, mais participent de l'essence même de cette musique. Ce qu'il y a de plus difficile à chanter pour un chanteur est une nuance "piano" de ces époques reculées. Les piano et les mezza voce d'aujourd'hui ne sont plus tout les mêmes.

     
    Aujourd'hui, l'échelle dynamique est devenue trop grande ?

    Oui. Surtout car les chanteurs ont une éducation technique et vocale pour affronter les salles du XXe, le répertoire romantique ou le lied. Et quand ils sont confrontés à un orchestre, ça demande littéralement une autre "idéologie" du chant. Tandis que les lieux excellents pour notre répertoire, les églises par exemple, sont des lieux où le moindre son qui sort est directement communicatif grâce à l'architecture.

    L'important n'est pas d'être entendu fortement mais distinctement. On doit arriver au maximum de ce même "silence" que j'évoquais tout à l'heure, de sorte que chaque accord, chaque note, chaque dissonance s'entende toujours très clairement.

     
    Les compositeurs de la période baroque, ceux de la "secunda prattica" comme Monteverdi, estimaient que le style des chanteurs de la Renaissance était figé et "gueulard", qu'en pensez-vous ?

    Je n'y crois pas. Si on lit un des fondements, le traité de Guido d'Arezzo, il dit que chaque fin de phrase doit être scrupuleusement soignée, avec une voix plus calme en fin de phrase. C'est toute l'importance de la suave voce. En criant, ce que pensent les baroques, on ne peut arriver à des finesses d'intonation comme elles sont notées dans de nombreux manuscrits français et italiens des XIV et XVe siècle.

    Je comprends néanmoins ce qu'ont voulu dire les baroques. Le dynamisme contrastant baroque ne s'est jamais installé avant. Et ils pensaient qu'en raison des effets moindres de nuances dans la Renaissance, les chanteurs de ce répertoire ne pouvaient pas arriver au même niveau d'expression. Je pense qu'au milieu du XVIIe, on a perdu beaucoup de détails sur les intonations, sur la qualité des voix et sur l'esthétique qui dans le baroque est devenue plus concertante.

    D'ailleurs, cette différence se retrouve dans les instruments. La richesse de l'orchestre Renaissance s'est perdue dans le Baroque en faveur d'une plus grande tessiture. La variété de couleurs des cordes Renaissance s'est perdue dans le Baroque car leur but devenait d'abord la virtuosité. La facture instrumentale a évolué dans le même sens : permettre une grande virtuosité et élargir les tessitures.

     
    Vous parliez d'expressivité. Qu'est-ce qui distingue l'affect baroque de celui de la Renaissance ?

    L'affectus dans la Renaissance se trouve dans les détails. L'un des plus importants, c'est l'utilisation des modes myxolidien, dorien, phrygien
    dont les compositeurs tiraient la quintessence de leur expressivité. L'exemple le plus clair c'est que beaucoup de motets à la Vierge sont écrits dans des modes "lumineux" comme le myxolidien, alors que les lamentations sont écrites dans les modes phrygiens dont le premier ton était le signe de la tristesse.

     
    Pourquoi tristesse et mélancolie semblent-ils être les "affect " dominants de cette période ?

    La plupart des compositeurs de 1450 à la fin du XVIe, viennent de la région aujourd'hui appelée Nord Pas-de-Calais, Picardie. Le paysage a dû jouer un rôle important pour les enfants qui étaient dans les chorales et qui par la suite sont devenus compositeurs. Ils ont dû être influencés par la nostalgie du paysage. D'ailleurs, le mot paysage a été inventé par les compositeurs franco-flamands de cette époque.

     
    Peut-on alors parler de paysage musical ?

    Tout à fait. Une des caractéristiques de la mélancolie, c'est qu'il n'y a pas de choc dans la ligne chantée. Quand vous regardez ce paysage, vous y constatez la même mélancolie des lignes d'horizon qui ne se finissent jamais, qui continuent et se superposent. Il y a aussi la tranquillité et le silence.

     
    Votre répertoire privilégie la polyphonie. Vous n'aimez pas le Plain Chant (1) et la monodie ?

    C'est surtout que je ne sais pas faire. J'estime que les sources et la notation ne me permettent pas de reconstituer ce répertoire.

     
    Au vu du manque d'informations contenues dans les manuscrits anciens, quelle est la part de reconstruction dans votre travail ?

    À l'époque romantique, s'est opérée une scission entre l'écrivain, le compositeur, l'interprète, l'imprimeur
    Autrefois, celui qui chantait écrivait de temps en temps ses propres poèmes, celui qui interprétait composait. Les partitions laissées sont incomplètes pour nous. Pour eux, elles ne l'étaient pas. Ca veut dire aussi que l'idée fixe d'une composition à une seule forme de présence est non existante à la Renaissance. Il y a une grande liberté laissée à l'interprète. C'est aussi l'une des grandes richesses de cette musique ainsi que l'idée philosophique qui est derrière : à savoir que la création n'a rien à voir avec l'acte de composition mais, est une totalité partagée entre les musiciens qui chantent et celui qui écrit.

     
    Comment des figures telles Josquin des Près ou Guillaume Dufay ont-elles pu émerger de l'anonymat ?

    Nous avons une idée très restreinte de ces grands compositeurs. Un grand compositeur est pour moi celui qui fait preuve d'ingéniosité dans la ligne mélodique. Car souvent au XXe, on considérait la grandeur d'un compositeur au vu du nombre d'oeuvres qu'on en avait. Je ne considère pas un compositeur plus grand car il donne des chocs harmoniques dès les premières notes, comme Gesualdo. Ça, c'est l'oreille du XXe. Pour moi, le plus grand compositeur est celui qui travaille avec le détail d'un dessin japonais dans ses combinaisons des lignes horizontales. Je ne parle jamais de génie. Cette dénomination est mal placée pour la Renaissance.

     
    Quel est votre panthéon musical ?

    Je place Bartok au sommet. Il m'accompagne depuis mes débuts dans la musique, il est mon père intellectuel. Sa démarche est en quelque sorte similaire à ce que je retrouve dans le répertoire de la Renaissance, à savoir l'approfondissement et l'exploitation du matériau musical, surtout dans son Quatuor à cordes avec piano.

     
    Quel est votre intérêt pour la musique du XXe ?

    Je suis un homme du XXe et pas du XVIe. J'avoue en écouter beaucoup. Parfois, nous créons avec l'ensemble Huelgas des pièces écrites pour nous. J'ai une forte admiration pour les compositeurs qui cherchent une voie personnelle sans être le fils d'un Cage, d'un Reich ou d'un Messiaen. Je pense qu'un compositeur vrai du XXe va d'abord voir ce qu'il a à dire et va adapter son matériau musical en fonction.


    4 disques pour découvrir l'ensemble Huelgas

    Febus Avant! Sony Vivarte SK 48 195

    Utopia Triumphans Sony Vivarte

    Praetorius : Magnificat Sony Vivarte Sk 48 039

    Antoine Brumel : Missa Et ecce terrea motus Sony Vivarte SK 46 348

     

    Le 28/02/2001
    Eric SEBBAG


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