Rencontres au sommet de la création |
Les Grandes Répétitions
5 films de GĂ©rard Patris et Luc Ferrari
Olivier Messiaen : Et Expecto Resurrectionem Mortuorum (1965, nb, 44')
Karlheinz Stockhausen : Momente (1965, nb, 45')
Hommage à Edgar Varèse (1965, nb, 66')
Hermann Scherchen : Quand un homme consacre sa vie Ă la musique (1967, nb, 57')
Cecil Taylor Ă Paris (1966, couleur, 44')
Production du Service de La Recherche sous la direction de Pierre Schaeffer / ORTF
2 DVD K-films INA/France musique
Dans les années 1960, le compositeur Luc Ferrari et le réalisateur Gérard Patris proposent à Pierre Schaeffer, alors directeur de l'ORTF, de produire une série d'émissions ayant pour objectif d'associer directement le public à l'audition musicale d'une œuvre contemporaine. Ils espèrent ainsi permettre au plus grand nombre de mieux pénétrer le langage de pièces souvent ardues, tout en réalisant des portraits de personnalités aussi intimes que précis.
Cette collaboration se concrétise alors par cinq émissions, groupées sous l'intitulé les Grandes répétitions, qui constituent des documents de première importance et dont la réalisation atteste d'une réflexion aussi soignée que judicieuse.
Néanmoins, ces documentaires n'auraient pas acquis une valeur exceptionnelle si les réalisateurs n'étaient pas allés jusqu'à nous proposer d'authentiques rencontres. Car, bien au-delà de l'intérêt pour la répétition en tant que telle, chacune des émissions, témoignage d'une époque désormais historique, donne accès à l'univers particulier d'une individualité hors du commun.
Certes, il s'agit d'abord d'une rencontre avec l'œuvre, dont les modalités sont tout sauf laissées au hasard : le choix éclairé d'accorder la place centrale à de larges extraits de répétitions sans qu'aucun commentaire ne s'y superpose, part ainsi du principe que les remarques des chefs d'orchestre aux musiciens sont des données suffisantes pour que l'auditeur se fasse sa propre idée sur la nature des œuvres.
De ce point de vue, Bruno Maderna, d'une exigence phénoménale dans la recherche de la matière sonore adéquate, ne cesse de capter l'attention dans la répétition des Déserts de Varèse. Cette attention de Patris et de Ferrari à laisser simplement la place à l'œuvre elle-même témoigne, au demeurant, du respect constant accordé à l'auditeur, tout comme d'une confiance absolue dans son potentiel à s'éveiller à l'œuvre par le truchement du véritable « laboratoire de recréation » que constitue la répétition.
Par ailleurs, ce parti pris n'empêche pas pour autant une authentique rencontre avec le créateur. Messiaen, Stockhausen et le jazzman Cecil Taylor témoignent directement de leurs conceptions ou de leur ressenti. La volonté de rendre justice au compositeur comme de laisser un espace à l'auditeur est particulièrement patente dans la séquence consacrée à Momente de Stockhausen.
La quête perpétuelle du compositeur allemand se matérialise cinématographiquement par un Stockhausen interviewé en train de marcher constamment, tandis que, pendant ses pauses, les réalisateurs laissent la place aux remarques les plus variées et les plus sincères, quitte à ce qu'elles paraissent parfois désarmantes – le « Je n'ai rien compris » de l'interlocuteur en étant l'exemple le plus flagrant.
Si l'émission sur Messiaen reste un rien décevante, en raison des commentaires de cet immense pédagogue confinant curieusement ici à la description – il y joue trop la carte du documentaire télévisuel à destination du tout venant –, celle consacrée à Cecil Taylor apparaît comme une véritable pièce d'anthologie.
En dépit de sa manière de se présenter comme un marginal en raison d'une vision un peu schématique – ceux qui ont étudié à l'académie et ceux, comme lui, qui sont issus « de l'autre côté du chemin de fer » –, l'un des artisans du free jazz montre au contraire qu'il a toute sa place parmi cette série d'individualités, dans cette même quête sonore et artistique donnant lieu aux créations les plus originales de l'époque.
À noter que lorsque l'émission est réalisée post mortem, des proches ou des personnalités éminentes du monde musical évoquent le musicien. Une émission intéressante en forme d'hommage est ainsi consacrée à l’infatigable travailleur et humaniste qu'était Hermann Scherchen, où son épouse occupe la place centrale.
Mais, surtout, on s'arrêtera sur l'émission consacrée à Varèse, sommet de cette série, dans laquelle un panel de personnalités du monde musical donne une vision sinon complète, du moins toujours nourrie et étayée de cette individualité incomparable qu'était le compositeur d’Amériques, comme de ses conceptions musicales.
La parution au DVD des Grandes répétitions constitue donc un événement à ne pas manquer : ce qui était le témoignage d'une époque apparaît aujourd'hui comme une somme documentaire d'une valeur historique inestimable et propose de véritables rencontres au sommet de la création d'alors. On regrettera d'autant plus l'absence de sous-titres, qui limite la distribution aux seuls pays francophones, tout en espérant que des réalisateurs reprennent le flambeau de cette démarche pionnière et nécessaire avec la musique contemporaine.
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