Mozart - Requiem - Karl Böhm
Friedrich Hölderlin (1770-1843)
Ode an die Menscheit
Raoul Aslan, récitant
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Requiem, KV 626
Irmgard Seefried, soprano
Hildegard Rössl-Majdan, alto
Anton Dermota, ténor
Gottlob Frick, basse
Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Karl Böhm
Enregistrement live : Opéra de Vienne, 20/11/1955
CD Orfeo d’Or Wiener Staatsoper Live C670051B
Événement aussi mémorable que le redémarrage de Bayreuth en 1951, la réouverture de l’Opéra de Vienne à l’automne 1955 fut rien moins que le témoin de la renaissance de l’Autriche au rang des nations civilisées après les années terribles du nazisme et une décennie de pénible reconstruction identitaire. Le legs lyrique de ce jalon de l’histoire de la plus célèbre institution viennoise a été largement réédité.
Le Fidelio inaugural, incandescent, jubilatoire sortie des ténèbres, avec une Martha Mödl et un Karl Böhm en transe, délivrant l’une un Abscheulicher immense, l'autre une ouverture Leonore III d’une électricité folle, est déjà disponible chez le même label Orfeo, dans un son qui est le jour et la nuit avec les précédentes éditions pirates. Toujours chez l’éditeur noir et rouge, la Femme sans ombre de Böhm est du même jaillissement continu, pierre blanche de la discographie de l’œuvre, avec une frénésie de l’instant qu’ignore l’extraordinaire gravure studio Decca parallèle.
Les deux autres apparitions de Böhm pour l’un des Don Giovanni les plus tendus et hallucinés du disque (malheureusement en allemand) et avec une distribution royale (CD RCA supprimé, réédité dans le même son idéal par Myto) et l’un des Wozzeck les plus noirs que l’on connaisse (CD Andante, supprimé) ont été également documentés. De même que les Meistersinger assez moyens de Fritz Reiner (Orfeo) et le Rosenkavalier de superbe routine, magnifiquement chanté, de Hans Knappertsbusch (RCA, supprimé). Seule l’Aïda de Rafael Kubelik n’a eu droit qu’à une édition partielle dans le coffret anniversaire Orfeo, parsemé d’extraits de chaque production.
Les deux importants concerts donnés à la marge des productions lyriques sont aujourd’hui publiés, ou plus exactement réédités sous un habillage quelque peu différent de leur première publication il y a dix ans, déjà chez Orfeo, et sonnent comme une manière de tourner la page d’un passé douloureux pour le Requiem de Mozart, et comme un avenir à construire de toutes pièces pour la Neuvième de Beethoven.
Le Requiem, qu’on croyait longtemps perdu, et sur lequel des spécialistes ont réussi à remettre la main en 2005, est précédé d’une lecture de l’Ode à l’humanité de Hölderlin par l’un des piliers du Burgtheater, Raoul Aslan, dont la déclamation comporte en filigrane une forme de colère, de frustration que l’Autriche ait eu à subir son lot d’horreurs, par delà les mots si évocateurs du poète romantique.
Quant au Mozart, stylistiquement daté, avec ses effectifs énormes et son approche pesante, façon monument brucknérien, il reste pourtant la plus intense incarnation du dernier chef-d’œuvre du compositeur par Karl Böhm, prodigue en la matière (enregistrement Philips années 1950, DG années 1970, vidéo DG). L’affliction terrible du début de l’Introït, la première entrée des basses, d’une noirceur à susciter l’effroi, le tempo délirant d’un Dies irae poussant l’orchestre dans ses derniers retranchements, tout concourt à faire de cette exécution un hommage désespéré aux victimes de la guerre.
Avec là encore en filigrane, vu l’extrême tension de l’ultime Quia pius es, une interrogation, une forme de doute sur la foi typique des moments les plus cruels de l’Histoire. Les chœurs, lyriques et datés comme on peut l’imaginer, abattent toutes les résistances par leur engagement, leur ferveur, la puissance de leur message, dans une esthétique sonore passéiste, les nerfs toujours à vif.
Le quatuor de solistes est dominé par une Irmgard Seefried entre sourire et larmes, bouleversante de piété, face à la basse en rien monumentale, fragile même, rarement aussi touchante, de Gottlob Frick, que complètent une Hilde(gard) Rössl-Majdan et un Anton Dermota authentiquement viennois. Une expérience qui ne s’oublie pas, symbole d’un monde du passé pas si facile à rejeter d’un bloc.
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