Révolution de l'Âme et du Corps |
Rappresentatione di Anima, et di Corpo
Emilio de' Cavalieri (1550-1602)
Rappresentatione di Anima, et di Corpo
Marco Beasley (Corpo, Tempo)
Johannette Zomer (Anima)
Dominique Visse (Piacere)
Jan van Elsacker (Intelletto)
Stephan MacLeod (Mondo, Consiglio)
Nuria Rial (Angelo Custode)
Béatrice Mayo Felip (Vita Mondana)
L'Arpeggiata
Christina Pluhar, théorbe et direction
2CD Alpha 065
Le défi était pourtant de taille, car le premier oratorio présumé peut se montrer sous des atours bien rébarbatifs. Si la virtus varietas est érigée en principe par Cavalieri dans sa préface, elle peut basculer, par son systématisme, dans la vitium monotoniae, d'autant que la rhétorique du librettiste Agostino Manni paraît souvent bien mécanique dans ses oppositions antithétiques. La révolution de Christina Pluhar consiste justement en l'exaltation de cette structure parfois rigide par le souci constant des contrastes chromatiques, jusqu'à révéler un précédent singulier de l'Orfeo de Monteverdi.
Du respect méticuleux des indications, elle recrée une oeuvre d'une unité conceptuelle fulgurante, notamment par l'adjonction d'un Epilogue emprunté à Claudio Merula, exact reflet du premier monologue de Tempo. Et par trois fois, le Pass e Medio de Tielman Susato fait résonner la plainte hypnotique de la sacqueboute.
Des entrelacs d'un continuo foisonnant, reconstitué d'après l'instrumentarium de la Pellegrina dont Cavalieri fut le principal ordonnateur, la théorbiste autrichienne obtient une variété de couleurs littéralement inouïes, principal moteur d'une dramaturgie kaléidoscopique. Pas une nuance du texte n'est laissée au hasard dans le choix des instruments du fondamento, par la pertinence de figuralismes tour à tour crépitants et terrifiants, d'éphémères richesses du Monde en rumeurs de l'Enfer, de psaltérion scintillant escortant déjà Plaisir et ses compagnons, en régale éructant ses Âmes damnées. L'Arpeggiata s'y confirme de virtuosité infaillible, d'imagination étourdissante.
La distribution ne peut tout à fait s'accorder à cet état de grâce. D'emblée, Marco Beasley déroute. Malgré la beauté du timbre, son érotisme même, la vocalité demeure ancrée dans l'archaïsme des chants traditionnels, à l'image des raucités de son illustre aîné Pino de Vittorio. Le choix de Christina Pluhar pourrait se justifier si son Corpo disposait des moyens techniques propres à animer le recitar cantando, mais les inflexions de la Tarantella, de la Villanella, sont sa troublante nature, tandis que de la sève dialectale de l'accent vacille le discours théologique. Avec quel pénétrant mystère pourtant, ce Tempo révèle la vérité de l'homme – Oggi vien fuore, doman si muore. Jan van Elsacker n'a pas même le bénéfice du timbre, Intelletto narcissique minaudant dans une tessiture hybride.
Johannette Zomer, toujours plus affirmée, Nuria Rial et Béatrice Mayo Felip sont heureusement de voix latines, d'une parfaite maîtrise du style. Dominique Visse fait une apparition remarquée en Piacere, nid de perversité. Et l'éloquent Stephen MacLoed déroule le creux de Mondo et de Consiglio. Tels que soutenues par Christina Pluhar, les allégories deviennent êtres de chair et de sang, de vocalités palpables par l'idéale spatialisation du son, jusqu'à l'évidence de la notion de movere, indispensable émotion du stile nuovo.
Une réalisation captivante, à deux voix de la référence, qui ne sauraient entamer un authentique Coup de Coeur Altamusica.
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