L’électricité d’une soirée munichoise |
L’électricité d’une soirée munichoise
Piotr Ilitch TchaĂŻkovski (1840-1893)
La Dame de Pique
Vladimir Atlantov (Hermann)
Alexander Voroshilo (Tomski)
Bodo Brinkmann (Eletski)
Elena Obratsova (la Comtesse)
Julia Varady (Lisa)
Ludmila Shemchuk (Pauline)
Chœur et Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière
direction : Algis Zhuraitis
Enregistrement : Munich, Nationaltheater, 24/11/1984
2 CD ORFEO série Bayerische Staatsoper Live C 811 112 I
Orfeo, champion toutes catégories des exhumations, publie en contrepoint l’écho sonore de la première du 24 novembre 1984 d’une Dame de Pique saluée comme l’un des sommets de l’Opéra de Munich de l’époque Sawallisch, qui avait alors passé la baguette au très oublié Algis Zhuraitis.
En témoigne ce live à l’électricité palpable à travers les tempi on ne peut plus enlevés du Lituanien, qui fouette la matière avec une jubilation et une transparence étonnantes, sans rentrer dans l’épaisseur du son. On y gagne une tension horizontale, une vivacité d’articulation inédites dans la discographie.
On s’étonnera d’ailleurs d’un II attaqué bille en tête, loin de l’élégance mozartienne habituelle, cherchant la trépidation par le rythme, et l’on percevra toute la soirée durant une réactivité maximale chez des cuivres rougeoyants et des cordes transcendantes, passé un premier tableau pas franchement en place, aux chœurs très quelconques.
L’autre élément majeur du coffret est la présence lumineuse de Julia Varady, Lisa d’une féminité, d’une jeunesse de timbre, d’une radiance exceptionnelles, et dont la ligne se plie à toutes les nuances, à une mezza voce totalement oubliée à notre époque où la plupart des titulaires se bornent à produire du gros son. Un véritable trésor de délicatesse et d’émotivité à fleur de timbre, recentrant l’importance du personnage.
Face à elle, l’Hermann célébré de Vladimir Atlantov n’en paraîtra que plus basiquement mâle, concentré tout entier sur l’éloquence dramatique. Et tant pis si l'émission, authentiquement russe, n’est pas des plus séduisantes, particulièrement en début de soirée : des instants comme l’embrasement du premier duo, ou encore la scène du suicide dans la Neva où chef, soprano et ténor se surpassent, revêtent un caractère historique.
La Comtesse d’Elena Obratsova a le goût de ne jamais sombrer dans la caricature de l’ogresse, et inquiète bien autant que les barriques d’outre-tombe avec son accroche et ses intentions persifleuses, jusqu’à des couplets au sostenuto constant, à la nostalgie s’instillant très progressivement. Du grand art.
Une Pauline mais surtout un Eletski et un Tomski mieux distribués auraient garanti un Coup de cœur à cette Dame de Pique, mais le contralto étrangement fébrile de la première, l’interprétation le cœur sur la main du deuxième, et le timbre exsangue du troisième privent ce coffret de la récompense suprême.
N’importe ! Ne serait-ce que pour le chef – malgré quelques coupures, dont celle de la Bergère sincère – ou la Lisa de rêve de Varady, il faut découvrir cet enregistrement sur le vif bénéficiant d’un son magnifique de clarté et de présence, très au-dessus des captations radio souvent opaques de l’époque.
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