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SELECTION CD 24 avril 2024

Strauss sans ombres



Critique musical au Sunday Telegraph, auteur d'ouvrages sur Mahler, Britten et Elgar, collaborateur à l'Oxford Dictionary of Music, Michael Kennedy a publié une biographie fervente de Richard Strauss qui ne néglige pourtant pas l'épineuse question des relations du compositeur avec le régime d'Hitler. Elle vient d'être traduite.


Le 06/08/2001
Françoise MALETTRA
 

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     Strauss sans ombres

    Richard Strauss par Michael Kennedy
    Editions Fayard, 616 pages, 180,40 FF.

    D'entrée de jeu, Michael Kennedy avertit le lecteur qu'il est un admirateur inconditionnel de Richard Strauss. Même s'il admet " l'aversion, voire la franche hostilité que son oeuvre inspire à certains ", il annonce qu'il ne fera pas perdre son temps au lecteur en croisant le fer inutilement : " c'est à ceux qui n'aiment pas la musique de Strauss d'écrire un livre pour se justifier ". C'est clair !

    Second avertissement : il ne faut pas s'attendre non plus à une analyse systématique et subtile de l'oeuvre. Kennedy n'entend pas grossir la littérature spécialisée, excellente, suffisamment abondante, et à la portée de tous. Ce qui l'intéresse, c'est l'homme, sa vie, son parcours, ses rapports conflictuels avec son temps, ses contradictions et ses zones d'ombre (en particulier, les relations entre le musicien et le Troisième Reich, selon lui mal explorées et trop souvent dans un esprit partisan).

    En cela, son livre est bien la première biographie raisonnée du compositeur du Chevalier à la rose, qu'il suit pas à pas et sans complaisance. On voit bien, par exemple, comment le jeune homme exubérant et extraverti des années munichoises, va se transformer insensiblement en un homme froid et distant, ignorant avec hauteur les avancées musicales de son époque, après avoir été célébré comme l'apôtre du modernisme, de Don Juan jusqu'à Elektra, et avant d'être stigmatisé comme un conservateur désespérément accroché à la tonalité, ou pire, comme " un volcan éteint ".

     
    Appel à témoin


    Pour clore le débat, Kennedy lance un appel à témoin, et c'est Glenn Gould qui répond le premier : " Richard Strauss est une de ces rares figures intenses qui défient tout le processus de l'évolution de la musique ". Donc, l'homme est : l'allemand, militant farouche de l'art et de la culture de son pays, le bourgeois, profondément attaché aux valeurs familiales, et le musicien habité par l'objectif majeur de " rendre l'art possible, puisqu'il est la seule réalité de la vie ".

    Des relations complexes et parfois tendues avec son librettiste Hugo von Hoffmannsthal, Kennedy retient le face à face de deux tempéraments fondamentalement opposés. Hoffmannsthal est lunatique, suffisant et solitaire alors que Strauss est égocentrique et pragmatique : deux hommes qui pourtant se reconnaîtront " nés l'un pour l'autre " et feront triompher Le Chevalier à la rose sur toutes les scènes du monde et réinventeront à leur manière la commedia dell'arte avec Ariane à Naxos.

    Avec le dossier des années noires (1933-1949), on touche la partie la plus sensible du livre, la plus argumentée, avec nombre de pièces à conviction souvent inédites, sur l'attitude de Strauss lors de l'arrivée des nazis au pouvoir, de l'homme qui n'avait jamais admis la défaite de la première guerre mondiale, et qui écrivait en 1918 : " Je tiens toujours la tête droite, convaincu que l'Allemagne est trop solide pour sombrer dans un déclin aussi complet ".

    Des faits, rien que des faits. 1933 : il a soixante-neuf ans, il dirige l'Opéra de Vienne où sa politique musicale sera très vite contestée (Berg, Stravinsky, Janacek n'y auront pas droit de cité), comme seront reprochées au chef, qui n'a pas renoncé à sa carrière internationale, ses absences réitérées, son " goût pour le tourisme ", et son peu d'empressement à s'occuper de l'institution qu'on lui a confiée.

     
    Entre Hitler et Zweig


    Hitler, lui, a remporté les élections, plébiscité par des millions de jeunes, vomi par d'autres qui espèrent que le cauchemar sera sans lendemain. Accusé d'antisémitisme après " l'affaire Bruno Walter " (il avait accepté de remplacer au pied levé le chef jugé indésirable), il ne prendra pas la peine de se défendre. Il le fera plus tard, trop tard. Mais il commande au juif Stefan Zweig l'adaptation de la comédie de Ben Jonson " La femme silencieuse ".

    Pas un instant il n'a pensé à quitter son pays pour marquer son opposition au régime. " Voulez-vous savoir pourquoi ", déclare Otto Klemperer ? " Parce que l'Allemagne possède 56 opéras et l'Amérique seulement 2 ! ". Il s'en expliquera plus tard, encore trop tard. Pire, il accepte de diriger à Bayreuth (" Wagner est un Dieu, et Bayreuth une terre sainte ").

    Hitler qui l'idolâtre et entend faire de lui la caution morale du régime, le nomme Président de la Chambre de Musique du Reich. Strauss accepte " au nom de la corporation musicale allemande, devant la perspective d'une intimité retrouvée entre le peuple et la musique, telle qu'elle existait au seizième siècle. " Le piège va se refermer. La gestapo intercepte une lettre du musicien adressée à Zweig, dans laquelle il assurait l'écrivain de son indéfectible estime et lui demandait de continuer de collaborer avec lui, mais " en secret ".

     
    La disgrâce et l'exil


    Immédiatement après sa création, La femme silencieuse sera frappée d'interdit. Zweig s'exilera au Brésil, où il se suicidera quelque temps après. On " suggère " au compositeur de démissionner de son poste de président de la Chambre de musique, ce qu'il fait sur le champ. C'est le temps de la disgrâce qui s'annonce. Le vieil homme demande une entrevue à Hitler pour élucider les termes de la lettre : " elle n'exprimait, ni le fond de ma pensée, ni ma conception du monde ". Hitler ne répondra pas.

    Strauss se remet au travail : Daphné, L'Amour de Danaë, Capriccio. Mais la guerre est perdue. Goebbels a fermé tous les théâtres d'opéra. Hitler se suicide le 30 avril l945. À Garmisch où il s'est réfugié pour achever ses Metamorphoses, le musicien reçoit la visite d'un officier américain, venu demander des comptes. " Je suis Richard Strauss ! ".

    L'officier s'incline. Le jour de ses 80 ans, on lui adresse le procès-verbal le concernant au titre de la dénazification. Il plaide en sa faveur. Le compositeur meurt le 8 septembre 1949. Le 22 mai 1950, Kirsten Flagstad crée les Quatre derniers Lieder à l'Albert Hall de Londres.

    Libéré du strict travail du biographe, Michael Kennedy reprend alors l'éloge interrompu au début du livre, et prononce une vibrante plaidoirie : " Est-il inconvenant de reprocher à un musicien de ne pas s'être conduit en héros politique ? Alors même que régnait le mal absolu, il a permis à la lumière de l'art de continuer de briller ".

    Courage, lecteur, il va falloir juger en votre âme et conscience


     

     

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