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SELECTION CD |
29 mars 2024 |
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Correspondance de Franz Liszt et Marie d'Agoult présentée et annotée par Serge Gut et Jacqueline Bellas
Editions Fayard (1 335 pages – 291,90 F)
Établies à partir de manuscrits autographes et dotées d'un appareil critique très riche, ces 562 lettres ont pour destinataires Marie Flavigny, une jeune femme belle, intelligente et cultivée, (devenue Comtesse d'Agoult par un mariage qu'elle avouera n'avoir été qu'une " dissonance ", mais la plaçait au sommet de la hiérarchie sociale), et Franz Liszt, un jeune loup adulé des salons parisiens et en route pour la gloire.
En 1833, elle a vingt-huit ans et lui vingt-deux lorsqu'ils se croisent pour la première fois. Deux ans plus tard, elle abandonnera tout pour vivre avec lui, provocant un énorme scandale dans le cercle très fermé de l'aristocratie du Boulevard Saint-Germain (Taisons-nous et adorons-nous, et taisons-nous encore
).
On assiste, jour après jour, à la fascination qu'ils exercent l'un sur l'autre, à la naissance et à l'ivresse de la passion, aux intermittences du coeur, et à la lente dégradation des sentiments, jusqu'à la rupture finale (A quoi sommes-nous condamnés ? Le savons nous ? Nous étions de nobles natures l'un et l'autre, et vous l'avez maudit, et je me suis banni de votre coeur parce que vous aviez méconnu le mien. Est-ce une épreuve ou une fatalité que nous subissons ? ).
Pendant dix ans, ils auront tout partagé, chacun faisant appel au jugement de l'autre, Marie stimulant de génie du musicien, Liszt encourageant le talent littéraire de Marie. Et quand les premiers signes d'une séparation annoncée se préciseront, celle-ci s'effacera peu à peu derrière l'historienne et moraliste qui prendra le nom de Daniel Stern, exaltant dans de nombreux articles et une dizaine de romans, l'idéal républicain de la Monarchie de juillet.
On peut lire cette correspondance comme le récit d'une grande histoire d'amour, assortie d'une mine d'informations sur les années fertiles préludant à l'ascension du virtuose, du chef et du compositeur, et à l'oeuvre en gestation (Les années de pèlerinage, les Études transcendantales, les Fantaisies sur les opéras en vogue à l'époque
).
Mais on peut trouver aussi une large fresque de la vie intellectuelle et artistique de l'Europe, avec Paris au centre du tableau, et plus encore le salon cosmopolite des deux amants, où les habitués (Balzac, Hugo, Lamartine, Dumas, Ingres
) croisaient les hôtes étrangers de passage, écrivains, musiciens, hommes politiques (Heine, Mendelssohn, Rossini, Metternich
) : " Un vrai festin de l'esprit ", écrit Serge Gut.
En 1844, deux ans après la fin de leur histoire, Marie confiera au peintre Henri Lehmann : " Je mets de l'ordre dans ma correspondance avec Liszt qui est une belle, étrange et très intéressante chose de ce temps-ci. Son amour y apparaîtra bien grand et bien profond. " Quant à Liszt, il écrira à son gendre Emile Ollivier : " La mémoire que je garde de Madame d'Agoult est un secret de douleur. "
Sans doute aussi lourd que ce captivant pavé d'amour de 1 335 pages.
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Pavé d'amour | |
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