Claudio Monteverdi : L'Orfeo
Le Concert d'Astrée – Emmanuelle Haïm Claudio Monteverdi
L'Orfeo
Ian Bostridge, Natalie Dessay, Alice Coote, Véronique Gens, Sonia Prina, Patrizia Ciofi, Lorenzo Regazzo.
Les Sacqueboutiers de Toulouse
Le Concert d'Astrée
Emmanuelle Haïm, direction
2 CD Virgin Veritas 7243 5 45642 2 2
L'Orfeo est peut-être l'opéra de Monteverdi qui épouse le plus les canons tout juste naissants du stile moderno. Sans sacrifier le théâtre, une interprétation doit restituer certaines règles de chant très précises, sous peine de perdre une part de sa magie si particulière. Créée à Mantoue en 1607, cette oeuvre emblématique vient seulement quelques années après la naissance de l'Euridice de Peri à Florence, dans le cadre de la fameuse Camerata du comte Bardi, des Nuove Musiche de Caccini ou encore de la Rappresentazione di Anima e di Corpo du romain Cavalieri : simple chronologie qui montre quelle effervescence régnait à cette époque, Monteverdi synthétisant génialement des tendances esthétiques et des techniques de chant alors en pleine élaboration.
Nul ne contestera ici la réussite instrumentale. Dès la Toccata liminaire, on est frappé par la brillance et la richesse sonore, les inusables Sacqueboutiers de Toulouse occupant leur poste avec un brio indéniableni la dimension strictement vocale de la distribution. Mais progressivement, le malaise s'installe.
Au centre de ces interrogations, l'Orfeo de Ian Bostridge tout naturellement : interprète génial mais dans une tessiture encore un peu grave pour lui (malgré le diapason à 465), le ténor s'inscrit clairement dans la grande tradition anglaise de ce rôle, celle d'un Rolfe Johnson ou, plus près de nous, du (trop ?) suave Ainsley. Inutile d'évoquer donc la latinité de Victor Torrès ou de Furio Zanasi – peut-être le seul « baryténor » réellement capable d'assumer ce rôle. Mais on est loin également de la sérénité solaire d'un Nigel Rogers, bien mieux armé techniquement et stylistiquement. Le Possente spirto offre bien les ornements attendus, mais exécutés si scientifiquement qu'on en perd toute spontanéité, en frôlant les limites du mauvais goût.
Ses complices ne font pas non plus l'unanimité : malgré toute leur beauté de timbre et leur instinct de musiciennes, Natalie Dessay en Musica – avec des envolées vers l'aigu un peu racoleuses – ou Alicia Coote en Messagère – à l'émission vocale trop lyrique, la nature voluptueuse de la voix devenant presque un contre-emploi – ne semblent guère à leur aise.
Au final, seules Patricia Ciofi en Euridice et Sonia Prina en Espérance trouvent un certain naturel du chant. Aussi savante soit-elle, la direction d'Emmanuelle Haïm ne peut à elle seule remédier aux incertitudes stylistiques de ses chanteurs, acceptables dans l'opera seria, mais trop gênantes ici. Les approximations que l'on pouvait pardonner à Nikolaus Harnoncourt il y a maintenant trente ans n'ont plus réellement de raison d'être à l'heure actuelle.
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