Harnoncourt en veine hongroise |
Harnoncourt dirige Bartók Béla Bartók (1881-1945)
Musique pour cordes, percussion et célesta, sz. 106
Divertimento pour orchestre à cordes, sz. 113
Orchestre de Chambre d'Europe
direction : Nikolaus Harnoncourt
1CD RCA Red Seal 82876 59326 2
(+ 1CD d'extraits d'enregistrements d'Harnoncourt pour RCA)
Harnoncourt-Bartók, une rencontre assez inattendue et a priori improbable. Et pourtant, à l'écoute de ces enregistrements réalisés à Graz en 2000 et 2001, on ne peut que reconnaître à quel point la « patte Harnoncourt » peut convenir aux jeux rythmiques savants et aux sonorités cassantes du compositeur hongrois. Dans la Musique pour cordes, Nikolaus le touche-à -tout se classe d'emblée du côté des versions ultra-analytiques comme celles de Boulez, cherchant comme ce dernier à faire ressortir tout détail d'orchestration, toute sonorité nouvelle avec une acuité particulièrement efficace. Aidé par la neutralité timbrique du Chamber Orchestra of Europe, Harnoncourt livre une lecture glacée à l'extrême, d'une concentration absolue, d'une parfaite maîtrise et variété des paramètres sonores : sonorité droite et grinçante des cordes non vibrato dans le premier mouvement et le mouvement lent, dosages instrumentaux mesurés jusqu'à la maniaquerie, respect de la véritable disposition orchestrale voulue par le compositeur. On tient à ce titre un Adagio de très haut vol, d'une austérité absolue, nocturne angoissé, quasi claustral.
Vision à l'intellectualisme souvent stimulant mais à l'impact physique moindre. On sera par exemple un rien déçu, comme chez Boulez DG, par le manque de fluidité, de naturel, d'emballement dans les mouvements rapides, trop contrôlés jusqu'à l'infinitésimal : timbales trop policées, accélérations le pied sur la pédale de frein. Le Finale est d'ailleurs le mouvement le plus faible de cette lecture passionnante, mais peu de chefs peuvent se targuer d'une telle tenue d'ensemble, d'une telle cohésion. On n'oubliera donc pas les Reiner (RCA), Fricsay (DG), Mravinsky (Praga), Kubelik (Mercury) ou Boulez (Sony) mais l'éclairage proposé par Harnoncourt mérite amplement le détour.
Si la Musique pour cordes est remarquable, le Divertimento, lui, est exceptionnel. Harnoncourt en livre une vision expressionniste, une lame tranchante entre les dents, avec des cordes aussi cinglantes et écorchées vives que naguères celle de Mravinsky à Leningrad, des accents rythmiques à la brutalité tribale, complètement au talon des cordes, donnant un rebond et un impact de danse ancestrale à la pulsation convulsive. Le mouvement lent, quant à lui, est quasi insoutenable d'ascétisme et d'éclats soudains – écoutez autour de 2'20'' le climat désolé puis la saillie des violons, coupante comme une lame de rasoir.
Encore une belle réussite et une exploration convaincante chez un artiste dont le parcours force décidément à chaque nouvelle parution un respect plus grand.
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