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SELECTION CD 19 avril 2024

Discographie comparée :
Verdi - AĂŻda




Grande fresque pharaonique fleurant bon la carte postale ou ouvrage chambriste aux climats raréfiés ? Aïda est peut-être tout cela à la fois, et à l’occasion du retour de l’antépénultième ouvrage lyrique de Verdi à l’affiche de l’Opéra de Paris après plus de quarante-cinq ans d’absence, Altamusica vous propose sa discographie comparée des versions studio de l’ouvrage.


Le 10/10/2013
Yannick MILLON
Mehdi MAHDAVI
Thomas COUBRONNE

 

  • SĂ©lection
  • Acte I
  • Ritorna vincitor - Acte II
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      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  •  

     Acte I

    Version Serafin II


    Giuseppe Modesti (Ramfis)
    Richard Tucker (Radamès)
    Maria Callas (AĂŻda)
    Fedora Barbieri (Amnéris)
    Orchestra del Teatro alla Scala, Milano (1955)



    MM : On s’ennuie un peu dans le prélude. Portamenti un peu datés mais assez belle qualité instrumentale pour l’époque. Modesti semble se réveiller, mais vraie couleur de basse italienne. Timbre de Tucker ingrat mais Radamès franc du collier. Dans le trio, Barbieri est moins harengère que prévu, on sent qu’elle a l’habitude du rôle. Callas recadre tout le monde rythmiquement, et il se passe quelque chose à son arrivée. Même si son aigu vibre lentement, j’ai envie d’en entendre plus.

    YM : Tempo de base un peu lent et mezzo-forte ambiant. Accélération sur le climax du prélude, et rubato assez incompréhensible. Rien à dire sur Ramfis. La voix de Tucker a beau être serrée, nasale et corsetée, j’aime sa franchise. Orchestre mat et prosaïque dans le trio, où la voix de Callas chuinte beaucoup. Barbieri est la méchante italienne classique.

    TC : Belles intériorité et qualité instrumentale au début mais climax mou, peu phrasé. Beau savoir-faire, belle respiration avec les chanteurs. Rien à dire non plus sur Ramfis. Tucker a tout sauf une couleur italienne, mais une honnêteté, une exactitude du texte louables. Chant pas très legato mais assez aristocratique. Barbieri assez mordante par rapport à ce qu’on entend aujourd’hui, personnage prometteur. Callas, c’est du feu à son entrée, même si la voix est bizarrement captée. On ne comprend pas vraiment un mot, mais quelle énergie !




     
    Version Erede



    Dario Caselli (Ramfis)
    Mario Del Monaco (Radamès)
    Ebe Stignani (Amnéris)
    Renata Tebaldi (AĂŻda)
    Orchestra dell’Accademia di Santa Cecilia (1952)



    MM : On tombe de haut quant Ă  la qualitĂ© orchestrale. L’Orchestre de l’AcadĂ©mie de Sainte CĂ©cile donne l’impression qu’il dĂ©chiffre. Direction pourtant plus vivante, plus d’enjeux. Caselli est encore plus endormi que Modesti, voix ronchonne et renfrognĂ©e. Le timbre de Del Monaco est plus beau que celui de Tucker, mais ses voyelles sont impossibles, il met des « o Â» partout (Celeste Aido). Technique dĂ©braillĂ©e, il chante comme un bĹ“uf. Peu de consonnes chez Stignani, un peu mollassonne. L’entrĂ©e de Tebaldi est très agressive. Version qui ne me fascine guère.

    YM : Climat nocturne et chambriste plus réussi, mais orchestre carrément modeste. Caselli donne l’impression d’avoir deux cents ans. Del Monaco sonne un peu plus contrôlé que souvent, mais tous les sommets de phrase sont anticipés au moins d’une croche. Et quelles manières de rustre ! Malgré l’usure, Stignani est très distinguée, perfide mais en finesse. À l’entrée de Tebaldi, on se demande du coup qui est la méchante. L’orchestre, sans maître à bord, patauge joyeusement dans le trio.

    TC : Plus dramatique et plus plaintif que Serafin, mais résultat global vieilli, affecté, lyrique dans la mauvaise acception. Ramfis glaireux, comme momifié, caricature de basse qui n’a qu’une tierce de potable. Del Monaco insolent, très présent et vaillant, mais quelle largeur excessive d’émission, quelle bouillie de voyelles ! Il n’aide pas à rendre le personnage touchant ou vulnérable. Stignani assez aristo et pincée, qui permet d’avoir un trio plus équilibré que chez Serafin, mais Tebaldi n’est pas un modèle de gentillesse. L’ensemble n’est pas passionnant.

     
    Version Perlea



    Boris Christoff (Ramfis)
    Jussi Björling (Radamès)
    Fedora Barbieri (Amnéris)
    Zinka Milanov (AĂŻda)
    Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma (1955)



    MM : L’Orchestre de l’OpĂ©ra de Rome n’est pas franchement meilleur que celui de Santa Cecilia, et compte ses croches. Plus le prĂ©lude avance, plus on accĂ©lère. Crescendo très brutal. Christoff beaucoup plus affirmĂ©, vraie basse slave typique, avec un « Sì Â» d’entrĂ©e franc et massif. Björling, un peu Ă©triquĂ©, lutte contre un rĂ´le trop large. Équilibre entre consistance et lumière assez miraculeux mais difficultĂ©s de tessiture. Barbieri poitrine ici comme on la connaĂ®t, en mode camionneuse. Milanov, complètement dĂ©passĂ©e par le rythme, chante avec un timbre de petite grand-mère.

    YM : Orchestre pas fameux, et pourtant prĂ©sent dans quatre de nos versions. Cordes rĂŞches et scolaires, vilaines attaques de trompette. Ramfis granuleux de Christoff, qui ne sait pas faire un « i Â». Radamès d’emblĂ©e diffĂ©rent avec Björling, presque Ă©lĂ©giaque, qui n’a pas peur de la suavitĂ©. Mais moins de rĂ©serves d’air, respiration juste avant son aigu. Barbieri se surveille en effet moins, et joue Azucena avant… ou après l’heure ! Milanov fait vraiment de la peine dans l’entrĂ©e du trio. Il n’y a plus de voyelles, plus de consonnes, et la voix flotte entre les notes.

    TC : Beaucoup d’accidents de justesse, mais beau hautbois, notamment dans Celeste Aida. Ramfis avec plus d’énergie, mais confirmant que le rôle est toujours mal chanté. J’aime beaucoup Björling, qui chante avec classe, des nuances, un vibrato moins physique, même si on sent qu’il lutte. Barbieri fait plus mégère que chez Serafin, et les premiers sons de Milanov sont absolument effarants. Le médium est vert mais les aigus conservent une certaine facilité. Sauf qu’elle ne respecte absolument pas le rythme.




     
    Version Serafin I



    Tancredi Pasero (Ramfis)
    Beniamino Gigli (Radamès)
    Ebe Stignani (Amnéris)
    Maria Caniglia (Aida)
    Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma (1946)



    MM : Serafin est plus intéressant que dans son remake, plus senti, ça palpite davantage, c’est moins plat. Tempo toujours lent mais plus vibrant. Pasero a de l’allure et en impose en Ramfis. Gigli plante des clous ou joue le chanteur de charme, avec quelques sanglots, mais ce timbre clair, bien accroché, avec un vibrato à plusieurs vitesses, fait du bien. Je préfère Stignani ici, plus jeune, même si elle poitrine plus que chez Erede, et Caniglia, après la déconfiture de beaucoup de ces dames, se tient, même si son si aigu part dans le décor.

    YM : Je préfère aussi la direction de Serafin ici, même si les cordes n’en finissent pas de glisser d’un son à l’autre. Dans Celeste Aida, l’accompagnement de flûte sans vibrato dans le grave est assez hypnotique. Le trio est plus théâtral, on y croit plus, malgré un changement de face et de diapason au milieu. Ramfis noble, avec un vibrato d’être vivant. Suis partagé sur Gigli, qui chante vraiment dans le nez et éructe dans le trio, avec une approche un peu geignarde. Contrairement à MM, je trouve Stignani plus ordinaire ici et ne raffole pas du timbre de Caniglia.

    TC : Direction la plus intéressante jusqu’ici, avec du soin à faire entendre la partition. Dans l’air de Radamès, belle scansion rythmique des contrebasses, vrai souci des équilibres dans le trio, accentuation plus cohérente, et plus d’énergie rythmique. Même si l’orchestre est plus fragile qu’à la Scala, il est assez lumineux. Équipe de chanteurs qui a beaucoup vieilli, avec les défauts de ses qualités. Tout sonne un peu étrange et daté, mais cela ne manque pas de charme. La diction est plus encombrée chez Stignani, et Caniglia n'est guère marquante.




     
    Version Toscanini



    Norman Scott (Ramfis)
    Richard Tucker (Radamès)
    Eva Gustavson (Amnéris)
    Herva Nelli (AĂŻda)
    NBC Symphony Orchestra (1949)



    MM : Le prélude va un peu vite pour aller vite. Prise de son radio étriquée, orchestre sonnant assez américain. Le début manque de poésie, de respiration. Scott est complètement inintéressant, Tucker se tient plus droit et fait exactement ce qu’on lui dit de faire, mais avec une belle sincérité. C’est dans le trio que la direction de Toscanini se révèle, assez extraordinaire de dramatisme et très ciselée. On ne sait pas ce que Gustavson fait ici, ni en quelle langue elle chante. Quant à Nelli, après tout ce qu’on en a dit, si on l’avait aujourd’hui, ce serait une star.

    YM : Enfin un tempo à 76 à la noire, qui avance avec une vraie tension. Climat pas très nocturne, mais cordes exactes. Le son vit de l’intérieur, on entend absolument tout. Ramfis très quelconque, au point qu’on écoute la partie de violoncelles en dessous. Ardeur, flamme et théâtre dans le trio, balises métriques calibrées au millimètre. Tucker sonne plus jeune, fragile et vulnérable que chez Serafin. Petite curiosité après son aigu, qui retombe à l’octave. Amnéris extra-terrestre, façon Kathleen Ferrier au bout du rouleau. Nelli s’en tire nettement mieux que les autres dans le trio. Vrai travail d’équipe.

    TC : Que cela fait du bien d’entendre un chef qui ne laisse pas les chanteurs faire n’importe quoi ! Tempo et exactitude bouléziens avant l’heure, tenue tant orchestrale que vocale impressionnante. La trame dramatique vient de la direction, les chanteurs sont vraiment ensemble et ne bronchent pas dans un trio qui fonce. Climats intérieurs moins réussis, mais au moins, cela chante, avec un vrai souci de la sonorité. Tucker est très déclamé, le plus jeune au sens dramatique, plus spontané et moins raffiné, et Nelli est avec Callas la meilleure Aïda, la seule qui campe un personnage.




     
    Version Solti



    Giorgio Tozzi (Ramfis)
    Jon Vickers (Radamès)
    Rita Gorr (Amnéris)
    Leontyne Price (AĂŻda)
    Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma (1961)



    MM : On passe au cinémascope, à la couleur, les voix prennent leur espace, l’Orchestre de l’Opéra de Rome est métamorphosé, même s’il sonne un peu métallique. Bel équilibre dans la verticalité de l’orchestre. Tozzi sonne italien, du bel ordinaire de basse transalpine. Étoffe assez incroyable en entendant arriver Vickers, avec parfois des passages blancs, mais voix de colosse, force de la nature doublée d’un poète. Je suis fasciné par ce qu’il raconte. Gorr est étrange, un peu exotique, comme peut l’être parfois Solti, qui donne l’impression de diriger un opéra allemand. Price fait une entrée un peu molle et se rattrape sur les aigus.

    YM : On entre dans l’ère de la rutilance. Même défauts que dans les Wagner de Solti : tendance à l’outrance, vibrato et fortissimi forcés, embardées de trombone à réveiller les morts. Beaucoup d’effets, pas de vrai théâtre. La quantité plus que la qualité. Ramfis boueux donnant l’impression de s’ennuyer lui-même. Gorr guère orthodoxe, mais beau personnage angoissé, vibrato qui sait s’affoler. Très beaux aigus d’une Price sans texte, au médium impossible, sourd, détimbré, et mal capté. Vickers au diapason du chef, dans la démesure et l’expressionnisme. Bonne assise grave, mais italien vraiment contestable.

    TC : Je n’aime pas non plus cette approche lourdingue. Dès qu’il y a une occasion d’envoyer les cuivres à plein pot, Solti se jette dessus. On perd les cordes, le côté cursif, au profit d’un remplissage du trio par les cuivres. Le climax du prélude est monstrueux. J’ai très peur pour les scènes de foule. Amnéris humaine et ambiguë, à suivre… Price est fantomatique dans le médium, mais belle lumière dès que cela monte. Approximations phonétiques et techniques de Vickers moins gênantes ici quand dans ses emplois de Heldentenor. Engagement et sentiment tels que l’on marche. Très barytonnant dans le trio.




     
    Version Maazel



    Paata Burchuladze (Ramfis)
    Luciano Pavarotti (Radamès)
    Ghena Dimitrova (Amnéris)
    Maria Chiara (AĂŻda)
    Orchestra dell Teatro alla Scala, Milano (1988)



    MM : C’est mou, ça pèse trois tonnes, l’orchestre n’a pas envie de jouer. Maazel est là juste pour toucher son chèque. Aïda ne l’intéresse pas. Je suis incapable de compter combien de patates chaudes Burchuladze a dans la bouche. Contraste comique avec Pavarotti, qui chante avec une clarté presque caricaturale, avec ses voyelles toutes plates. Timbre merveilleux, toujours aussi séduisant mais personnage inexistant, musique débitée au kilomètre. Mme Dimitrova ne sait pas avec quelle voix chanter, son art est très empirique. Chiara est une Freni montée en graine, mais dans le genre, je préfère Nelli.

    YM : Quel pensum ! Le prélude est un crime contre le théâtre. Fondu des cordes transportant Aïda dans les fjords de Sibelius. Le Ramfis est absolument innommable, le pire de tous sans doute. Magnifique chant mordant et solaire chez Pavarotti, qui dicte son tempo dans son air, seul moment qui avance un tantinet. Decrescendo très factice sur son sib aigu. Dimitrova est typique des grosses voix slaves aux attaques à se décrocher la glotte. Chiara joue en effet à Freni, plutôt joliment.

    TC : Maazel semble dire Ă  l’orchestre : « Ne vous inquiĂ©tez pas, les enfants, ça va bien se passer Â». Rien n’est tenu, le prĂ©lude est d’un nĂ©gligent et d’une mollesse crasses, tout sonne comme cela veut bien sonner, sans soutien de tempo. Fin de trio vraiment affreuse. Ramfis chante Pimène, et encore… Radamès a la grâce du timbre, mais le minimum syndical au niveau de l’incarnation, et la messa di voce est toute trafiquĂ©e. Vous avez rhabillĂ© AmnĂ©ris pour l’hiver, je n’en dirai pas plus. L’AĂŻda de Chiara est ici le haut du panier.




     
    Version Karajan



    Arnold Van Mill (Ramfis)
    Carlo Bergonzi (Radamès)
    Giulietta Simionato (Amnéris)
    Renata Tebaldi (AĂŻda)
    Wiener Philharmoniker (1959)



    MM : Vous parliez d’artifice chez Solti, mais ici, c’est le comble du fabriqué, on s’écoute diriger au point de perdre la pulsation. L’orchestre est somptueux, on se roulerait dans ce son de violoncelles, mais il manque le théâtre. Les voix disparaissent presque dans le trio. Van Mill donne l’impression d’avoir appris l’italien phonétiquement, mais fait des nuances. Il manque à Bergonzi le squillo. Tempo qui accentue sa tendance au portamento, mais diction, timbre magnifiques. Simionato passe un peu inaperçue. Tebaldi fait une entrée beaucoup moins agressive que six ans plus tôt, pour ne pas dépasser dans le fondu sonore du maestro.

    YM : Version pleine de sortilèges, reconstitution d’un idéal rêvé. En 1958, c’est du vrai travail de chef, pas encore du bidouillage au potentiomètre. Climat initial magnifique, digne des Parfums de la nuit. Attente angoissée, soyeux des cordes et rondeur enveloppante des cuivres. Vrai travail de sorcier des sons. Ramfis en carton-pâte chantant un peu bas. J’aime beaucoup Bergonzi, subtil, son petit vibrato chantant, sa morbidezza. Je regrette juste un certain manque de legato. Simionato est bien canalisée dans le trio, et Tebaldi laisse vite de côté ses stridences.

    TC : Autant Solti cherche à faire du spectaculaire, autant Karajan est hyper soigné et étire un ruban infini où l’on ne discerne plus sons réels et harmoniques tant les cordes sont divines. Je retiens surtout le côté conversation de cette nouvelle approche. Les chanteurs peuvent se permettre le murmure. Ramfis se coule dans cette optique et Bergonzi joue bien le jeu, avec une émission très fine. Cela rend service à la musique de Verdi, trop souvent noire ou blanche. Tebaldi, avec du moelleux inhabituel, est beaucoup mieux ici que chez Erede.




     
    Version Harnoncourt



    Matti Salminen (Ramfis)
    Vincenzo La Scola (Radamès)
    Olga Borodina (Amnéris)
    Cristina Gallardo-Domâs (Aïda)
    Wiener Philharmoniker (2001)



    MM : Ampleur de la réverbération du Musikverein de Vienne. On entend ici des choses inouïes. Consort de violes dans la scène de Ramfis. Dommage que les chanteurs ne soient pas à la hauteur. Salminen est sans doute l’un des plus mauvais Ramfis du disque. La Scola fait tout ce qui est écrit dans la partition, mais avec une voix laide et poussive, un vibrato de vétéran, un timbre qui se désagrège. Borodina joue les grandes orgues, et Gallardo-Domâs se noie dans le trémolo qui lui tient lieu de vibrato. Mais ces flûtes dans Celeste Aida, ce cor et ce basson dans le trio font qu’on aimerait en entendre plus malgré les voix.

    YM : Version décadente, déliquescente dans les motifs du début. Traitement plus ciselé, par petits morceaux, climax primitif qui écorche l’oreille. La voix de contrebasse de Salminen contribue à élever sa scène hors du temps. La Scola chante comme un crapaud écrasé, avec des voyelles tout éclatées et un vibrato en montagnes russes. Mais l’accompagnement est fabuleux, on devine le purgatoire avant le monde céleste. Borodina, pas italienne pour deux sous, est d’une opulence royale, presque indécente. Je n’en rajouterai pas sur Gallardo-Domâs, complètement à côté de la plaque.

    TC : C’est clairement une version d’orchestre, et plus encore une version de chef. Moins mélodique, plus énigmatique, Harnoncourt fait ressortir tout ce qu’il y a de bizarre dans la partition. Vents très en dehors, très belle réverbération. Beaucoup d’effets travaillés acoustiquement, rhétoriquement. Pour Ramfis, on avait tout à l’heure Boris Godounov, on a cette fois Gurnemanz. Je n’ai pas grand-chose à ajouter sur La Scola, assez affreux, mais qui s’essaie à des nuances, sans qu’on perde une miette de texte. Certaine intelligence du personnage chez Borodina, et Gallardo-Domâs vraiment tout écharpée.




     
    Version Muti



    NicolaĂŻ Ghiaurov (Ramfis)
    Plácido Domingo (Radamès)
    Fiorenza Cossotto (Amnéris)
    Montserrat Caballé (Aïda)
    New Philharmonia Orchestra (1974)



    MM : C’est beau, le Philharmonia de Walter Legge ! Matière un peu plus épaisse qu’avec les Wiener, compromis avec la tradition tout en recherchant le retour à la lettre. Tempo proche de Toscanini au début du prélude, discours qui avance. Après Harnoncourt, on n’entend plus tous les détails. Élan du chef chez Domingo, jeune, avec ce timbre tellement personnel. Beau Ramfis de Ghiaurov, tout de même moins ogresque que Christoff. Je ne suis pas fan de Cossotto, même si son timbre s’accorde avec celui de Domingo et Caballé, plus hispaniques, plus acides que les Italiens. Le tout avance à coups de cravache, sans grand souci du détail.

    YM : Version de compromis par excellence, entre très belle distribution, belle lecture d’orchestre et bonne direction, sans tenue exceptionnelle. Très bon tempo, orchestre un peu limité en couleurs, sans surprise ni travers. Le récitatif de Ramfis avance beaucoup. Belle étoffe royale et ligne de souffle de Ghiaurov. Domingo fait un bon usage des résonances nasales, avec souplesse et distinction, mais apparaît parfois au taquet. Trio mené tambour battant, sans luxe de détails. Caballé a une capacité d’allègement phénoménale, et Cossotto, avec son côté Simionato une tierce plus haut, s’en sort bien.

    TC : Tout est équilibré dans cette version. Il n’y a rien à jeter et on note le bon niveau de tous les chanteurs. Domingo est assez proche de l’idéal, avec de l’énergie, de la spontanéité, une belle voix italienne, de la musique, du théâtre. Direction équilibrée et efficace, propre mais pas toujours aussi détaillée et aussi dramatique que d’autres. En exagérant, on pourrait presque dire que c’est la version Maazel réussie !




     
    Version Mehta



    Bonaldo Giaiotti (Ramfis)
    Franco Corelli (Radamès)
    Grace Bumbry (Amnéris)
    Birgit Nilsson (AĂŻda)
    Orchestra dell Teatro dell’Opera di Roma (1966)



    MM : Et revoilà l’Orchestre de l’Opéra de Rome ! Après les Wiener et le New Philharmonia, c’est un peu un choc, même si la couleur est plutôt chaude et latine. Tout est brouillon, enthousiaste, Mehta fonce un peu dans le tas, avec efficacité. Corelli, héroïque, brillant et sombre à la fois, avec son cheveu sur la langue, est le seul avec Vickers qui donne l’impression d’avoir le vrai format de Radamès, avec même de la marge. Bumbry a ce caractère dédaigneux, comme pour dire qu’elle chantera un jour Aïda, elle la Vénus noire de Bayreuth. Je n’ai pas reconnu Nilsson, plutôt souple, malgré son côté machine à sons. Une version bouillonnante.

    YM : Plein de fougue juvénile, et un Opéra de Rome avec des timbres colorés et des cordes nettement mieux réglées. Pas d’ésotérisme chez Mehta, terrien et direct, un peu brut de décoffrage. Le récitatif avance à en perdre haleine. Corelli a enfin l’exact format de Radamès, une générosité immense, une voix qui ne l’est pas moins, avec une pétoire impressionnante dans l’aigu, et une magnifique messa di voce. Nilsson paraît toute fraîche, précise, avec une technique laser très germanique. Bumbry est proche de l’idéal, avec du grain du soutien, des intentions, des arrière-plans et une voix somptueuse.

    TC : Beaucoup de panache en effet. Trio avec de l’urgence dans la matière orchestrale. Vous n’avez pas parlé de Giaiotti, passe-partout mais très correct dans le genre. Corelli zézaie délicieusement, avec tout l’engagement, la voix et la réserve de puissance qu’on lui connaît, et se paie même le luxe d’éviter certaines respirations. Attaques et fins de sons un peu à fond les manettes, mais le personnage a quelque chose d’évident. Bumbry a un drôle de passage entre la voix de poitrine et la tête, mais la couleur, la matière sont belles. Nilsson est étonnante, moins métallique et raide que souvent.




     
    Version Levine



    Samuel Ramey (Ramfis)
    Plácido Domingo (Radamès)
    Dolora Zajick (Amnéris)
    Aprile Millo (AĂŻda)
    Metropolitan Opera Orchestra (1990)



    MM : On pourra dire tout ce qu’on veut de Levine, c’est un chef qui a un sacré sens de la pulsation, qui sait faire avancer les choses sans temps mort. De tous les Ramfis, pour ce qui est du timbre, c’est Ramey que je préfère, malgré une tendance à trop élargir le haut de la tessiture. On retrouve Domingo, avec des constantes, un timbre moins éclatant, des fins de phrase coupées abruptement, mais cela reste Domingo. La voix de Zajick n’était pas éclose à l’époque, et Aprile Millo, qui passait alors pour une réincarnation de Milanov, devait faire de l’effet sur scène, mais l'instrument, qui a une belle étoffe, part un peu dans tous les sens.

    YM : On sent beaucoup d’amour dans cette version, mais Levine donne tout tout de suite et n’en garde jamais sous la semelle. En revanche, ses portamenti sont indéfendables, tout comme son syndrome du moment crucial, cette manière de téléphoner les moments dramatiques. Ramey a une voix somptueuse mais reste solfégique. Dans le détail, Domingo est plus affecté, plus relâché que quinze ans auparavant. L’émission de Zajick bouge déjà beaucoup, et Millo a une de ces grosses voix qui donnent le mal de mer.

    TC : Il me semble que Levine a surtout une approche classique, traditionnelle, avec une vraie rupture prélude-opéra. On y gagne au prix des dégueulandi surlignés une atmosphère vraiment nocturne et ensommeillée. Je trouve le trio en revanche très lourd, avec des scansions pataudes, épaisses. Ramey a un côté administratif, c’est le fonctionnaire de l’État. La voix est très belle mais il ne colle pas le frisson. Domingo est plus mûr, un peu moins insolent, il commence à ne plus se donner à fond. Les deux dames sont vraiment moyennes, Aïda impossible, avec sa grosse voix antipathique, et Zajick casse déjà la tête.



    À l’issue de ce premier tour, quatre versions doivent être éliminées. Il est unanimement décidé de ne pas retenir Maazel, Levine et Erede. Solti bénéficie d’une deuxième chance eu égard à sa réputation mythique, même s’il n’a pas du tout emballé YM et TC.

    La situation est plus critique concernant la quatrième version à supprimer, l’élimination se jouant entre Serafin I, démodée mais possédant tout de même beaucoup de qualités, et Perlea, offrant un beau potentiel en le rôle-titre de Zinka Milanov, tout épouvantable qu’ait pu être son intervention dans le trio, qui reste décidément le pont aux ânes d’une majorité de versions.

    Pour les départager, un entre-deux-tours est pratiqué sur le seul Ritorna vincitor, dénotant la nette supériorité de la version Perlea, qui franchit donc ce premier palier et rejoint Serafin II, Toscanini, Karajan, Solti, Muti et Mehta à l’orée du deuxième tour. Quant à la version Harnoncourt, sa singularité lui vaut, au-delà de lourdes réserves sur Aïda et Radamès, d’être maintenue pour l’heure à l’unanimité pour son éclairage inédit sur la partition.

    Le deuxième tour s’effectuera sur la suite de l’acte I (Ritorna vincitor (RV)) ainsi que l’acte II (Duo Aïda-Amnéris, puis Marche triomphale (MT) et Ballet (B)).


     
    Yannick MILLON
    Mehdi MAHDAVI
    Thomas COUBRONNE



     

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