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SELECTION CD 10 décembre 2024

La mort du chant français



Comment diable, quand on s’appelle Sir Colin Davis, qu’on est un des plus ardents défenseurs des opéras de Berlioz et de surcroît l’auteur d’un enregistrement en tous points modèle de Benvenuto Cellini, peut-on laisser paraître une captation de concert à la distribution défigurant la langue et le style français à ce point ?


Le 18/11/2008
Yannick MILLON
 

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     La mort du chant français



    Hector Berlioz (1803-1869)
    Benvenuto Cellini, opéra en deux actes (1834-1838)
    Livret d’Auguste Barbier et Léon de Wailly

    Gregory Kunde (Benvenuto Cellini)
    Laura Claycomb (Teresa)
    Darren Jeffrey (Balducci)
    Peter Coleman-Wright (Fieramosca)
    Andrew Kennedy (Francesco)
    Isabelle Cals (Ascanio)
    Jacques Imbrailo (Pompée)
    John Relyea (le Pape Clément VII)
    Andrew Foster-Williams (Bernardino)
    Alasdair Elliott (le Cabaretier)

    London Symphony Chorus
    direction : Joseph Cullen
    London Symphony Orchestra
    direction : Sir Colin Davis
    Enregistrement : Live, Barbican Center, London, 26 et 29/06/2007

    2 Hybrid-SACD LSO Live LSO0623


    Nombre de nos confrères font rĂ©gulièrement part de leur enthousiasme devant la bonne santĂ© du chant français. Si par « chant français Â», on entend « reprĂ©sentativitĂ© des chanteurs français Â», on se rĂ©jouira de concert devant la renommĂ©e incontestable des jeunes chanteurs hexagonaux, dont on a pu d’ailleurs vanter Ă  l’occasion les mĂ©rites.

    En revanche, si par « chant français Â», on entend l’école qui a accouchĂ© jusque dans les annĂ©es 1950 de ces dizaines de PellĂ©as et MĂ©lisande audibles in extenso sans consulter une seule fois le livret et que le disque a su prĂ©server – ceux de DĂ©sormière, d’Ansermet et de Fournet avant tout –, et qui subjuguent aujourd’hui encore par leur sobriĂ©tĂ© stylistique, leur refus de tout effet, de toute emphase, oĂą chaque syllabe est Ă©mise sans artifice ou gonflement, oĂą chacun chante avec sa vraie voix, sans truquer, dĂ©livrant une diction d’une puretĂ© de cristal, on ne partagera pas cet Ă©lan de bonne humeur.

    Pourtant, la mort du chant français telle qu’on est obligé de la reconnaître aujourd’hui n’est en rien une fatalité, mais bien plutôt le fruit d’un problème d’éducation, de culture. Il nous faut donc reprendre une fois encore notre bâton de pèlerin pour que la notion d’école nationale, et au premier chef la nôtre, celle d’un Vanzo chantant Nadir, d’un Thill chantant Éléazar, d’un Chauvet chantant Énée, ne soit pas vain mot, et relativiser les triomphes accueillant neuf fois sur dix des productions d’opéra sombrant dans le plus confus des sabirs et un grand lyrisme mondialisé qui n’ont rien à voir avec le chant français historique.

    Ă€ l’heure des Ă©missions verrouillĂ©es et des voix toutes plus grossies les unes que les autres, le nouveau Benvenuto Cellini de Davis cristallise mieux que tout autre les abĂ®mes oĂą a sombrĂ© le chant français. On n’incriminera pas tant les chanteurs, qui, bien souvent, et mĂŞme Ă  haut niveau, acceptent les rĂ´les qu’on leur propose, que les agents et les responsables des distributions des grandes salles – en prĂ©cisant qu’en France, c’est le plus souvent dans les rĂ©gions qu’on entend le français le plus satisfaisant, quand Paris s’obstine dans les « prestigieux Â» Hoffmann hors-style et impossibles d’accent de Shicoff ou VillazĂłn…

    Un rôle-titre au style indéfendable

    On ne comprendra guère mieux ce qui peut pousser à laisser à la postérité le Cellini d’une vulgarité à toute épreuve de Gregory Kunde, déjà pas irréprochable chez Nelson, mais ici affligé d’un accent prononcé et surtout d’un style indéfendable : émission poussive, vibrato effrayant, déballage de tripes à la mode vériste, demi-teinte cadavérique de l’aigu, ligne ruinée par d’incessantes attaques par en dessous – Une heure encore. Vingt secondes du rôle-titre par Gedda, considéré comme un peu léger et exotique en son temps, remettront impitoyablement les pendules à l’heure.

    Idem de la Teresa épouvantail et hululante de Laura Claycomb, de timbre mastoc, d’aigu criard – tout l’opposé des délicatesses d’une Eda-Pierre – et dont on ne capte par moments pas un traître mot. En conséquence, les dialogues, dans l’outrance permanente, tournent vite au ridicule. Nous ne pousserons donc pas plus avant la revue de la distribution, par pure décence, la seule francophone d’un plateau bien british – Isabelle Cals – s’avèrant aussi approximative que ses collègues.

    Dommage, car reste évidemment la direction experte – ainsi que les grognements audibles – de Sir Colin Davis, dont l’amour pour l’ouvrage transparaît à chaque mesure, et qui porte un London Symphony Orchestra de toute splendeur, sans doute même supérieur de timbres, d’ouvragement des textures au BBC Symphony du premier enregistrement.

    Précisons toutefois que la version de la partition du chef britannique, qui a passé l’âge des remises en question, ne correspond à aucune mouture précise du texte de Berlioz, mais à une sélection personnelle, loin de la volonté d’exactitude et de l’appareil critique d’un John Nelson.

    On s’en tiendra donc au premier enregistrement de Sir Colin (Philips), pour son authenticité musicale sinon musicologique, son plateau idiomatique et sa joie pionnière, et à celui de Nelson (Virgin), nettement plus imparfait dans le détail – le décharnement de Ciofi, les aberrances naissantes de Kunde, le manque d’arêtes rythmiques du chef – mais offrant de plus grands scrupules quant au texte musical.

     
    Yannick MILLON


     

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