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SELECTION CD |
04 mai 2024 |
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Marthe Keller tutoie Poulenc |
Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc Opéra National du Rhin (1999), centenaire de la naissance du compositeur
Mise en scène : Marthe Keller
RĂ©alisation : Don Kent.
Choeurs de l'Opéra National du Rhin,
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Direction : Jan Latham-Koenig.
Avec Anne-Sophie Schmidt : Blanche de la Force, Nadine Denize : Madame de Croissy (Première Prieure), Valérie Millot : Madame Lidoine (Seconde Prieure) ~
Patricia Petibon : Soeur Constance, Hedwig Fassbender : Mère Marie de l'Incarnation, Michèle Besse : Mère Jeanne de l'Enfant Jésus, Laurence Dale : le Chevalier de la Force, Didier Henry : le Marquis de la Force
1 DVD Arthaus, 2001, n° 4 006680 100043. Pas de sous-titres français.
Le Dialogue des Carmélites est à la fois un aboutissement et un condensé de toute l'Histoire de l'Opéra. Poulenc se réfère d'ailleurs expressément à Monteverdi dans sa préface. Mieux, le choix d'un texte de dureté et de lumière (Bernanos), que la musique commente, enrichit, caresse et entrelace sans jamais l'obscurcir, retourne directement aux sources du Combatimento di Tancredi e Clorinda ou du Lamento d'Arianna.
Est-ce cette prosodie en musique, dans laquelle mots et notes se reflètent toujours, d'une certaine façon à la manière d'un Gluck, ou est-ce encore l'emploi fréquent de la consonance qui valut au compositeur quelques reproches d'académisme et de passéisme ?
On aura pourtant peine à trouver dans la même période (la fin des années cinquante), une oeuvre si riche, aussi simple et aussi essentielle ; un drame si dense pétri de persécutions, de foi, de grâce, de mort et de peurs, mais par-dessus tout de multiples formes d'amour.
Créé à la Scala de Milan le 26 janvier 1957 (en italien, avec en particulier Virginia Zeani et Leyla Gencer), le grand oeuvre lyrique de Poulenc a très rapidement gagné la gloire internationale, a-t-on coutume de lire. Les plus grands théâtres du monde l'ont monté, avec des distributions prestigieuses, il est vrai.
Mais en France, surtout depuis le retrait de Regine Crespin, on a surtout la sensation qu'il est considéré comme un minus habens opératique. D'où la divine surprise que constituait, en 1999, la production de Marthe Keller ; laquelle débutait la scène lyrique par la face nord. Cette captation fut réalisée pour la télévision et diffusée sur Arte et France 3.
La grande réussite de Marthe Keller est d'avoir fait sienne cette linéarité qui encercle, plus qu'elle n'appuie, les psychologies diverses, voire opposées, des personnages et des groupes. L'idée de " Dialogue " n'est pas ici gratuite, il se lit sur les visages et imprime tous les discours.
Elle est traduite par un art consommé du portrait qu'exalte une science des éclairages à la Georges de la Tour, entrecoupés de noir et blanc. À l'image, le tout paraît en même temps sophistiqué et allant de soi. La caméra de Don Kent n'en manque par une bribe.
Décors et costumes sont épurés, à l'image des mouvements des personnages qui sont d'une très grande simplicité, et ne font que renforcer l'impact d'une scène finale qui hantera longtemps le mélomane-spectateur, avec le visage de Patricia Petibon en icône.
Par la mise en évidence de plans sonores transparents et très respectueux des lignes vocales, Jan Latham-Koenig démontre une réelle affinité avec le compositeur. Tout juste lui reprochera-t-on de manquer parfois de tranchant, privant certaines litanies de leur brutale scansion voulue
Belle tenue d'Anne-Sophie Schmidt dans le rôle central de Blanche. Dans la première moitié de l'oeuvre, il lui manque toutefois cette illumination de la voix qu'une Felicity Lott a quasiment enregistrée pour l'éternité (1). Le duo de Blanche avec soeur Constance - Patrica Petibon - y perd un soupçon d'intérêt. En revanche, suivant cette dernière dans la mort, Anne-Sophie Schmidt irradie le plateau d'un véritable chant d'action de grâces en final.
De leur côté, les Prieures soulèvent quelques menues difficultés. Si Madame de Croissy (Nadine Denize) tisse avec une grande sobriété les deux pans de son double portrait de l'Acte I (on préférerait cependant des graves plus profus dans l'Agonie) ; Valérie Millot (Madame Lidoine) chante trop probe dans un français confus et manque de charisme maternel.
Bien plus subtile est Mère Marie de l'Incarnation (Hedwig Fassbender), qui évite de composer une rigoriste univoque, et soutient avec panache une partie fort complexe. Les autres religieuses sont à louer sans réserves, de même que Laurence Dale, le Chevalier de la Force, frère désappointé d'une mystique sans famille.
Autant dire que dans sa globalité, ce DVD se place d'entrée dans la partie haute du catalogue, celle qui tutoie presque le divin.
(1) Enregistrement public du 25 avril 1980, au TCE. Publié chez " INA, mémoire vive " en 1999. Direction : Jean-Pierre Marty. Avec : Felicity Lott, Régine Crespin, Jocelyne Chamonin, Anne-Marie Rodde, Geneviève Barrial, Léonard Pezzino
La version de référence au disque devant Dervaux (1958, EMI, mono et mythique) et Nagano (1992, Virgin).
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Marthe Keller tutoie Poulenc | |
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