|
|
SELECTION CD |
29 mars 2024 |
|
Opéras sur le vif à Salzbourg 2018 |
L’Italienne à Alger
Gioacchino Rossini (1792-1868)
L’Italianna in Algeri
Cecilia Bartoli (Isabella), Ildar Abrazakov (Mustafà ), Edgardo Rocha (Lindoro), Alessandro Corbelli (Taddeo), José Coca Loza (Haly), Rebeca Olvera (Elvira), Rosa Bove (Zulma)
Philharmonia Chor Wien
Ensemble Matheus
direction : Jean-Christophe Spinosi
mise en scène : Patrice Caurier & Moshe Leiser
décors : Christian Fenouillat
costumes : Agostino Cavalca
Ă©clairages : Christophe Forey
vidéo : Étienne Guiol
préparation des chœurs : Walter Zeh
captation : Tiziano Mancini
Enregistrement : Salzbourg, Haus fĂĽr Mozart, 2018
2 DVD (ou 1 Blu-ray) C Major Unitel Edition 801808
Depuis que sa direction a été confiée à Cecilia Bartoli, le Festival de Pentecôte de Salzbourg propose chaque été en août une reprise de sa production lyrique annuelle. Après divers Haendel, West Side Story et Cenerentola, c’était en 2018 le tour de L’Italienne à Alger, dans une Haus für Mozart archicomble.
Avec leur habituel sens du théâtre, les compères Patrice Caurier et Moshe Leiser campent l’opera-buffa dans l’Algérie contemporaine des façades d’immeubles à paraboles, des malfrats petites frappes, des conducteurs au sang chaud, des fans de foot dans les bars à chicha, avec un Mustafà à l’abdomen de Falstaff, voyeur pas vraiment sûr de sa virilité, un Lindoro à dreadlocks fumeur de pétards, et une Elvira rêvant sa vie sexuelle avec son bey de mari à travers deux désopilants dromadaires qui roucoulent en ombres chinoises.
Distribution brillante il va sans dire, mais où, péché véniel, l’agilité est souvent sacrifiée sur l’autel de la largeur des voix (Mustafà fort en gueule d’Ildar Abrazakov, l’un des grands Boris Godounov du moment, Lindoro plus athlétique que souple d’Edgardo Rocha), sauf chez les piliers rossiniens que demeurent l’Isabella corsée, pétulante et à la vocalise diabolique de Bartoli et le Taddeo indémodable et si authentiquement transalpin d’Alessandro Corbelli.
Plus que le naturel ou la continuité, Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus cherchent à organiser une série de coups théâtraux, d’explosions coloristes et de focus instrumentaux dans des atours décapants, grinçant par moments à qui mieux mieux. Sans parvenir à instaurer une véritable stabilité rythmique, ils réussissent quelques instantanés saisissants, et même à dérider le public de Salzbourg dans un chœur final bissé à l’issue des saluts.
| |
|
La Dame de Pique
Piotr Illitch TchaĂŻkovski (1840-1893)
La Dame de pique
Brandon Jovanovich (Hermann), Evgenia Muraveva (Lisa), Vladislav Sulimski (Tomski), Igor Golovatenko (Eletski), Hanna Schwarz (La Comtesse), Oksana Volklova (Pauline)
Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Mariss Jansons
mise en scène : Hans Neuenfels
décors : Christian Schmidt
costumes : Reinhard von der Thannen
Ă©clairages : Stefan Bolliger
vidéo : Nicolas Humbert & Martin Otter
préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger & Wolfgang Götz
captation : Tiziano Mancini
Enregistrement : Salzbourg, GroĂźes Festspielhaus, 2018
2 DVD (ou 1 Blu-ray) C Major Unitel Edition 801408
La captation modifie parfois substantiellement l’impact d’un spectacle. C’est le cas ici, et en positif, tant la mise en scène de Hans Neuenfels, dont on perçoit au mieux les subtilités de la direction d’acteurs, gagne aux gros plans qui occultent l’écrasement d’un dispositif scénique suffocant de noirceur en salle, où la lumière des extérieurs de Saint-Pétersbourg semblait ne jamais vouloir pénétrer pendant les trois heures de représentation.
En outre, cette société russe belliqueuse, où la foule adule sans discernement une Grande Catherine en icône squelettique, où les femmes sont cantonnées au rôle de poules pondeuses de futurs petits soldats clonés, où Lisa étouffe de se voir déjà en femme au foyer, n’hésite pas à gratter derrière le vernis de la dramaturgie, en abordant notamment les derniers feux d’une Comtesse dont la libido tout sauf moribonde est dévoilée dans une chambre d’hôpital blanchâtre.
Autre sujet de réjouissance, même si la synchronisation demeure largement défaillante avec les chœurs, Mariss Jansons apparaît moins au bout du rouleau dans cette première représentation que pendant celle à laquelle nous avions assisté en fin de festival. Le trait souvent trop épais, le geste éminemment symphonique, trop peu dramatique dans les scènes de foule (mais admirable dans la pastorale mozartienne ou les têtes-à -têtes), le chef letton faisait chanter des Wiener Philharmoniker crépusculaires à souhait.
Très belle distribution pour parachever l’ensemble, avec un couple Hermann-Lisa engagé et ardent (Brandon Jovanovich sans lourdeur inutile, Evgenia Muraveva tranchante et tragique), une Hanna Schwarz largement septuagénaire en Comtesse aristo jusqu’au bout des ongles, un Eletski d’Igor Golovatenko châtié et idiomatique. Seul le Tomski encombré de Vladislav Sulimski et la Pauline instable d’Oksana Volkova restent en retrait.
| |
|
Salomé
Richard Strauss (1864-1949)
Salome
John Daszak (Hérode), Anna Maria Chiuri (Hérodiade), Asmik Grigorian (Salomé), Gábor Bretz (Iokanaan), Julian Prégardien (Narraboth), Avery Amereau (Page d’Hérodiade)
Wiener Philharmoniker
direction : Franz Welser-Möst
mise en scène, décors & costumes : Romeo Castellucci
captation : Henning Kasten
Enregistrement : Salzbourg, Manège des rochers, 2018
DVD (ou Blu-ray) C Major Unitel Edition 801608
Moment fort de l’été 2018, la nouvelle Salomé de Salzbourg, de retour à l’affiche après vingt-cinq ans d’absence, valait avant tout pour son admirable distribution, et tout particulièrement pour la prise du rôle-titre inouïe d’Asmik Grigorian, soprano lituanienne de 37 ans, qui imposait une vocalité incandescente en Princesse de Judée triomphant à la fois en termes techniques (ce souffle parfait, cette stabilité absolue de l’émission, cette beauté juvénile du timbre, dardé avec une pétoire insolente, ces aigus volcaniques) et musicaux (l’intelligence des nuances, du piano jamais détimbré jusqu’à une pleine voix irradiante de lumière et de métal).
Autour d’elle, l’Hérode extrêmement chanté et éclatant mais sans le moindre histrionisme de John Daszak, et le Iokanaan mordant et cuivré de Gábor Bretz, qui sait user d’un très beau legato pour parfaire une magnifique incarnation. Si l’on oublie vite l’Hérodiade chaotique d’Anna Maria Chiuri, Julian Prégardien, digne fils de son père en plus large, insuffle quelques belles bouffées de lyrisme au jeune Narraboth.
Quel dommage que ce beau monde ne soit pas transcendé par la battue de Franz Welser-Möst, confit dans une espèce d’hédonisme mou, la narration orchestrale aux lignes intermédiaires indistinctes, manquant de cette lame de fond, de ces angles et de ce sens du tragique des grands anciens, de Böhm à Karajan ! Heureusement, les Wiener sont en fosse, glorieux sinon toujours limpides dans ces poses laissant trop peu de place au théâtre.
D’autant que la scène est confiée à Romeo Castellucci, plus attaché à une esthétique hautement symbolique et volontiers indéchiffrable (aucun bonus ne viendra éclairer le message aussi fascinant qu’abscons de l’Italien) qu’à un vrai travail basé sur les personnages, sans toutefois délaisser la direction d’acteurs, tout entière centrée sur le rôle-titre dans ce spectacle aux images très fortes, qui marquent la rétine à la manière de l’éclipse accompagnant le prophète Jean-Baptiste.
| |
|
La Flûte enchantée
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Die Zauberflöte
Matthias Goerne (Sarastro), Mauro Peter (Tamino), Albina Shagimuratova (Reine de la nuit), Christiane Karg (Pamina), Ilse Eerens (Première Dame), Paula Murrihy (Deuxième Dame), Geneviève King (Troisième), Adam Plachetka (Papageno), Maria Nazarova (Papagena), Michael Porter (Monostatos), Tareq Nazmi (Orateur), Klaus Maria Brandauer (Grand-Père)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Constantinos Carydis
mise en scène : Lydia Steier
décors : Katharina Schlipf
costumes : Ursula Kudrna
Ă©clairages : Olaf Freese
vidéos : fettFilm
préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger
captation : Michael Beyer
Enregistrement : Salzbourg, GroĂźes Festspielhaus, 2018
2 DVD (ou 1 Blu-ray) C Major Unitel 749804
Dernière nouvelle production de l’été 2018, La Flûte enchantée selon l’Américaine Lydia Steier apparaissait comme la cerise sur le gâteau d’une excellente édition de Salzbourg. Un spectacle intelligent, transposant l’action à Vienne à la veille de la Grande Guerre sans la dénaturer, en parvenant toujours à se rattacher aux thématiques certes très riches du livret.
Axé sur trois épatants et omniprésents Knaben – en outre magnifiquement chantants –, le spectacle tourne autour de la vie d’un appartement bourgeois de la Ringstraße où un grand père (le tendre Klaus Maria Brandauer, remplaçant Bruno Ganz forfait pour traiter le cancer qui devait l’emporter en quelques mois) fait office de narrateur contant à ses petits-fils l’histoire de Tamino et Pamina, dans un univers mêlant cirque et atmosphère visuelle du comic début de siècle Little Nemo in Slumberland.
Dans ce Monde d’hier de 1913, les épreuves seront naturellement celles des tranchées pour le jeune prince, d’une innocence perdue à jamais, laissant au tomber de rideau, après une scène cruelle et un climat de plus en sombre le semblant d’illusion que tout cela n’était peut-être qu’un mauvais rêve. Merveille de spectacle, assez passablement servie par la partie musicale.
La direction, rêche en salle, délavant les couleurs d’un Philharmonique de Vienne peu à l’aise avec la relecture imposée par le jeune chef grec Constantinos Carydis, est vraiment flattée par la prise de son, qui en arrondit les angles. La distribution, en revanche, est aussi décevante qu’en direct au vu des standards du plus réputé des festivals lyriques.
Seuls convainquent vraiment le Papageno typiquement autrichien d’Adam Plachetka, la Papagena de Maria Nazarova, le Sprecher de Tareq Nazmi et le Monostatos de Michael Porter. Le Tamino de Mauro Peter s’avère vite extrêmement gris, la Pamina de Christiane Karg souvent grêle et la Reine de la nuit d’Albina Shagimuratova plutôt glissante, face au Sarastro à contre-emploi (le grave) de Matthias Goerne. Mais il faut absolument découvrir en famille ce spectacle qui mérite une étoile supplémentaire.
| |
| Yannick MILLON
Opéras sur le vif à Salzbourg 2018Coffrets Warner Classics [ Toutes les parutions ] | |
|