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SELECTION CD 28 mars 2024

Dans la peau d'un castrat



Se glisser dans la peau d'un castrat, voilà un défi aussi extravagant que potentiellement douloureux, c'est pourtant l'expérience qu'a tentée Luc Leruth ; mais sans autre opération que celle de l'encre sur une page blanche. Un premier roman captivant qui relate la vie du dernier des castrats.


Le 30/07/2001
Françoise MALETTRA
 

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     Dans la peau d'un castrat

    La quatrième note
    Roman de Luc Leruth
    Editions Gallimard (235 pages, 98,07 FF)


    Luc Leruth est belge, mathématicien de son état, et La quatrième note est son premier roman. Un roman où, à tout moment, on s'attend à ce que la fiction rejoigne la réalité, même si le doute est habilement entretenu jusqu'à la dernière page. Mais n'anticipons pas.

    L'histoire commence par la découverte il y a quelques années d'un mystérieux colis, échoué chez un bouquiniste lyonnais, et adressé à une dame tout aussi mystérieuse, dont l'identité ne sera dévoilée que plus tard. À l'intérieur : un graphophone, vingt-cinq cylindres soigneusement étiquetés (1), et un carton rempli de feuillets en italien dont la signature révèle la nature du trésor.

    Leur auteur était bien Alessandro Moreschi (1857-1922), le dernier castrat du monde occidental, dit " L'angelo di Roma ", qui léguait le récit sa vie, les derniers échos de sa voix, et ce qu'il restait de son grand oeuvre : les notes préparatoires à la rédaction d'une vaste épopée couvrant quatre siècles de soumission des castrats à l'Eglise (on apprendra que le manuscrit avait été dérobé par un rival et néanmoins ami, un certain Sebastiano, auquel il finira par pardonner).

    Et les cylindres vont parler, en courts chapitres, chacun respectant scrupuleusement la durée de l ‘enregistrement. Mais qui parle ? Moreschi, ou un Luc Leruth armé, avouons-le, d'une solide documentation, d'une imagination à toute épreuve, et qui va se glisser dans la peau de son héros au point de s'y confondre.

    Ce qui semble avéré, en revanche, c'est l'authenticité des notes de Moreschi échappées au voleur et insérées dans " l'autobiographie " comme autant d'arrêt sur l'image, où apparaissent les hautes figures des castrats des siècles d'or, les Caffarelli, les Velluti, les Farinelli, la souveraineté de l'Eglise décidant l'abolition de la présence des femmes en son sein (on les accusait d'avoir partie liée avec le diable), désignant Palestrina à l'épuration des chants sacrés, régissant par ordonnances sans appel le statut des castrats, et dont un de ses ministres, le Pape Léon XIII, signera en 1902 leur bannissement des lieux saints.

     
    L'ange de Rome


    Et " l'ange de Rome " se raconte, s'écoute, se ré-écoute, revient avec un grand luxe de détails sur les épisodes majeurs de son existence : son émasculation sauvage, à l'âge de dix ans, consentie par un père auquel un émissaire du Vatican avait fait envisager l'avenir prometteur (et lucratif !) de l'enfant, les années d'apprentissage de l'adolescent sous la discipline de fer de l'illustre Capocci.

    Chanteur que s'arrachent les salons de l'aristocratie romaine, il doit négocier comme il le peut avec une sexualité confisquée. Enfin, admis à la prestigieuse Chapelle Sixtine (il deviendra chef des choeurs), il n'est pas à l'abri de la rivalité avec son célèbre semblable Domenico Mustafa.

    Il faut également compter avec les persécutions du puissant Don Lorenzo Perosi, le réformateur de la Chapelle qui avait juré la perte des castrats, et puis, l'arrivée des frères Gaisberg, " ces messieurs d'Amérique ", avec leur fabuleuse machine immortaliser la voix de Caruso
    et la sienne, jusqu'à cette année 1908, où il se résigne à tirer discrètement sa révérence, " honteux d'une condition dont il n'était pas responsable, mais dont la société n'avait plus que faire. "

     
    Une larme dans chaque note


    Musicien exigeant, Moreschi relève de son temps " les fautes de goût épouvantables " dans l'interprétation de Monteverdi (en particulier dans l'ornementation du Lamento de la Ninfa), réussit à travailler sur le manuscrit original du Miserere d'Allegri, jalousement conservé dans les archives secrètes du Vatican, et livre enfin (il faut attendre la page 161 !) l'énigme de cette quatrième note, longtemps l'apanage du seul Domenico Mustafa.

    " On l'entonne à la suite d'une note principale longue. Subitement, on a l'impression que répond à la note principale une autre note, beaucoup plus éthérée, comme émise par un autre chanteur qu'on ne verrait pas. La technique relève du ventriloquisme, et la note vient donc de l'estomac, puisque produite par aucune des trois cordes vocales que nous avons cru longtemps posséder. "

    Ajoutons que c'est la vanité qui avait poussé Mustafa à transmettre son secret à la française Emma Calvé (laquelle en fera d'ailleurs largement usage), contrairement à la tradition qui voulait que seul un castrat puisse en être détenteur. Ce sera l'ultime blessure d'Alessandro Moreschi. En 1922, oublié, effacé de toute vie publique, s'éteignait " le chanteur qui avait une larme dans chaque note. " Reconnaissons que sa vie méritait bien qu'on en fît un roman.


    (1) Les cylindres ont été évidemment été repiqués en CD, l'éditeur est Pearl OPAL (référence : CD 9823 ). Cliquer ici pour écouter des extraits de ce document sonore inestimable.



     

     

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