Richard Strauss (1864-1949)
Elektra
Evelyn Herlitzius (Elektra)
Waltraud Meier (Clytemnestre)
Adrianne Pieczonka (Chrysothémis)
Mikhail Petrenko (Oreste)
Tom Randle (Égisthe)
Coro Gulbenkian
Orchestre de Paris
direction : Esa-Pekka Salonen
mise en scène : Patrice Chéreau
décors : Richard Peduzzi
costumes : Caroline de Vivaise
éclairages : Dominique Bruguière
captation : Stéphane Metge
Enregistrement : Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, juillet 2013
1 Blu-ray (disponible aussi en DVD) BelAir Classiques BAC410
Événement majeur du festival d’Aix-en-Provence mais aussi de tout l’été lyrique 2013, l’Elektra de Chéreau-Salonen que publie BelAir Classiques se taille immédiatement la part du lion de la vidéographie de l’ouvrage. Tout d’abord grâce à une mise en scène retournant aux sources de la mythologie, sens de l’épure cherchant à déshystériser une œuvre sur laquelle on avait souvent imposé un visuel aussi trash que peut l’être la musique.
On est ici aux antipodes du film de Götz Friedrich : point de bunker façon architecture de RDA, mais un décor sobre, sans stigmates du pourrissement intérieur vécu par les Atrides. Aucune outrance venant surenchérir sur la musique, mais un travail d’une totale économie, et sous une lumière inédite, Chéreau se permettant un parcours aube-crépuscule à même de transcender son décor intemporel par les éclairages, une dramaturgie à eux seuls.
Sans jubilation, l’accomplissement du double assassinat provoque un sentiment de dévastation plus fort encore que la situation initiale dans une cour anéantie, loin de l’exultation happy end où seul le point de vue d’Électre l’emporterait. Nous sommes face à des êtres de chair et de sang, rendus à leur plus vulnérable humanité, dont un Oreste impuissant, laissant son précepteur asséner à son beau-père les coups de poignards fatals.
Surtout, Chéreau investit les personnages secondaires, jamais simples utilités, constamment liés au passé, aux actes des rôles principaux. En faisant de la cinquième Servante la vieille nourrice d’Elektra, il prend des libertés avec la typologie vocale mais renforce le sentiment de cruauté des coups de fouets reçus par cette femme âgée, comme il aime à le souligner dans l’interview d’une vingtaine de minutes proposée en bonus où il offre un éclairage lucide, en rien consensuel, sur l’œuvre, ses enjeux, ses forces et ses faiblesses, ainsi qu’une immense érudition.
Dans un corps d’adolescente attardée, anguleux et tout en sécheresse, Evelyn Herlitzius crève l’écran par le jusqu’au-boutisme de la folie meurtrière du rôle-titre, ne déployant son hystérie physique qu’aux moments-clé, tenant de la transe. Et se présente presque fraîche aux saluts, alors qu’elle ne se ménage pas non plus vocalement. On pourrait gloser sur cette voix courte en souffle, mate, abusivement vibrée, sur ces graves poitrinés, sur ces valeurs constamment écourtées, et pourtant, on est captivé par cette projection bétonnée qui ne cède pas le moindre instant devant sa détermination morbide.
La Chrysothémis d’Adrianne Pieczonka, soprano canadienne que l’on suit depuis douze ans et qui n’a jamais mieux chanté, est toute volupté physique, corps prêt à l’enfantement et voix d’authentique volonté de vivre sa féminité, avec ce timbre magnifiquement projeté, ces aigus incandescents et jeunes, tellement positifs.
Si elle pouvait paraître un peu juste en salle, la Clytemnestre de Waltraud Meier irradie de beauté, authentique reine, personnage tout sauf monstrueux, riche de mille facettes et d’une extrême attention aux mots peu étonnante chez la plus grande Kundry de notre temps. En voix légère mais dardée quand nécessaire, Meier instille une complexité folle à un personnage trop longtemps cantonné au vieux débris hirsute.
Scolaire d’allemand, Mikhaïl Petrenko trouve une belle homogénéité des graves, face à l’Égisthe guère inoubliable (mais qui l’est vraiment ?) de Tom Randle. Nostalgie enfin avec dans les rôles secondaires le Vieux Serviteur de Donald McIntyre et le Précepteur d’Oreste de Franz Mazura, revenants du Ring du centenaire de Bayreuth, parvenant à imposer leur personnage en une phrase, par delà l’usure évidente des moyens.
Mais ce plateau ne suffirait pas à porter le drame sans la direction de diamant noir d’Esa-Pekka Salonen, qui transcende l’Orchestre de Paris. Exégète reconnu de la musique de son siècle, le Finlandais déniche des alliages de timbres inouïs, cordes coupantes comme des lames de rasoir, mettant en relief toute une variété d’accents et de couleurs chez des cuivres agissant par frappes chirurgicales, avec une tension constante et sans la moindre rutilance consensuelle.
La captation, sachant s’attarder sur les plans larges, déçoit seulement lors de quelques ralentis douteux et de certains plans mouvants donnant un illusoire sentiment de rotation qui parasite la tension des corps immobiles. Seule réserve sur un travail honorable, très réussi même dans son rendu des scènes nocturnes. Un immense DVD-Blu-ray.
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