Claude Debussy : Préludes, livres I & II Alain Planès, piano
1 cd Harmonia Mundi HMC 901695
Cette intégrale des deux livres de Préludes de Debussy offre la particularité d'avoir été enregistrée sur un piano Bechstein de 1897. Alain Planès revient sur cette oeuvre essentielle du XXe siècle pour la deuxième fois, plus de quinze ans après son enregistrement pour l'éditeur français Harmonic Records. Il y développait déjà ses qualités majeures, notamment sa parfaite conscience de l'impact de la sonorité. Grâce à ce piano d'une facture contemporaine du compositeur, Alain Planès va plus loin dans l'exploration du monde sonore de Debussy que dans sa précédente gravure. La maîtrise de la résonance, qui est au centre de l'interprétation de ces Préludes, n'a aucun secret pour le pianiste qui transporte les harmonies les plus énigmatiques jusqu'à leurs ultimes extinctions.
" Des pas sur la neige " est la preuve parfaite de l'osmose d'un toucher précis, contrôlé et retenu avec les capacités acoustiques du Bechstein : souplesse, contrastes, puissance. Dans la " Cathédrale engloutie ", Alain Planès semble comme effaré de découvrir un tel monument sous l'eau comme le veut suggérer le titre : par une sonorité presque blanche au début, il suggère l'espace marin, puis il se rapproche, pénètre dans la cathédrale tel un plongeur ; le piano rugit alors, puis tout s'efface comme si d'un coup de palme, l'on s'éloignait ou qu'un courant de limon masquait l'édifice. Seul le viennois Paul Badura-Skoda sur un Impérial Bösendorfer (Harmonic Records encore) parvenait jadis à dessiner un tel paysage. À l'inverse, les pièces de lumière vive comme " La danse de Puck " ou " Les tierces alternées " bénéficient de la générosité naturelle de l'instrument. À celles-ci, le toucher éloquent, élégant et distancié de Planès donne un gras, un velouté, une chair que délaissent la plupart des interprètes engoncés dans les outrances pianistiques postromantiques de la fin du siècle précédent, comme cela semble être le cas de l'intégrale de Jean-Yves Thibaudet (Decca).
Dans une période où la création musicale redonne ses droits à un certain hédonisme sonore, il est urgent de réécouter avec quelle science Debussy a écrit ces oeuvres en perpétuel dévoilement, avec quelle maestria il a tourné le dos à toutes les facilités de langage suggérées par la virtuosité de certaines d'entre elles, " Feux d'artifices " par exemple. Presque tout le XXe siècle est contenu dans ces pages écrites entre 1905 et 1915.
Sur un piano souverain mais qui ne lui facilite pas les choses -cela se sent à maints détails-, Planès désigne avec conviction Debussy comme un prophète, et inscrit ses Préludes dans le troisième millénaire comme une pierre d'angle sur laquelle on aurait encore tout intérêt à construire.
Il y a tant d'intégrales des Préludes de Debussy ! Mais on ne manquera pas de mettre celle-ci à côté d'Arturo Benedetti-Michelangeli : aucune ne déparera l'autre. Ce n'est pas la moindre des recommandations.
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