L'âge d'or de la damnation |
Markevitch dirige La Damnation de Faust Hector Berlioz (1803-1869)
La Damnation de Faust, op. 24
Richard Verreau (Faust)
Consuelo Rubio (Marguerite)
Michel Roux (Méphistophélès)
Pierre Mollet (Brander)
Choeur Elisabeth Brasseur
Choeur Enfants ETF
Orchestre Lamoureux, Paris
enregistrement : 1959 (stéréo)
Harold en Italie, op. 16
Heinz Kirchner, alto
Berliner Philharmoniker
enregistrement : 1955 (mono)
direction : Igor Markevitch
2CD Deutsche Grammophon Originals 463 673-2
Pourquoi ne comprend-on en général plus rien au français des chanteurs à l'opéra ? Pourquoi les productions françaises d'opéra français alignent-elles des stars internationales du gosier peinant autant à maîtriser la langue de Voltaire ? Le problème n'est pas d'aujourd'hui, et ne touche pas uniquement Berlioz. A force de voix grossies, émises à l'américaine – avec le phénomène « patate chaude », des voyelles floues et consonnes liquéfiées –, on a perdu l'essence même de la clarté d'énonciation de la langue française à l'opéra.
C'est pourquoi un bond de quarante ans en arrière peut parfois s'avérer salutaire. Et c'est avec un plaisir non dissimulé que l'on retrouve cette Damnation par Markevitch disponible jadis dans la collection DG Double. Pour quelques deniers de plus, la voici augmentée du livret, et d'un Harold en Italie de premier choix par les Berliner Philharmoniker et le même chef.
Plaisir non dissimulé disions-nous, car cette Damnation reste à ce jour la version absolue de la « légende dramatique » de Berlioz, alliant une direction tranchante, vive, dramatique et tout en coups de sang berlioziens, à une distribution quasi idéale. L'Orchestre Lamoureux, qu'on n'a jamais connu aussi poétique, varié, bien sonnant, est acquis à la cause d'un chef exalté qui le pousse en permanence dans ses derniers retranchements avec une énergie à couper le souffle.
Quant à la distribution, elle serait tout simplement impossible à réunir dans nos théâtres lyriques du XXIe siècle, par son style, son exemplaire diction française, intelligible à tout moment. Richard Verreau est un Faust idéal, jeune et beau de timbre, à l'intelligence musicale jamais prise en défaut, à la ligne de chant aussi héroïque que belcantiste selon les occasions ; Michel Roux un Méphisto roublard, finaud, dont le timbre certes un peu clair pour le rôle s'avère caressant, enjôleur, pas si éloigné d'un Faust qu'il lui faut de toute façon séduire pour le gagner à sa cause.
Consuelo Rubio a du style et les exacts moyens de Marguerite – un vrai mezzo lyrique. Son français un rien exotique restera toujours plus intelligible que ce qu'on entend aujourd'hui, y compris chez certains franchophones. Et pour une fois que Marguerite ne s'évanouit pas dans le trio du troisième acte ! Enfin, Pierre Mollet, célèbre Pelléas, improbable baryton-martin dans le rôle de Brander, est tellement truculent et clair d'élocution qu'on ne saurait lui reprocher cette incartade.
Un grand classique, indémodable et toujours inégalé.
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