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SELECTION CD |
26 avril 2024 |
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Version Serafin II
Maria Callas (AĂŻda)
Richard Tucker (Radamès)
Fedora Barbieri (Amnéris)
Giuseppe Modesti (Ramfis)
Coro e Orchestra del Teatro alla Scala, Milano (1955)
MM : On ne sort pas de l’inertie orchestrale. Le tempo tire vers le lent sans beaucoup de relief. Barbieri s’en sort dès que ça n’est pas trop haut. Il y a du tempérament, mais est-ce celui d’une princesse égyptienne ? Une bohémienne qui jette ses gamins au feu, peut-être, une Quickly, certainement, mais Amnéris demande une autre noblesse. Notre Ramfis est un peu plus réveillé que le matin. Les chœurs sont désordonnés, J n’offre pas de quoi se rouler par terre. Dans le duo, Callas est toujours ce modèle de phrasé, d’incarnation, de renoncement à la vie, mais il y a comme un effet de loupe sur ses défauts vocaux. Tucker est un peu anonyme, moins probant dans la mi-voix que dans l’héroïsme.
YM : Je continue à trouver l’orchestre négligent, neutre, et J manque vraiment de relief. Rien d’implacable, qui montre l’irréversible de la sentence. Barbieri est assez moyenne dans le duo, pas passionnante finalement, sans vraie étoffe du timbre, et écrase les sons à la scène finale, avec un sanglot rentré pas joli. Modesti semble bloqué sur la voyelle « o » jusqu’à la fin des temps. C’est lui qu’on devrait emmurer ! Callas sait être éloquente sur le moindre petit bout de récitatif. Avec sa voix large, elle se tire admirablement du duo avec Tucker, même si le chef autorise des tenues trop complaisantes.
TC : Serafin s’avère conforme à ce que j’avais ressenti au deuxième tour. Callas, c’est la tragédienne, le personnage brisé, son chant cherche à consumer chaque parcelle de vivant au moment de mourir, et donne le frisson. L’orchestre est sans intérêt, mais Tucker est intéressant et s’harmonise bien avec sa partenaire. Je n’ai rien de plus à ajouter sur Barbieri ni sur Modesti tant la grande Maria focalise mon attention dans ce dernier tour.
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Version Toscanini
Herva Nelli (AĂŻda)
Richard Tucker (Radamès)
Eva Gustavson (Amnéris)
Norman Scott (Ramfis)
Robert Shaw Chorale
NBC Symphony Orchestra (1949)
MM : Je suis plus sensible à la Toscanini touch au IV, à cette leçon de direction d’orchestre. Cela presse moins, c’est moins corseté. Après, Mme Gustavson, c’est un peu le naufrage annoncé, on attend que ça passe. J’ai été surpris par un certain relief chez Scott, voué aux gémonies au premier tour. Le duo final me laisse en revanche un peu sur ma faim. Nelli ne retrouve pas ce qui faisait vraiment le prix de son air du Nil, avec toutes les réserves que j’avais pourtant émises. Et ce n’est pas ici que Tucker est le plus probant. Mais je garde globalement de bons souvenirs de ses deux prestations, qui dans le fond se valent.
YM : Voilà une vraie scène de Jugement, implacable, vaillante, aux cuivres crus, comme une sentence de mort lapidaire. Dans le duo, Toscanini est beaucoup plus souple qu’on pourrait l’imaginer, avec toujours un tempo qui avance, mais aussi un rubato très subtil et une attention à garder la pulsation qui répond bien à l’inéluctable de la situation. De bout en bout, l’exactitude de cette version, cette rigueur, cette absence de concession à la facilité me laissent une impression d’absolue cohérence. Le couple Nelli-Tucker fonctionne très bien. Elle allège beaucoup, et leurs phrasés sont calibrés à la perfection.
TC : Gustavson fait vraiment quelque chose d’admirable, à la fin, elle a « la voix brisée par les larmes » indiquée par la partition…, et c’est sans doute la seule qui le fait sentir à ce point. Nelli est peut-être pour moi la meilleure Aïda avec Callas. Sa pureté séraphique n’est pas loin d’une Senta, de la mort de Marguerite, de l’héroïne romantique virginale qui monte au ciel. Avec Tucker, cela fonctionne très bien, et on perçoit nettement à quel point ces deux-là s’écoutent et réagissent à l’unisson. C’est beau, un couple qui meurt vraiment à deux ! Chez Toscanini, les scansions de timbales sentent Wagner dans J, qui prend à la gorge.
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Version Karajan
Renata Tebaldi (AĂŻda)
Carlo Bergonzi (Radamès)
Giulietta Simionato (Amnéris)
Arnold van Mill (Ramfis)
Singverein der Gesellscheft der Musikfreunde
Wiener Philharmoniker (1959)
MM : J réussit bien à Karajan. Il y a ici une vraie grandeur hiératique de cérémonie sacrificielle. Beau travail sur le chœur qu’on n’attend pas forcément dans ces années-là dans un opéra. On ne reprochera plus à Bergonzi de manquer de métal face à Amnéris car le personnage est défait, il va à la mort résigné. Simionato reste à des années lumière devant Barbieri, certes obligée de poitriner, mais avec une vraie noblesse en dépit de quelques sons trop ouverts en bas. La scène finale est suspendue, hors du temps, déjà dans l’au-delà . Tebaldi a soudain des ressources d’aigu piano étonnantes et Bergonzi est magique dans ses œuvres.
YM : Ils savent mourir, ces Italiens ! Karajan réussit tant les passages dramatiques que séraphiques. Le premier duo est chanté jusqu’à la dernière goutte, avec un bon poids dans l’orchestre, sans outrance, puis un chœur digne du Graal, comme venu d’une planète pas encore découverte. Sentiment de désolation absolue sur la rentrée des contrebasses. Simionato a un aigu impérial, mais un grave sans doute trop ouvert. L’orchestre est un jardin des délices au duo final, harmoniques de cordes, pizz ineffables et célestes, et nos deux chanteurs se balancent comme en apesanteur, à mi-voix. C’est vraiment magnifique.
TC : Mes réserves sur l’incarnation de Tebaldi fondent devant ce chant conçu comme une alternative à l’art de la scène, avec une magie purement musicale. Dans le genre, c’est très réussi et cela fonctionne jusqu’à la dernière note. J’aime Simionato jusqu’au bout, très classe, incendiaire. J étonnamment bien chanté par le chœur vu la date. Van Mill est faux et la voix bouge beaucoup, ce qui est dommage face aux chœurs très léchés. Le dernier duo est très touchant, raffiné, il prend son temps, c’est déjà un peu un autre monde.
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Version Harnoncourt
Cristina Gallardo-Domâs (Aïda)
Vincenzo La Scola (Radamès)
Olga Borodina (Amnéris)
Matti Salminen (Ramfis)
Arnold Schoenberg Chor
Wiener Philharmoniker (2001)
MM : J va encore plus loin que Karajan dans le hiératique et finit par se figer mais le travail sur les timbres, sur les entrelacs est tellement fascinant qu’on ne s’ennuie pas un seul instant. Salminen arrive comme un cheveu sur la soupe et n’a pas grand-chose à faire en basse verdienne. Borodina a une étoffe somptueuse, d’une homogénéité incroyable, mais fait-elle un vrai personnage ? La Scola est à nouveau en dessous de tout, même s’il s’essaie à des nuances. Je suis là encore très touché par Gallardo-Domâs, dont le grelot tire ici vers le frémissement. Cette version tient un rang inimaginable au départ.
YM : Je suis heureux que Harnoncourt se retrouve au dernier tour. Il tire constamment la partition vers la modernité et un travail plus en strates, plus acoustique. Les harmoniques de cordes à la fin sonnent comme du glassharmonika. Après, Verdi n’a sans doute pas pensé à tout cela en écrivant Aïda, mais c’est là le génie de l’interprète. J assez lent très sombre, où Salminen semble lire les Tables de la Loi. C’est paradoxalement l’un des seuls dont j’ai envie d’écouter les sentences bien qu'il soit à bout. Borodina joue les princesses hautaines et outragées, avec une homogénéité toute slave. Je ne suis évidemment pas convaincu par Gallardo-Domâs, pour ne rien dire de La Scola, mais l’intérêt du disque est ailleurs.
TC : Je salue le travail rhétorique et acoustique de Harnoncourt. Les jolis sons de Gallardo-Domâs ressemblent aux sons ratés de Callas, avec le même effort d’intensité, d’expressivité, d’où un vibrato parfois écharpé. Mais c’est à son honneur. Suis moins emballé par Borodina, un peu inhumaine et monolithique. Je ne crains pas Salminen, qui est le seul à ne pas répéter ses trois « Radamès ! » de la même manière bête, et puis cela tire Verdi loin du Nil et des pizzerias, pour se rapprocher de Parsifal, y compris dans les chœurs, dont la masse et les silences ouvrent vers des horizons plus wagnériens. Cela n’a aucune justification historique ou musicologique, mais le plaisir personnel, cela peut compter aussi.
Sur l’ensemble de la confrontation, il apparaît que c’est bien Karajan qui se propulse à l’unanimité au faîte de notre discographie comparée, suivi d’un autre Coup de cœur pour Serafin II, ou plus exactement pour sa troupe de chanteurs où règne impérial le rôle-titre musicalement insurpassable de Maria Callas. Suivent Toscanini et Harnoncourt juste derrière, visions de chefs servies par des distributions moins luxueuses, chez Harnoncourt tout particulièrement.
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| Yannick MILLON Mehdi MAHDAVI Thomas COUBRONNE
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