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ENTRETIENS 29 mars 2024

Joyce DiDonato, une mezzo tragi-comique

Seulement la plus malicieuse Rosina et la plus délicieuse Cenerentola ? Alors que Joyce DiDonato vient de triompher à Paris dans la nouvelle production d'Hercules de Haendel, elle reprend le Barbier de Séville à Bastille. Un défi en forme de grand écart, occasion rêvée pour la bouillante mezzo-soprano de révéler ses tourments de tragédienne.
 

Le 04/01/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Il y a eu comme un coup de foudre entre le public parisien et vous.

    En Europe, Paris est la ville où je me sens le plus chez moi. J'y ai eu tant de merveilleuses opportunités, bien plus que dans aucune autre ville au monde, excepté Houston, où j'ai fait mes premières armes. J'ai toujours été reçue si chaleureusement que s'il s'agit d'une histoire d'amour pour le public, elle est tout à fait réciproque.

     

    Vous avez chanté Ascanio dans Benvenuto Cellini ici l'an passé : avez-vous d'autres désirs en ce qui concerne le répertoire français ?

    J'ai beaucoup chanté le répertoire italien, et ma palette expressive s'y est beaucoup développée. Mais j'ai une vraie passion pour le répertoire français, qui me semble très naturel. Je vais faire ma première Cendrillon de Massenet dans deux saisons, à Santa Fe, et ce serait un vrai défi pour moi que de la faire ici. Ce répertoire est si proche de mon coeur. J'aimerais avoir plus d'opportunités de l'interpréter. Je pense notamment à la Tragédie Lyrique : il faut être si passionnée et expressive.

     

    Cette production d'Hercules a été l'occasion de votre première rencontre avec William Christie. Avez-vous utilisé des couleurs particulières de votre voix du fait des instruments anciens ?

    Je travaille beaucoup plus à travers le personnage et le texte, en essayant de raconter une histoire. J'ai certainement un plus grand nombre d'outils quand je chante Haendel avec des instruments anciens : mon oreille saisit tant de sonorités différentes que ma palette est bien plus large. Cette expérience m'a apporté la certitude que c'est ce qu'il y a de plus juste pour la musique de Haendel : la tonalité convient, la sentiment de la couleur, c'est comme une évidence. Chanter devient plus facile, mais c'est plutôt du fait des instrumentistes, qui se sont identifiés à cette musique.

     

    L'approche de Luc Bondy se réclame des Trachiniennes de Sophocle.

    Je n'aurais pu imaginer aborder Hercules avec un metteur en scène qui n'insiste pas sur la nécessité du drame, sur sa théâtralité. Sans une conscience permanente du texte, Haendel peut facilement basculer dans la répétition insignifiante ; on se demande dès lors pourquoi l'on chante. C'est un drame très complexe : Hercules, Dejanira et leur fils, c'est une vraie famille à problèmes. Si l'oeuvre n'est pas chargée en permanence en conflits âpres, en psychologie intérieure, elle tombe à plat. Nous avons beaucoup travaillé pour maintenir la tension. Le troisième acte est palpitant, il vous prend à la gorge. Sans intégrité, si les personnages ne peuvent s'appuyer sur une dynamique subtile, cela ne fonctionne pas. Je pense que nous avons trouvé cela. Ici, la fosse est beaucoup plus vaste qu'à Aix, où j'étais souvent très proche de William Christie : j'espère que nous n'allons pas perdre cette intimité.

     

    Dejanira est votre premier rôle tragique à Paris. L'abord de ce personnage vous a-t-il posé des difficultés ?

    Le rôle est dur vocalement, notamment car la colorature haendélienne n'est jamais garantie. Dans Rossini, il suffit de trouver le bon rythme : c'est peut-être mieux certains soirs, mais la plupart du temps, je sais où je vais. Ici, je ne peux jamais relâcher ma concentration, je dois être très attentive au souffle, à la justesse harmonique. D'autant que si l'on n'y prend pas garde, le rôle peut basculer dans la caricature : Dejanira commence l'opéra en pleurant, et le termine quasiment dans le même état. Elle aime souffrir, et aime que les gens qui l'entourent souffrent du fait de sa propre souffrance, parce qu'elle est légèrement dérangée. J'ai voulu qu'elle soit toujours réelle, honnête, que le public la prenne au sérieux : elle veut sincèrement donner à Hercules une chance de l'aimer à nouveau. Ce rôle est vrai un cadeau pour moi, parce qu'il m'a permis de déployer mes ailes. Travailler avec William Christie a été un tel plaisir, tant il encourage à aller plus loin, vocalement, musicalement, dramatiquement. Les gens s'imaginent qu'avec Haendel, la marge de manoeuvre est faible. Elle est au contraire très large : je crie sur scène, jusqu'à la laideur, et j'adore ça ! J'ai envie que le public sorte en disant : « Comment va-t-elle revenir à Una voce poco fa ? Â»

     

    Vous reprenez justement le Barbier arabisant de Coline Serreau. Vous sentez-vous proche de cette production ?

    Je m'en sens d'autant plus proche que je l'ai créée. Cela m'a permis de prendre part aux premières répétitions. Si quelqu'un avait un problème, Coline Serreau pouvait s'expliquer. Bien sûr, nous sommes dans l'ère des metteurs en scène, mais je mets toujours la musique et le drame sur un pied d'égalité. Je ne peux pas concevoir qu'un metteur en scène soit à la recherche d'une image figée : s'il n'y a aucun sous-texte, aucune substance, je suis incapable de faire quoi que ce soit. L'approche très féministe qu'a Coline Serreau de la libération de Rosina m'a beaucoup intéressée : commencer avec une burka, changer de vêtements, et enfin relâcher ses cheveux. C'est ce qui arrive réellement à Rosina, elle se bat continuellement pour briser les chaînes dans lesquelles Bartolo la retient, et j'ai été libre de l'exprimer. Mais ce que j'aime avant tout dans cette production, c'est sa beauté esthétique. J'ai le sentiment qu'en allant voir une oeuvre comme le Barbier, la public a besoin d'être transporté par sa beauté.

     

    Comment avez-vous découvert votre voix ?

    J'ai encore le sentiment de travailler à cette découverte. J'ai grandi dans un environnement musical : je jouais du piano, je chantais en choeur. Mais écouter de l'opéra n'était pas une évidence. C'est en montant sur scène que ma passion est née. Cela m'a pris quelques années pour être distribuée dans quelque chose, arriver à comprendre la voix et tout ce que ce métier demande. J'étais vaguement engagée dans cette voie, et puis à vingt-trois ans, je me suis dit que je devais vraiment attaquer. Voyez où cela m'a menée !

     

    Vous abordez désormais des rôles plus larges, Elisabetta dans Maria Stuarda par exemple. Comment voyez-vous l'évolution de votre voix ?

    Je ne sais pas vraiment où elle va, mais je suis persuadée que c'est la bonne direction. J'ai très vite su que Rossini serait ma carte de visite, et les théâtres savent qu'ils peuvent me faire confiance dans ce répertoire. Mais mon agent et moi avons décidé d'alterner avec des choses très différentes, afin que je ne sois jamais prisonnière de l'image de la chanteuse rossinienne. Si j'aime tant Rossini, c'est sans doute parce que je fais aussi autre chose. Un rôle comme Dejanira m'intéresse à tant de niveaux différents. D'autres peuvent peut-être le chanter mieux que moi, et certains peuvent penser qu'il y faut une voix plus large, comme pour Elisabetta de Maria Stuarda. Mais, si vocalement je peux rendre justice à ces rôles, et s'ils m'intéressent sur le plan dramatique, je n'hésite pas. Un chanteur doit aussi avoir le droit à l'erreur, faute de quoi il ne prend plus de risques.

     

    Vous êtes très impliquée dans la création contemporaine. Certains de vos collègues fustigent les « aberrations vocales Â» de certains compositeurs. Avez-vous rencontré des problèmes de ce type ?

    Lorsque j'étais étudiante à Houston, j'ai chanté deux oeuvres particulièrement exigeantes. Si vous dites à certains compositeurs que votre ambitus va du sol grave au contre-ut, ils abusent de ces extrémités. J'y ai survécu, mais je ne pourrais pas le faire régulièrement. Puis j'ai chanté Dead Man Walking de Jake Heggie : une écriture exigeante, mais jamais effrayante, très lyrique. La plupart des créations contemporaines n'ont pas de succès, mais il faut leur donner une chance. Nous devons leur prêter notre voix pour que cet art puisse se perpétuer ; c'est ainsi que l'on découvre de nouveaux chefs-d'oeuvre.

     

    L'opéra n'est donc en aucun cas un art du passé ?

    Je déteste cette idée. Aux Etats-Unis, c'est l'art classique qui se développe le plus rapidement. Le public pleure, applaudit spontanément ! Les grands maîtres composaient pour divertir le public, ils voulaient que leurs opéras aient du succès pour être réengagés par les théâtres : c'était une forme d'art populaire. De ce moyen d'expression extraordinaire, il nous reste une musique extraordinaire. Si l'on se convainc qu'il n'y a qu'une manière d'envisager l'opéra, en costumes d'époque, cet art va mourir. Mais si ces chefs-d'oeuvre sont encore joués, c'est qu'ils traitent de conflits humains, qu'ils racontent des histoires qui sont aussi vraies aujourd'hui qu'il y a plusieurs siècles. Si nous les racontons honnêtement, peu importe les costumes. Il ne s'agit pas d'accepter des inepties qui ne divertissent que les metteurs en scène eux-mêmes. La grandiloquence et le grotesque en sont les deux extrêmes. Mais si un metteur en scène peut en faire un drame captivant, s'il y a une réelle alchimie entre le ténor et la soprano, si le coeur de l'opéra est là, qui bat, allons-y !

     

    Le 04/01/2005
    Mehdi MAHDAVI


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