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SELECTION CD |
06 mai 2024 |
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Claude Debussy : Estampes, Images... |
CĂ©dric Tiberghien joue Debussy Claude Debussy
Estampes, Images (livre I et II), Masques, D'un cahier d'esquisses, l'Isle joyeuse
CĂ©dric Tiberghien, piano
Harmonia Mundi HMN 911717, collection "Les nouveaux interprètes"
Lauréat de plusieurs prix internationaux dont le redoutable Marguerite Long-Jacques Thibaud où il fait un triomphe en 1998, Cédric Tiberghien commence sa carrière sous les meilleures augures. Ainsi n'hésite-t-il pas à signer ici un compact rassemblant des oeuvres fondamentales des années 1904-1905 de Debussy, extrêmement enregistrées, et par les plus grands pianistes. Cette collection est une carte de visite pour les "nouveaux interprètes". Le choix du répertoire est donc de la plus grande importance.
Avec ce programme, Cédric Tiberghien démontre ses qualités de coloriste et d'architecte. Rien de plus périlleux que de construire le discours debussyste, un mélange d'abandon et de rigueur. "Reflets dans l'eau" en est l'illustration. Tiberghien ne s'y trompe pas, il trouve ici la juste mesure. La poésie de "l'hommage à Rameau", sa mélancolie, son tempo qui semble ralentir jusqu'au silence exige une maîtrise du temps musical qui excède sa simple analyse intellectuelle, mais approche plutôt la perception intime, personnelle, du devenir. Tiberghien s'abandonne dans ces pages à la sonorité, il a raison, il sait aussi retenir l'émotion, il se rappelle que "L'hommage à Rameau" est une affirmation de soi de Debussy. "Mouvement" qui clôt le premier livre des " Images " est un assaut de triolets très rapides qui font mentir le titre : rien de plus statique que ce mouvement brownien. Le pianiste ici sait donner l'illusion que tout cela tremblote. Il surfe avec élégance sur la crête des grandes vagues qui traversent la partition pour retourner au grouillement originel dans les dernières mesures. C'est un bonheur de construction sonore.
" Images " est complété par le dyptique inavoué que constituent "Masques" et "L'Isle Joyeuse". Cette dernière est un piano de grands gestes, une pièce qui s'adonne à la joie du beau son, de l'emphase, de l'ivresse, elle est d'un caractère romantique, lisztien. Elle s'oppose au mystère de "Masques", oeuvre d'une affirmation tellement plus moderne. Ici (dans un jardin peint par Watteau, qui est l'incontournable référence de cette musique), la course au plaisir, les masques qui se soulèvent, les caresses furtives, les badinages, les jeux de l'amour, mais aussi l'inquiétude. On aurait aimé de Tiberghien pour ces pages plus de folie, plus de joie, plus d'enivrement.
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"D'un cahier d'esquisses" (1903) dégage un parfum délétère. Musique d'atmosphère construite autour de notes-pivot perdues dans les brumes, les coups de vents, les glacis ; musique d'accords savants qui semble ne se diriger nulle part ; musique d'immobilité ancrée dans la résonance, annonçant "Danseuses de Delphes" du premier livre des Préludes (1914). Tiberghien pèse avec soin chacune de ces mesures qui semblent marquer le pas, refuser de démarrer. Il explore leur monde sonore, leurs secrets. Il est convaincant mais n'emporte pas totalement l'adhésion : trop de sagesse peut-être.
Mais au total, il n'y a aucune hésitation à avoir : cet enregistrement mérite de figurer au côté des grands debussystes français contemporains.
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| Olivier BERNAGER
Claude Debussy : Estampes, Images... | |
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