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ENTRETIENS 19 avril 2024

Waltraud Meier, la complexité en toute simplicité
© Mark Wohlrab

Choisie pour succéder à Rysanek dans le Parsifal du centenaire de Bayreuth en 1983, Waltraud Meier sert inlassablement le répertoire wagnérien sur les grandes scènes lyriques. À l'occasion de la reprise de Lohengrin à la Bastille, cette artiste magnétique qui sait exalter toute la complexité des rôles wagnériens revient sur son parcours en toute simplicité.
 

Le 08/06/2007
Propos recueillis par Yannick MILLON
 



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  • Vous êtes née à Würzburg, pouvez-vous nous parler de votre ville natale ?

    Würzburg est une ville de Franconie de 130 000 habitants, située au Nord de la Bavière, qui compte peu d'industrie mais beaucoup d'éditeurs. C'est une ville de culture, étudiante, dotée d'une grande université, très ancienne. Au niveau musical, Würzburg dispose d'un théâtre dévolu à l'opéra, à l'opérette et à l'art dramatique, d'un orchestre symphonique, d'un excellent conservatoire, d'un célèbre choeur spécialisé dans Bach. Comme c'est une ville très catholique, avec pas moins de quarante-quatre églises, on y joue beaucoup de musique sacrée, des messes de Haydn, Mozart, Schubert. La vie musicale y est relativement développée pour une cité de cette taille.

     

    Êtes-vous issue d'une famille de musiciens ?

    Dans ma famille comme dans tant d'autres, on pratiquait la musique en amateur, mais ma généalogie ne compte aucun musicien professionnel. D'ailleurs, j'ai un parcours assez peu conventionnel, car j'ai pris des cours de chant dans le privé. Après mon baccalauréat, j'ai commencé à étudier l'anglais et le français pour devenir professeur de langues. Puis j'ai commencé à chanter dans plusieurs choeurs : celui de mon école, un choeur de chambre, le choeur d'oratorio de la ville, celui de la cathédrale, ainsi que dans le choeur américain.

     

    Puis vous avez fait vos débuts à Bayreuth à l'âge de 27 ans. Comment atterrit-on dans ce prestigieux festival ?

    Dans mon cas par une démarche individuelle. Après avoir chanté dans la troupe de l'Opéra de Würzburg, puis de Mannheim, j'ai demandé personnellement à auditionner en 1982 pour l'été suivant. Je pensais avoir mes chances pour une Fricka, une Waltraute dans le nouveau Ring avec Solti. Je m'étais fixé au moins ces rôles comme objectif, car je n'avais pas envie de sacrifier mes vacances d'été pour une fille du Rhin.

    Comme je venais de me produire dans ce rôle à Cologne et à Bordeaux, j'ai chanté Kundry pour mon audition. Wolfgang Wagner m'a demandé de rester une journée supplémentaire afin que James Levine, qui dirigeait justement le Parsifal du centenaire dans la mise en scène de Götz Friedrich, puisse m'entendre. Le lendemain, Levine m'a demandé à son tour de rester encore une journée pour commencer à travailler ; j'étais engagée.

    Bayreuth représentait pour moi le sommet pour chanter Wagner. Imaginez qu'à l'époque, c'est Leonie Rysanek qui faisait Kundry. Je n'en revenais pas qu'on me propose de lui succéder. Il y avait encore tous les grands à Bayreuth : Peter Hofmann dans sa gloire, René Kollo dans les meilleurs temps. Le plus amusant, c'est que je n'avais assisté, comme spectatrice, qu'une seule fois au festival. J'ai eu la chance, en remportant un concours de chant, de gagner des places pour la première du Ring de Chéreau et Boulez en 1976. J'ai assisté à cet événement, complètement fascinée, depuis le dernier rang d'orchestre. Et cette production est toujours restée pour moi l'archétype du théâtre à l'opéra.

     

    Comment êtes-vous venue à Wagner ?

    Chéreau m'y a définitivement convertie. On ne jouait pas ce répertoire à Würzburg parce que la fosse était trop petite, et ma famille avait certains préjugés contre Wagner. Après avoir été subjuguée par le Ring de Bayreuth, je suis rapidement tombée dans la marmite. Mon deuxième engagement, à Mannheim, a été Erda, puis on m'a rapidement confié Fricka et Siegrune.

    Cette musique m'a tout de suite parlé, le texte est très philosophique, psychologique, ce qu'il raconte est intemporel. La manière qu'a Wagner de traduire la langue allemande en musique est inégalée. Il joue avec la couleur des mots, le rythme des consonnes. Ses changements d'harmonie se font d'ailleurs souvent sur des consonnes voisées, sur un w, un m, un n, un l, que l'on doit prendre le temps de chanter, de goûter, beaucoup plus que dans d'autres langues. Le legato en allemand passe par la longueur des consonnes.

     

    Ortrud, Kundry, Venus, Isolde, Fricka, Waltraute, vous avez dévoré tout ce que Wagner a écrit pour votre tessiture. Lequel de ces personnages est le plus difficile à pénétrer ?

    Isolde, sans hésitation, car on y trouve beaucoup plus que de la haine au premier acte et de l'amour au deuxième acte. Il y a une vraie dimension autour de la honte, de l'échec, une réelle complexité des sentiments. Dans le deuxième acte, la première partie du duo entre Tristan et Isolde – pas l'Hymne à la nuit mais ce qui précède, et dont une partie est souvent coupée pour faciliter la tâche au ténor – est vraiment le sommet de la complexité du rôle. Il m'a fallu des années pour l'intégrer, et j'ai encore mes doutes sur certaines phrases. Pour le public aussi, c'est probablement le moment le plus difficile à pénétrer, car la musique est tellement forte que l'on ne suit plus le texte. Tous les reproches assénés par les amants doivent être compris, et il faut, pour Isolde, conserver à chaque représentation une fraîcheur dans ce passage, comme si elle posait ces questions à Tristan pour la première fois.

     

    Qu'en est-il des difficultés vocales de ces rôles très variés ?

    Là aussi, Isolde est le personnage qui comporte les plus grandes difficultés. Je citerais aussi la fin du troisième acte pour Ortrud. Ça, c'est méchant ! Quand je mourrai, si je rencontre M. Wagner au ciel, je lui demanderai pour qui il a écrit ces imprécations inchantables. C'est déjà problématique pour une soprano, alors pour une mezzo ! En comparaison, la fin du deuxième acte de Kundry est tendue, mais on est dans l'énergie, on vient aux aigus progressivement. En revanche, Vénus, à la fin de la version parisienne de Tannhäuser, est un vrai challenge, car on n'a pas une seconde pour respirer.

     

    Avez-vous déjà eu envie de vous attaquer à Brünnhilde ?

    Envie peut-être, mais je ne la chanterai jamais dans Siegfried ou Crépuscule. Par contre, je vais donner celle de la Walkyrie à la Scala. On réalise aujourd'hui de plus en plus que les trois Brünnhilde ne sont pas écrites pour la même tessiture, et qu'on ne peut pas chanter tout le rôle sans que l'une des trois journées ne soit pas vraiment convaincante. Le public tient à ce qu'une même interprète fasse tout le Ring, mais en même temps, il râle dès que la chanteuse n'est pas parfaite.

    Chez Chéreau, Gwyneth Jones chantait les trois très bien, mais c'est tellement rare. Debbie Polaski est aussi pour moi une Brünnhilde idéale, même si la tessiture dans Siegfried est sans doute trop aiguë pour elle, mais ce n'est pas sa faute ! L'Immolation n'est pas ce qui me rebute dans Crépuscule, et d'ailleurs je la donne parfois en version de concert, c'est le deuxième acte qui est périlleux, et aussi le duo avec Siegfried au premier acte.

     

    Avez-vous été influencée par des chanteurs ?

    Quand j'ai commencé, j'ai beaucoup appris de deux artistes en les côtoyant : Franz Mazura, un modèle de jeu théâtral, un diseur extraordinaire, qui savait toujours articuler la langue, et aussi Thomas Stewart. Sinon, j'apprends aujourd'hui encore beaucoup des acteurs, sans doute plus que des chanteurs. Je ne peux pas dire que j'ai été influencée par des grands chanteurs du passé, car je n'écoute jamais de disques à la maison, et surtout pas les miens. J'ai eu de bons professeurs, c'est là l'essentiel.

     

    Quelles sont les mises en scène wagnériennes qui vous ont le plus marquée ?

    Récemment le Tristan de Peter Sellars, qui m'a apporté de nouvelles idées, notamment sur la dimension de la honte dont je parlais tout à l'heure. Plus loin dans le temps, j'ai énormément appris de Götz Friedrich. Tout ce que je fais d'Ortrud aujourd'hui vient en grande partie de mon travail avec lui. Pour Kundry, la situation est différente, j'ai subi beaucoup d'influences, celle de Jean-Pierre Ponnelle, de Götz Friedrich aussi, de Klaus Michael Grüber.

    Autrefois, on jouait l'opéra sur scène avec la méthode Felsenstein, du nom d'une grande école d'opéra d'Allemagne de l'est qui voulait que le chanteur anticipe, prépare dans l'attitude, dans la pensée, dans le geste, ce qu'il va dire dans la musique. Et Grüber m'a appris exactement le contraire, à conserver, à prolonger l'attitude, le geste après avoir prononcé les mots. Ainsi, cela permet au public de poursuivre la réflexion sur ce qui vient d'être dit. Aujourd'hui, j'essaie de conserver cette manière de faire. Je ne fais pas les choses avant, mais avec, et après. Cette méthode me paraît plus appropriée à l'opéra et notamment dans le répertoire allemand, où le verbe vient souvent à la fin de la phrase.

    Ce qui est dramatique, c'est que la jeune génération n'est souvent pas même au courant de ces deux manières de faire, on vit actuellement une crise de la direction d'acteurs. Le public ne tolérerait jamais au cinéma ou au théâtre le laisser-aller scénique qu'il accepte la plupart du temps à l'opéra. D'ailleurs, vous n'imaginez pas à quel point je suis heureuse de retravailler prochainement avec Chéreau pour Tristan à la Scala.

     

    Et les chefs avec qui vous aimez travailler ?

    Daniel Barenboïm est pour moi le plus grand, son Tristan est vraiment sans concurrence. À ce propos, il m'a fait un magnifique compliment quand on a donné Tristan à Berlin à l'automne dernier : « toi et moi, c'est comme gant et main, seulement je ne sais jamais qui est le gant, et qui est la main Â». Quand il dirige, il est toujours dans l'instant, pas dans l'émotion de l'instant, ce qui serait amateur, mais dans la logique de l'instant. Il y a de la vie dans chaque représentation, il est toujours ouvert à ce qu'on donne. C'est comme une partie de ping-pong sans fin où jamais une balle ne sort de la table.

    J'aime aussi beaucoup Riccardo Muti, dans Parsifal, Crépuscule, et même Fidelio, de grands moments de ma carrière à la Scala, mais aussi dans des pièces de concert comme le Poème de l'amour et de la mer de Chausson. Le travail avec lui est très précis, profond. Abbado, dans un autre genre, est également très inspirant, et j'ai beaucoup aimé chanter avec James Levine. En bon Américain, il aime le son, il le savoure, il donne beaucoup de confiance quand on est sur scène. Avec lui, on est tranquille, c'est un peu « baby I'm here, don't worry ! Â» Et enfin je citerais Christian Thielemann, un excellent wagnérien et brucknérien, avec qui j'ai fait Kundry à l'Opéra de Vienne.

     

    Alors que vous êtes considérée comme l'une des grandes wagnériennes de notre époque, pourquoi ne vous voit-on plus à Bayreuth ?

    J'ai pris part au festival pendant dix-sept ans, j'y ai chanté presque tout ce que je pouvais, j'attends maintenant que les conditions artistiques évoluent pour y retourner. Beaucoup d'artistes sont partis de Bayreuth un peu fâchés, car les contrats ne sont pas acceptables : on n'a pas le droit de se produire ailleurs pendant toute la durée du festival. La dernière fois que j'ai chanté sur la Colline – en 2000 pour Sieglinde –, on m'a reproché de partir chanter Isolde à Salzbourg, alors que les trois représentations de la Walkyrie étaient espacées de plus de dix jours ! Je connais plusieurs chanteurs, excellents dans le répertoire wagnérien, qui, engagés à Bayreuth, ont déclaré forfait après avoir reçu leur contrat.

     

    L'atmosphère si particulière du lieu doit pourtant vous manquer.

    Bien sûr ! La scène de Bayreuth me manque, sa concentration, le fait que le public n'ait rien qui le distraie de l'action. Dans la salle, on ne voit ni l'orchestre ni le chef, et l'inclinaison de la scène favorise un contact excellent avec le public. À Bayreuth, on ne peut que se concentrer sur la scène, c'est vraiment l'idéal pour le spectateur.

     

    Au faîte d'une telle carrière, de quoi rêve encore Waltraud Meier ?

    J'espère encore être surprise, mais je n'ai aucun rêve précis. Si je disparais demain, je mourrai tout à fait heureuse, je ne regrette rien de ce que j'ai pu faire. Je ne veux pas dire que tout a été merveilleux dans ma carrière, mais même les prestations moyennes m'ont servi, comme des expériences. Un échec est enrichissant, pourvu qu'on sache en tirer les conséquences. C'est un peu ma philosophie.

     

    Le 08/06/2007
    Yannick MILLON


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